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Insertion des enfants de la rue à Saint louis : Combat de nuit pour sauver les talibés



Quand ils ne peuvent plus résister à leur condition de talibés, taillables et corvéables, ils s’enfuient des daaras et se retrouvent dans la rue. En fin de compte, ils sont exposés aux dangers de la rue et se retrouvent à la solde des faxmen de Saint-Louis. Afin de protéger les enfants, l’activiste Issa Kouyaté patrouille les rues de la ville centenaire pour leur garantir un autre avenir.
Ils profitent de l’opacité de l’obscurité pour échapper aux rigueurs des daaras et rejoindre des endroits peu fréquentables. Là ils flirtent pourtant avec des individus peu fréquentables. C’est l’univers des faxmen. A Saint-Louis, plusieurs talibés atterrissent dans ces lieux infects pour fuir la main lourde du marabout qui attend sous sa tente d’homme religieux jouissant de l’impunité le versement quotidien. Ce châtiment corporel auquel ils sont astreints en cas de ratage les pousse à déserter le domicile du marabout pour s’inventer un autre destin aussi cruel que le précédent.
Incapables de résister à la maltraitance et la misère dans leur daara ou simplement préférant les ruelles abandonnées, ils fuguent et se mettent à l’abri à proximité du quartier des pêcheurs, Guet Ndar, à Saint-Louis. Ils restent néanmoins en danger, exploités et agressés par les faxmen. Au cœur de cet environnement hostile, ils sont déconnectés de leurs parents et se retrouvent comme curateurs des eaux usées. Ils peuvent par contre compter sur un allié de taille.
Issa Kouyaté concentre sa vie autour de ce combat. Il essaie de les éloigner de la rue, les offre une oreille attentive, un abri pour la nuit et un soutien pour la vie. Il patrouille lui-même dans les rues obscures de Saint-Louis  pour les tirer des endroits hostiles. Parfois, ils dorment sur des filets de pêche et souvent juste sur le trottoir.
En cette nuit de patrouille, il retrouve deux petits garçons, âgés de seulement dix ans. Accroupis sur le trottoir, tee-shirts enveloppés sur la tête, ils tentent vainement de se protéger contre les  moustiques et le froid glacial de Saint-Louis. Com­ment se sentent-ils ? Réveillés en pleine nuit par un inconnu qui leur offre son aide, ils font comme si de rien n’était. Issa Kouyaté sait comment traiter les enfants et gagner leur confiance. Les questions sont simples, mais gonflées de pertinence. Pourquoi dormez-vous dans la rue ? Par le biais de son expérience, il essaie de les sensibiliser sur la dangerosité de cet endroit.
Aux deux garçons, il leur offre cette nuit un gîte et un couvert. Ou il leur propose de les accompagner à leur daara ou de les aider à trouver une solution les jours suivants. «Je peux être ton garde du corps», explique-t-il au garçon qui a choisi de rentrer à son daara. Il s’éclipse avec lui dans les ruelles obscures de Saint-Louis pour le raccompagner auprès de son marabout. La pleine lune éclaire leur chemin quand ils marchent, silencieux, côte à côte. Leurs discussions déchirent parfois le silence de la nuit.
Le daara où Issa Kouyaté dépose le talibé n’est pas une vraie maison, mais plutôt une combinaison de murs sans toit, complétés par quelques panneaux de tissus, bordés par des déchets. Située à quelques jets de pierres de la mer, une puissante vague peut à tout moment emporter la baraque pleine d’enfants endormis. «Le marabout n’est jamais là», explique le petit garçon avant de tourner le dos et rentrer chez lui.
Le second garçon décroché par Issa Kouyaté choisit de rejoindre la Maison de la gare. Il suit cet inconnu jusqu’à sa maison. Cette nuit, il va dormir sur un matelas dans le salon de ce centre d’accueil. Sans se soucier de son interlocuteur, il le suit comme si de rien n’était. «Demain, on va tout régler», promet Issa. Il s’agenouille devant le garçon et éteint la lumière. Demain, ce sera sans doute un autre jour.

Issa Kouyaté, l’éclair du soir
Cette image constitue la triste réalité que renvoient plusieurs daaras notamment à Saint-Louis. Issa Kouyaté, activiste, essaie chaque jour de retourner ces enfants de la rue dans leur cocon d’origine. Au-delà de ces activités de maraude, ce bon samaritain gère un centre pour les talibés à Saint-Louis. La Maison de la gare offre à ces mômes un soutien psychologique et médical, l’accès aux services hygiéniques  et aux vêtements, à la nourriture, à un abri pour se reposer et à la chaleur humaine. Ici, ils se retrouvent entre amis pour oublier la rude vie de la rue pendant quelques instants. Dans ce centre, ils font leur linge et s’occupent de leur hygiène buccale en se brossant avec de nouvelles brosses à dents offertes par Issa Kouyaté. C’est la belle vie. On les voit rire et courir dans la cour du centre. Ils jouent au foot et du tambour.

Talibés 2.0
A l’intérieur de la bibliothèque du centre, certains se bousculent pour vérifier facebook et regarder des vidéos sur Youtube. «Et c’est exactement ce qu’ils voudraient, mener une vie normale», sérine Issa Kouyaté. «Les talibés ne veulent pas être traités avec pitié, mais avec respect. Dans les rues sénégalaises, ils sont un phénomène tellement banal que les gens ne les remarquent plus. Il faut parler avec eux, demander leur nom, engager une conversation même si on ne les donne pas de l’argent», dit-il.  «Ils ont besoin et aussi méritent notre attention et notre admiration. Et surtout ils sont des humains et pas des animaux laissés de côté», renchérit-il.
La population de la Maison de la gare s’occupe des tâches ménagères. Alors que la plupart d’entre eux ont seulement cinq ans. Malgré tout, ils dévoilent une impression de maturité et mettent en exergue leurs capacités extraordinaires de se prendre en charge. Au-delà de la mendicité, beaucoup d’entre eux aident des pêcheurs ou des ouvriers pour obtenir leur versement quotidien. Et économiser quelques francs pour acheter de nouveaux vêtements et payer un traitement médical.
Forcés de se comporter comme des adultes, ils peuvent devenir un atout pour l’avenir du Sénégal qui pourrait profiter de leurs capacités et leur immense persévérance. Mais ils représentent aussi un danger pour la société. Obligés de décrocher cette «ration quotidienne», ils volent et inventent des stratégies intelligentes, mais illégales pour survivre.
Peut-on blâmer ces enfants ? Bien sûr que non ! Laissés à eux-mêmes, ils se nourrissent de la délinquance en grandissant dans la rue, s’habituent à vivre dans la misère et la violence. A la place de leurs parents, les faxmen deviennent leurs modèles. C’est exactement ce que Issa Kou­yaté essaie de prévenir avec son travail continu. Sollicité tout le temps, il travaille sans arrêt. Le dernier coup de fil informe qu’un talibé a été retrouvé avec un corps béant de plaies. Ces blessures témoignent de la violente torture qu’il vient de subir. Ensuite, un appel d’un marabout, qui a perdu les traces de son disciple, demande à Issa de l’aider à le retrouver.
Passionnant, ce travail exige un engagement profond des autorités qui devraient renforcer les règles de protection des enfants. Et imposer aux parents de respecter leurs droits. A Saint-Louis, ce sont les marauds qui essaient d’accomplir ce travail dans l’obscurité de la nuit ou sous la chaleur diurne. Il est trois heures. Cette nuit, Issa Kouyaté ne dormira pas beaucoup. Demain, un autre jour se lève. Mais il reprendra son chemin pour retrouver ses talibés.
Source : Le quotidien


Dimanche 4 Mai 2014 - 12:44


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