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Football : face au racisme, la Fifa continue de nager en plein déni

L'instance a annoncé, lundi, la dissolution de son groupe de travail sur l'antiracisme. Deux jours avant un nouvel incident lors d'un match de la Ligue des champions.



Football : face au racisme, la Fifa continue de nager en plein déni
 « Le travail a été fait, il est terminé. » C'est par cette formule que la vice-secrétaire générale de la Fifa Fatma Samoura a annoncé lundi, depuis la Convention Soccerex Global Football à Manchester, la dissolution de la task force chargée de lutter contre le racisme. Une décision surprenante.
« Cette task force avait un mandat bien spécifique qui a été entièrement rempli », s'est justifiée la Sénégalaise, nommée début 2016 en remplacement de Jérôme Valcke au sein des plus hautes fonctions de l'instance. La nouvelle a été transmise il y a quelques jours aux membres de cette task force dans une lettre. Fatma Samoura renvoie la balle aux différentes confédérations (UEFA, Conmebol, AFC, OFC, CAF, Concacaf), tout en signalant que la Fifa veillera par la suite à l'avancement de l'application de ses mesures.

Espérance de vie éphémère
 
N'est-il pas quelque peu hâtif d'estimer avoir pu, sur cette période, construire un fondement suffisamment solide pour que les confédérations et les fédérations luttent efficacement contre la discrimination ? Mis en place en 2013 sous Sepp Blatter, ce groupe de travail a principalement œuvré pour un renforcement de l'arsenal juridique pour les cas de discrimination dans les stades. D'après Fatma Samoura, le groupe a soumis une série de recommandations qui « ont été transformées en un programme très musclé ».

En mai 2013, la Fifa avait voté, sur proposition de cette task force, un durcissement des sanctions contre le racisme dans le football. Une initiative consécutive aux débordements constatés en Italie en janvier de la même année. Le Ghanéen Kevin-Prince Boateng, alors joueur de l'AC Milan, avait quitté le terrain lors d'un match amical contre Pro Patria après avoir subi des quolibets racistes de la part de supporteurs. Cet épisode, qui avait débouché sur une rencontre très officielle entre Blatter et Boateng, faisait suite à une recrudescence des actes discriminatoires dans les stades européens.

L'Europe avait été le laboratoire d'expérimentation de ces mesures, sous l'impulsion de l'organisation non gouvernementale Fare (Football Against Racism in Europe) qui œuvre depuis 1999 pour inciter dirigeants et institutions à se saisir du problème. Le durcissement des sanctions incluait la possibilité pour les arbitres de stopper une rencontre après avertissement sonore et donnait à l'UEFA la possibilité, en cas de récidive, de prononcer des sanctions allant de la fermeture partielle du stade au retrait de points (article 14 du règlement disciplinaire de l'UEFA datant de 2013).
Une portée limitée
 
Le souci, c'est que, dans les faits comme dans les intentions, le programme mis en place sonne dans son ensemble plutôt creux. Le journaliste nigérian Osasu Obayiuwana était un membre de cette task force. Contacté par Le Monde, il a admis la portée limitée de son action. « Nous n'avons pas eu de réunion en plus de dix-huit mois, au moins. En trois ans d'existence, nous n'avons eu que trois réunions », a-t-il par exemple admis. Il semble judicieux de notifier que le groupe de travail était présidé par Jeffrey Webb, un ressortissant des îles Caïmans arrêté en 2015 dans le cadre d'une enquête menée par la Fifa pour corruption présumée…

Et sur le terrain, de récents exemples confirment l'inefficacité des mesures. Pas plus tard que mercredi soir, un nouvel incident a été constaté lors d'un match de Ligue des champions entre le club russe de Rostov et le PSV Eindhoven. Une banane jetée sur le terrain dont l'UEFA ne s'enquerra pas plus que cela puisqu'elle n'a pas consigné l'incident, pourtant massivement relayé par la presse européenne. Le club vice-champion de Russie évoluait face aux Néerlandais dans un stade partiellement à huis clos… à la suite du comportement raciste d'une partie de ses supporteurs lors du barrage de C1 contre l'Ajax Amsterdam.

Des débordements qui interpellent d'autant plus que la Russie, qui accueillera la prochaine Coupe du monde en 2018, demeure engluée dans ce fléau. « Je pense qu'un tel incident est isolé, et ça ne se répétera plus », s'est maladroitement défendu Alexei Sorokin, président du comité d'organisation du Mondial 2018. « Cette banane va nous coûter cher. Sans parler de la Coupe du monde, étant donné notre passif négatif, on ne peut pas imaginer pire », a quant à lui reconnu le président de la fédération russe, Vyacheslav Koloskov.
Inquiétude et scepticisme
 
Durcir les sanctions n'inclut donc pas nécessairement leur stricte application. Et mettre en place un arsenal de punitions n'a jamais constitué l'unique solution au règlement de problèmes aussi structurels qui nécessitent bien souvent un appareil de prévention, de sensibilisation et d'accompagnement.
C'est donc naturellement que plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer la dissolution de ce groupe.

Le prince Ali bin Al-Hussein, candidat battu à la dernière élection à la présidence de la Fifa, a qualifié cette décision d'« extrêmement inquiétante ». Régulièrement engagé et parfois victime de discriminations, le milieu de terrain ivoirien Yaya Touré a lui aussi exprimé son désarroi sur son site web. « Quand j'ai reçu le courrier m'informant que le groupe de travail allait prendre fin, j'ai été très déçu. […] Ma question est la suivante : après avoir échoué pendant des décennies dans la lutte contre le racisme, pourquoi arrêter quelque chose qui commence à marcher ? Est-ce que la Fifa est satisfaite avant le Mondial en Russie ? Cela n'a pas de sens », s'est-il offusqué.

Quant à l'association britannique Kick It Out, qui lutte depuis 23 ans contre les discriminations dans le football, elle craint que « toutes les organisations qui agissent contre le racisme et les discriminations [puissent] être profondément découragées d'apprendre la dissolution de ce groupe de travail ».

lepoint.fr

Vendredi 30 Septembre 2016 - 15:53


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