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Aisha Dabo : «L’Africtiviste ne fonctionne pas dans l’illégalité»

​Aisha Dabo est l’une des figures les plus connues de la «websphère» en Afrique de l’Ouest. Cette journaliste sénégambienne, basée à Dakar, est une fervente militante pour les causes citoyennes. Pour son nouveau numéro d’Entretien avec un acteur du numérique, YitereTech s’est entretenu avec elle. Dans cette interview, elle nous parle de ses parcours académique et professionnel, l’usage qu’elle fait de l’internet, sa passion pour le journalisme, son engagement en faveur de la promotion de la bonne gouvernance et du respect des droits de l’homme en Afrique en général et particulièrement en Gambie. Entretien…



Aisha Dabo : «L’Africtiviste ne fonctionne pas dans l’illégalité»
YitereTech.com : Qui est Aisha Dabo ?
 
Aisha Dabo : Je suis une citoyenne active qui cherche à contribuer au mieux au bien-être de ma communauté, au-delà de ma famille et de mes amis. Je suis une citoyenne qui me sent concernée par ce qui se passe dans mes pays officiels Sénégal et Gambie mais aussi dans le reste de l’Afrique. Je viens de familles de migrants du côté de mon père les Dabos et aussi coté de ma mère.
 
Mes ancêtres (deux côtés maternels et deux côtés paternels) ont migré à travers l’Afrique surtout l’Afrique de l’Ouest. J’adore écouter ces histoires des temps anciens. Et en étant enfant, j’ai beaucoup bougé avec ma famille à travers l’Afrique. C’est pourquoi je m’identifie a plusieurs pays, et j’ai légitimement droit à sept nationalités africaines mais j’en ai choisi deux. Pour quelqu’un comme moi, l’intégration africaine me facilitera les choses, parce que nier un de ces pays c’est comme renier une partie de mon identité.
Certains ne pourrait pas comprendre mais je me sens africaine, chez moi partout où je vais sur ce continent, c’est dans mon âme. J’ai une vie professionnelle que j’adore et qui n’est pas nécessairement liée à mes activités sur le web ou dans le social.
 
Parlez-nous de votre parcours académique et professionnel
 
J’ai un Bac+6. J’ai fait des études de littératures et linguistiques en anglais et en français, des études de journalisme (presse écrite et radio d’abord, ensuite web-journalisme, data-journalisme), de communication pour le développement et outreach communication (je ne connais pas de terme exact en français). Et plein d’autres choses tant que cela m’aide à avancer dans mon travail ou mon activisme.
 
Depuis quand êtes-vous installée à Dakar ? Et pourquoi avez-vous fait le choix de la capitale sénégalaise ?
 
J’étais venue pour un stage d’un mois en 2006 ensuite j’ai obtenu un boulot. J’étais basée à Dakar mais je ne restais pas un mois sur place. Quand il a fallu que je me pose en 2014 j’avais des possibilités solides de m’installer et rester en Occident. Mais ma passion c’est l’Afrique, ça aurait pu être tout autre pays mais je me suis posée ici et Dakar est devenu « home » (chez moi). Le Sénégal ne m’est pas étranger parce qu’une partie de ma famille vit ici et je suis aussi Sénégalaise.
 
Comment est née votre passion pour le web ?
 
Lors de ma formation en journalisme au CESTI à l’Université Cheikh Anta Diop j’ai découvert les possibilités qu’offrait cet outil. Je l’ai beaucoup utilisé dans le cadre professionnel.
 
J’ai travaillé dans un journal en Gambie en tant que pigiste, ensuite reporter salarié, grand reporter, éditeur de mise en page, éditeur, secrétaire de rédaction, red-chef adjointe. Donc je connais toutes les fonctions d’un journal et le travail que ça demande pour en sortir un.
 
Aussi, en travaillant à la radio national gambienne et dans une radio privé City Limits où je produisais mes émissions. Mais ça fait longtemps que je n’ai pas touché à une table de mixage radio.
 
Le web surtout le blog m’a permis de m’exprimer en tant que personne, de ne plus taire ma voix, exprimer mon opinion. En tant que journaliste, on ne te demande pas ton opinion, tu parles des faits c’est tout. Tu apprends à taire tes opinions pour informer juste et vrai.
 
Le blogging m’a permis de partager des expériences sur mes voyages en Afrique. Au fur et à mesure je me suis rendue compte que l’on pouvait utiliser le web pour faire du bien autour de soi et contribuer au changement. Il y a tellement de possibilité, il faut juste être créatif et les saisir.
 
Comment a débuté votre aventure dans l’activisme ?
 
Avant le web, les droits humains surtout le droit des femmes et des journalistes me concernaient et me concernent toujours. J’ai fait beaucoup de recherche sur les pratiques traditionnelles néfastes comme l’excision, le mariage précoce et leurs effets. Je partageais et sensibilisais dès que l’occasion se présentait en commençant par ma famille et ensuite dans mes émissions ou dans un article. Une partie de mon mémoire de maitrise traite de l’excision.
 
J’ai pratiqué le journalisme en Gambie où le régime n’a d’égard pour les droits que lorsque c’est dans son intérêt. Je suis membre du syndicat des journalistes donc j’ai pris part à un grand nombre de batailles contre le régime qui cherchait à nous museler à tout prix. J’ai était vice-présidente du syndicat des journalistes en Gambie dans un moment difficile, juste après l’assassinat du journaliste Deyda Hydara en 2004.
 
Même si je n’y vit plus je continue à être membre actif et à militer pour les droits des journalistes Gambiens, des citoyens gambiens et sensibiliser les gens sur ce qui se passent dans ce pays depuis que Yahya Jammeh est au pouvoir. Mais aussi les aider quand je peux de différentes autres façons.
 
Le web est devenu un plus dans ces combats pour les amplifier. Ces engagements pour un pays se sont étendus aux autres pays du continent. Je suis beaucoup de personnes sur les réseaux sociaux et souvent lorsqu’une cause me tient à cœur je l’amplifie sans même que l’on me le demande. Le web m’a permis de voir que les pays africains ont des difficultés semblables même si chaque pays reste unique. C’est pourquoi je soutiens ces causes parce que je me dis que ça peut changer une vie ou faire avancer les choses dans un pays d’Afrique. Je peux sembler naïve de fois mais je crois que le bien peut sortir de tout tant qu’il y a de la volonté.
 
Je ne partage pas tout ce que je fais dans l’activisme sur le web. Je crois en la dignité humaine et lorsque je soutiens certaines causes j’aime que la dignité des personnes soit préservée. Il faut savoir quand parler et communiquer en public parce que le but ce n’est pas d’étaler la vie des gens (à moins que les concerner le souhaite) ou d’étaler qui on connait, avec quelle autorité dans le monde ou avec quelle personne d’influence on a des connections. Le but c’est les causes pas nécessairement la ou les personnes.
 
Un de mes auteurs préférés qui est aussi activiste l’américaine Alice Walker disait ‘Activism is my rent for living on the planet’ (L’activisme est mon loyer pour vivre sur cette planète). Moi j’y crois. C’est pour moi un devoir. J’ai grandi en voyant mes parents être solidaires avec des inconnus. Ils les ont logés, nourri, blanchi gratuitement et ils tiennent ça de leurs parents.
 
Pendant des années, la maison de mon père à Kinshasa a servi de point de transit pour plusieurs personnes de l’Afrique de l’Ouest beaucoup qui aujourd’hui sont des sommités dans leurs communautés. C’est la première fois que j’en parle parce que pour mon père le but n’a jamais était de raconter après avoir aidé ces personnes. (je vais me faire tirer les oreilles). Lorsqu’on vient d’une famille de migrants on sait ce que c’est la xénophobie, ce que c’est d’être loin de chez soi et combien un peu de compassion peut changer une vie. Je fais de mon mieux selon mes moyens, je n’ai pas de bailleurs. Ce n’est pas toujours facile mais j’aime cette partie de ma vie.
 
C’est quoi un Africtiviste ?
 
Drôle de question difficile, un change-trigger (je ne connais pas le mot en français) une citoyenne engagée et augmentée dans son pays d’abord. Qui identifie des problèmes locaux, propose des solutions et quand elle peut, contribue à la solution. Il ne faut pas oublier l’utilisation des TIC dans ces initiatives web.
 
Un Africtiviste est un citoyen d’un pays africain ou de sa diaspora qui est activiste pour le changement social ou socio-économique c’est selon. Etre Africtivistes c’est être solidaire, donner de son temps, de sa force pour le bien d’autrui où qu’il soit sur le continent sans attendre rien en retour. Croire en Afrique et sa jeunesse, et en la capacité de sa jeunesse à changer les choses dans le bon sens. Par son engagement et son comportement, un Africtivistes doit être un modèle pour sa communauté et doit être une source de motivation.
 
Le respect des lois, des droits et de la Constitution, l’état de droit, la bonne gouvernance, la culture de la paix tout ça compte. L’Africtiviste peut être politique sans être partisan. Par exemple, je peux défendre le respect d’une constitution en RD Congo qui limite le mandat présidentiel à deux pour l’intérêt du peuple. Je peux battre campagne pour qu’il y existe une limitation du nombre de mandats au Togo pas parce que je suis pro-Faure Gnassignbe ou pour l’opposition mais juste parce que le pays appartient au peuple et non à une famille. Je mène campagne pour le changement de régime en Gambie parce que 22 ans c’est trop (cette interview a été réalisée la semaine précédant la défaite historique de Yahya Jammeh à la présidentielle gambienne 2016 face au candidat de l’opposition Adama Barrow, NDLR ). Si Jammeh est remplacé et que le nouveau président ne change pas les choses, je ne le raterai pas.
 
La ligne est très fine pour devenir partisan c’est pourquoi nous avons des gardes fous, un code de conduite. Et on veille les uns sur les autres. Etre Africtivistes, c’est aussi lutter pour un internet ouvert et neutre, pour que les droits reconnus dans le monde réel y soient reconnus aussi ; par exemple la liberté d’expression mais aussi le respect des lois.
 
L’Africtiviste connait ses droits et devoirs de citoyens dans un pays mais aussi les droits universels, la charte africaine des droits humains. Et si certains de ses droits humains ne sont pas reconnus dans son pays, il/elle aspire à ce qu’ils le soient. L’Africtiviste ne fonctionne pas dans l’illégalité.
 
Quelles sont les difficultés que vous rencontrées dans l’activisme ?
 
Il faut avoir des ressources financières pour certaines actions et elles ne sont pas toujours à portée de main mais nous nous en sortons. Il faut apprendre à ne pas vendre son âme au diable juste parce que l’on veut mettre en œuvre une action ou faciliter l’obtention de résultats ou même être le premier. Ma conviction personnelle est que c’est un travail interne de mettre l’intérêt général avant l’intérêt personnel lorsque l’on porte ses habits d’activistes.
 
Néanmoins, il faut savoir être diplomate quand il le faut et sortir les griffes quand il le faut. Chaque situation donnée requiert une approche particulière. Ton soit disant ennemi (nous ne considérons pas les personnes que nous critiquons ou que nous interpellons comme des ennemis même si elles peuvent le percevoir ainsi) peut être ou devenir ton plus grand allié dans une autre cause.
 
Les gens, souvent les autorités, ne comprennent pas et pensent que les activistes sont des opposants déguisés. Le jour que les gens comprendront qu’il n’y a rien de personnel, certaines choses seront plus faciles. Acceptez qu’on ne peut pas tout faire, et choisir les priorités parce qu’il y en a tellement. Le fait qu’il y ait des morts dans certaines situations ou pays est injuste parce que l’on défend une cause noble et juste dans nos prises de position.
 
Pourquoi selon vous il y a peu de femmes dans la presse écrite dans la sous-région ?
 
C’est un choix, je ne sais pas. Il faut poser la question aux femmes qui choisissent la radio ou la télé. Moi j’ai commencé par la presse écrite parce que j’adorai écrire, raconter des histoires en plus je suis timide mais j’étais à l’aise à la radio.
Je suis aussi passée par la presse écrite parce que c’est la base, le fondement du journalisme, c’est le plus difficile parce que la personne qui lit ton article doit le vivre comme si elle y était. Ce genre de reportages se fait de moins en moins mais c’est ce qu’on m’a appris. Si on maitrise la presse écrite, on s’intègre facilement dans les autres secteurs des médias. Cela a été mon expérience.
 
La presse écrite est un monde d’hommes et ça forge le caractère parce qu’on peut y rencontrer des personnes qui feront tout pour vous décourager en tant que femmes mais il faut avoir la peau dure et s’imposer. J’ai souvent été la seule femme de ma rédaction, restant jusqu’à 3heure ou 5heure du matin pour boucler un numéro.
 
Il y a de plus en plus d’entrepreneurs dans le digital. En quoi entreprendre dans le digital est différent des autres secteurs ?
 
Je ne suis pas encore entrepreneure en tant que telle dans le digital donc je préfère ne pas m’avancer sur cette question.
 
Quelle place occupent les femmes dans le secteur du numérique ?
 
Elles peuvent y être plus nombreuses qu’elles le sont actuellement. Dans chaque pays, il y a, au moins, deux ou trois modèles qui inspirent la jeune génération. Donc, les choses vont changer. Les femmes qui sont dans le digital n’ont rien à envier à leurs collègues hommes parce qu’elles prouvent chaque jour qu’elles sont capables et que ce n’est pas une question de genre ou de sexe mais de connaissance et d’ingéniosité de l’être humain. Je suis fière d’elles. Pour le moment, je n’ai pas encore rencontré d’hommes dans ce monde qui pense que sa collègue femme est moins intelligente ou qualifiée juste parce qu’elle est femme.
 
Quel avenir pour les activistes sur le continent africain ?
 
Ce mouvement continuera à évoluer et à s’étendre. L’internet n’a pas de frontières et les expériences se partagent facilement. Une chose qui menace l’avenir des activistes en général ce sont les gouvernements qui confondent activisme citoyen et politique partisane. La censure sur internet ou bien la censure dans le monde réel. Les États se sentent de plus en plus menacés parce qu’il y a des citoyens qui connaissent leurs droits et qui veillent au grain.
 
Ils profitent de toute opportunité pour limiter la liberté d’expression, de rassemblement et d’association. C’est à la mode maintenant de couper internet pour un oui ou pour un non, ce qui est illégal car le droit d’accéder à internet est un droit fondamental ainsi que la promotion, la protection et l’exercice de ce droit sur internet qui est reconnu par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU.
 
Quelles sont vos perspectives dans le digital à moins et long terme ?
 
J’ai des projets que j’espère bientôt lancer. Je vous tiendrai au courant.
 
Quels sont vos centres d’intérêts ?
 
J’adore lire (un bookworm) mais pas de roman d’amour. J’adore voyager, découvrir de nouvelles cultures au Sénégal, en Gambie ou dans tout autre pays du continent. J’aime faire les boutiques, je suis une shoeholic (accro de chaussures). À chaque voyage, je vais au marché ou dans des endroits où on trouve de l’encens, du parfum, des produits naturels de beauté. J’ai découvert différents secrets de beauté des femmes africaines.
 
Un de mes mots préférés, c’est «pourquoi» ; je veux tout savoir, comprendre (rires). Comme je n’ai pas le don de lire les pensées je pose la question. Ensuite la personne peut choisir de répondre ou non.
 
Un conseil pour les jeunes?
 
Croyez en vous, en vos capacités et en votre pays. N’ayez pas peur de l’échec, c’est pire de ne rien tenter. Osez demander des conseils, de l’aide ; il y a toujours des personnes prêtent à vous guider même si elles ne sont pas nombreuses. L’avenir commence aujourd’hui et elle se bâtit aujourd’hui.

yiteretech.com

Jeudi 8 Décembre 2016 - 20:34


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