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Eligibilité ou Inéligibilité, le K. WADE: vers l’imbroglio juridique ?



Eligibilité ou Inéligibilité, le K. WADE: vers l’imbroglio juridique ?
En complétant les dispositions de l’article 28 de la Constitution, l’article LO.113 du Code électoral renvoie non pas précisément aux articles L.57 et L.58 du chapitre 3 relatifs aux conditions d’éligibilité, d’inéligibilité et d’incompatibilité, mais à tout le Titre premier composé de sept (07) chapitres avec au total 112 articles, et consacrant les dispositions communes à l’élection du Président de la République et aux élections des députés, des conseillers départementaux et municipaux.


Cela n’est guère fortuit si l’on sait que le chapitre premier traite du corps électoral tandis que le chapitre 2 est consacré  aux listes électorales, d’une part les conditions d’inscription sur les listes électorales (section1), et d’autre part, l’établissement et la révision des listes électorales (section 2) comportant, en particulier, les conditions de radiation spécifiées par décret (cf. art. R.34).
D’emblée, il ne serait pas indifférent d’appréhender la frontière entre la qualité d’électeur et l’éligibilité afin de voir si la privation du droit de vote emporte de plein droit l’inéligibilité. Autrement dit, la perte de l’éligibilité pourrait-elle être une conséquence de la perte de la qualité d’électeur ?


Examinant les dispositions en vigueur régissant le corps électoral et les conditions d’éligibilité et d’inéligibilité, il ressort ce qui suit : 
Qu’en premier lieu, l’article L.27 en son alinéa premier dispose que: « Sont électeurs les sénégalais des deux sexes, âgés de dix huit (18) ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi  ».
Qu’en second lieu, reprenant quasiment les mêmes stipulations que celles contenues dans la disposition précitée, l’article L.57 énonce que : « Tout sénégalais peut faire acte de candidature et être élu sous réserve des conditions d’âge et des cas d’incapacité ou d’inéligibilité prévus par la loi ».


Qu’en troisième lieu l’article, LO.154, alinéa 1, du code électoral fixant les conditions d’éligibilité et d’inéligibilité des députés dispose: « Sont inéligibles les individus condamnés, lorsque leur condamnation empêche d’une manière définitive leur inscription sur une liste électorale». Il s’en suit que l’al.2 réserve une exigence assez contraignante en ce sens que : « Les individus dont la condamnation empêche temporairement l’inscription sur une liste électorale sont inéligibles pendant une période double de celle durant laquelle ils ne peuvent être inscrits sur la liste électorale ». Prévoyant les décisions prononcées lors des jugements, l’al.3 dispose:


« Sont, en outre, inéligibles : les individus privés par décision judiciaire de leur droit d’éligibilité en application des lois qui autorisent cette privation; les personnes placées sous protection de justice ou pourvues d’un tuteur ou d’un curateur».
Il en est de même de l’inéligibilité concernant les élections départementales (art. L.199) et les élections municipales (L.230) qui empêchent aux personnes condamnées de faire acte de candidature.


A la lumière de ce qui précède, tout laisse croire, à notre avis, qu’il existe bel et bien un lien étroit entre la privation du droit de vote et le droit d’éligibilité.
Toujours est-il que les incapacités électorales énoncées à l’article L.57 et résultant de plein droit d'une condamnation pénale sont régies par le chapitre 2, nonobstant l’interdiction ou la déchéance prononcée dans le jugement de condamnation à titre de peine complémentaire. Ainsi que nous l’avons largement montré dans notre dernière contribution sur les enseignements du verdit de la CREI, toute personne condamnée pour le délit d’enrichissement illicite sera frappée d’incapacité électorale en vertu l’article L.31/2 du code qui n’autorise pas l’inscription sur les listes électorales à: « ceux condamnés à une peine d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée supérieure à un mois, assortie ou non d’une amende, pour l’un des délits suivants :


Vol, escroquerie, abus de confiance, trafic de stupéfiants, détournement et soustraction commis par les agents publics, corruption et trafic d’influence, contrefaçon et en général pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq (05) ans d’emprisonnement
 ». Par conséquent, la personne se trouvant dans une telle situation perdrait aussi son droit d’éligibilité à une élection quelconque, soit de manière définitive, soit temporairement. Ne s’agirait-il pas là d’une privation automatique du droit de vote et d’éligibilité ?  


Incontestable, le système électoral sénégalais a connu des avancées notoires et un niveau de performance et de crédibilité qui le placent même au dessus de nombre d’autres Etats démocratiques. Dans cette dynamique, il est salutaire que, dans notre pays, la décision de priver un condamné de son droit de suffrage est fonction de la gravité de l’infraction commise. Cependant, au vu des limites décelées sur le code pénal et le code électoral et corrélativement à la jurisprudence internationale, en particulier celle de la Cour européenne des droits de l’homme (cf. les arrêts rendus dans les affaires Hirst c. Royaume-Uni et Scoppola c. Italie), l’affaire K. WADE se révèle comme un cas d’une extrême complexité au sujet de l’application de la restriction du droit d’éligibilité.


Il semble aberrant que le législateur n’ait pas prévu expressément la déchéance des droits civils et politiques d’une personne coupable du délit d’enrichissement illicite. Cet état de fait découle des insuffisances de la loi sur la CREI et subséquemment de l’article 163 bis du code pénal. Au demeurant, l’article 35 du code pénal (Loi n° 2000-38 du 29 décembre 2000) bien qu’étant un motif empêchant le juge d’appliquer les peines complémentaires, il devrait être analysé à l’aune des principes posés par le droit international des droits de l’homme.


Ainsi, cette clause, stipulant que toute restriction à l’exercice du droit de vote doit être prévue par la loi et être régie par des critères objectifs et raisonnables, est en conformité avec  les dispositions de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en vertu desquelles : « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables:  a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis; b) De voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs; c) D'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de son pays ».


Elle est tout aussi en phase avec la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui engage, en son chapitre IV, article 4/2,  les Etats parties à considérer la participation populaire par le biais du suffrage universel comme un droit inaliénable des peuples. En vérité, non seulement la loi sur la CREI, tombée, entre temps, en désuétude ne s’est adaptée pas à l’article 35 du code pénal. Mais également, cette dernière disposition, étant postérieure au code électoral consensuel de 1992 modifié relativement en son chapitre premier par la loi n°97-15 du 8 septembre 1997, n’a pu être intégrée par les révisions successives opérées sur la loi électorale parce que certainement méconnue des acteurs. Pour avoir eu l’opportunité de prendre part aux différents travaux de la Commission Technique chargée de la Revue du Code Electoral (CTRCE) nous y avons une part de responsabilité. C’est aussi cela la matière électorale, évolutive, elle s’enrichit de la jurisprudence.


Il résulte des insuffisances du code pénal que si Monsieur K. Wade devait être déchu de ses droits politiques, néanmoins la privation ne serait nullement perpétuelle ou d’une plus longue durée. En application de l’art. L.32, al. 1 du code électoral, elle se limiterait à une période de cinq (05) ans allant jusqu’en 2020. Aussi en instituant l’incapacité électorale d'une durée en principe au moins égale à cinq ans, applicable de plein droit à toute personne condamnée pour une série de délits énumérés aux articles L.31 et L.32  du code électoral, sans que le juge qui décide de ces mesures ait à prononcer expressément ladite incapacité, la loi électorale méconnaissent-elle pas le principe de nécessité des peines. Ces dispositions seraient-elles conformes à la Constitution ?


S'agissant du droit de vote des détenus, la législation sénégalaise ne prévoyant pas, à ma connaissance, la restriction du droit de vote pour tout détenu pendant sa détention, la privation du droit de vote générale, automatique et indifférenciée qui est appliquée à tous les détenus est contraire à la loi dès lors que certains sont en détention provisoire ou en instance d’appel, tandis que d’autres, condamnés, purgent leur peine alors que loi électorale ne fixe l’application de cette peine de privation qu’à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive.


L'interdiction des droits de vote et d’éligibilité étant une peine accessoire prévue pour les crimes et certains délits ne devrait-elle être prononcée pour être valable ? Le défaut de fixation d’une durée de la déchéance constitue-t-il implicitement un relèvement de peine ? Le relèvement différé doit-il être engagé dès à présent et porté devant la Cour suprême ? La CREI ne pourrait-elle pas connaître de la requête au nom du principe de l’exigence d’impartialité? Est-il convenable qu’une personne condamnée à une lourde peine d’emprisonnement continue de jouir pleinement de ses droits civils et politiques sans aucune restriction ? Devrait-on autorisé et encadrer certains détenus à exercer leur droit de vote et d’éligibilité ?


La difficulté de la matière et l’enjeu de la question interpellent à la fois les techniciens du droit, juriste pénaliste et constitutionnaliste, l’analyste électoral, le parlementaire ainsi que toute la classe politique. Il faudrait donc bien prendre garde pour éviter que le scénario vécu en 2012 à propos de la controverse autour de la candidature du Président Wade ne se reproduise car l’épilogue ne fut connut qu’à la suite de la décision rendue par le Conseil constitutionnel qui, en vertu de l’article LO.118, fait procéder à toute vérification pour s’assurer de la validité des candidatures. 


En tout état de cause, il serait judicieux d’éviter à tout prix d’être en face d’un imbroglio juridique avant que ne soient engagées les nécessaires réformes sur le système électoral et le système judiciaire. Dans cette perspective, la prochaine révision du code électoral, qui logiquement suivra le parachèvement des réformes institutionnelles, devra-t-elle s’atteler, d’une part, à une meilleure articulation avec le code pénal tout en tenant compte des arrêts rendus par la Cour suprême relativement à des contentieux sur les dernières élections départementales et municipales et, d’autre part à une certaine articulation entre les conditions d’inéligibilité entre l’élection présidentielle et les élections législatives.
 

Ndiaga Sylla

Samedi 28 Mars 2015 - 18:38


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