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« J’espère que mon instinct maternel me sauvera du cannabis »

Ils sont des centaines de jeunes à découvrir les sensations euphoriques qu’il procure à l’adolescence ou à la fac. Ils enchaînent les joints sans se soucier des conséquences. Ce qui, au départ, devait être pour eux une quête de bien-être facile, devient très vite une source de mal-être.



« J’espère que mon instinct maternel me sauvera du cannabis »

La consommation du cannabis devient de plus en plus facile. Les femmes et les adolescents qui n’y avaient pas accès il y a quelques années, notamment avant la décennie noire, peuvent aujourd’hui en acheter sans difficulté. Portrait d’une consommatrice prise au piège.

Sarah, fumeuse de cannabis depuis plus de dix ans

«Je me sens esclave.» Chaque jour, le même rituel. Emietter la résine de cannabis dans du tabac pour rouler son joint. Le fumer captieusement avant d’en préparer un autre, presque machinalement. Plusieurs fois par jour, Sarah, 32 ans, fumeuse de cannabis depuis plus de dix ans, se délecte de l’euphorie et de la sensation d’apaisement qu’il lui procure, bouffée après bouffée.
Le cannabis fait partie intégrante de sa vie. Il structure presque ses journées. Elle s’habitue au manque, gère l’addiction, ignore sciemment le danger pour savourer un bien-être éphémère mais qui lui paraît tellement précieux. Un soulagement à chaque taffe. «C’est un plaisir, une philosophie de vie qui m’appartient», renchérit-t-elle.
Plus, une nécessité pour «calmer l’effervescence qu’il y a matin, midi et soir dans ma tête. Le cannabis me permet de souffler, de me détendre pour mieux affronter le quotidien». Un plaisir qu’elle paie cher  : marginalisation, addiction, anxiété constante liée à la planification de l’achat et de la consommation. Sarah s’enferme chaque jour dans un cercle vicieux d’anxiété provoquée par le cannabis que ce dernier est supposé soulager.
Ce qui, au départ, devait être une pure quête de bien-être est devenu avec les années une source de mal-être. Mais Sarah ne l’avoue qu’à demi-mot. Cette jeune femme svelte, coquette et enjouée, qui travaille dans une entreprise publique comme assistante de direction, a tout pour plaire. Sa carrière professionnelle est irréprochable. Sa vie privée l’est aussi. Mariée depuis trois ans, elle fait face à un homme qui accepte sa consommation. Ce qui lui donne une assurance sans faille.

Gêne et contradiction

«Je suis consciente d’être dépendante mais je ne dramatise pas plus que ça. C’est presque comme la cigarette», lâche-t-elle.
A la différence près que le cannabis qui contient de la THC est beaucoup plus toxique que le tabac. En dilatant les bronches et les alvéoles pulmonaires, le cannabis augmente les risques de cancer du poumon précoce et de défaillance respiratoires. En Algérie, les consommateurs associent la résine de cannabis au tabac, ce qui amplifie dangereusement ses effets néfastes sur le corps. Sans compter le fait que les consommateurs ignorent systématiquement la composition exacte de la résine qu’ils fument.
«C’est vrai, concède Sarah, ça me fait souvent peur de ne pas savoir ce que je fume exactement, mais pas assez pour arrêter», ajoute-t-elle en souriant.
Gêne et contradiction. Comment en est-elle arrivée là ? Sarah se rappelle de son premier joint.
«J’avais 16 ans, j’ai fumé un joint avec un cousin. A l’époque, c’était le plaisir de la découverte, je n’avais encore tissé aucun lien avec cette chose», lâche-t-elle, comme gênée, dans un rire nerveux. La consommation régulière a commencé bien plus tard pour elle. A la fac, où pour tuer le temps les joints passaient de main en main entre étudiants. «C’est parti très vite. On fumait tous les jours pour s’amuser, se lâcher, pour tromper l’ennui», raconte-t-elle.
Les semaines, les mois et les années passent, l’envie de fumer devient incontournable. Sarah et ses amis de fac associent tous leurs moments de détente au cannabis.
«On faisait des plans, on cotisait pour s’en procurer. Au départ, c’était amusant ; quand c’est devenu contraignant, il était déjà trop précieux.»
Ce qui était un plaisir de groupe devient très vite un besoin qui se vit seul. Après quelques années, Sarah est entrée dans la phase de gestion : budget et réseaux pour s’en procurer. C’est à ce moment précis qu’elle rencontre Hassan, qui deviendra quelques années plus tard son mari.

Un mari tolérant

«Hassan n’est pas un fumeur de cannabis. Ça lui arrive de goûter avec moi mais, sans plus.» Hassan est persuadé que Sarah finira par décrocher. «Je lui ai promis d’arrêter de fumer quand on se décidera à avoir un enfant.» Sarah y pense de plus en plus. «Quelque part, si je me laisse autant aller, c’est parce que je sais qu’un jour mon instinct maternel me sauvera. Je l’espère. J’aimerais avoir un enfant un jour. Ce jour-là, j’arrêterai forcément. On en parle beaucoup avec Hassan, mon mari.» Hassan aime me rappeler souvent que «c’est ce que je lui ai promis avant qu’on se marie», ironise-t-elle.
En attendant, Sarah vacille entre plaisir et anxiété. La désintoxication lui fait-elle peur ? «Je n’ai pas le sentiment d’être une droguée. D’ailleurs, je n’ai jamais touché à aucune autre drogue. Je banalise beaucoup le cannabis, peut-être parce que sa consommation a été légalisée dans beaucoup de pays». Mais pas seulement. Le visage de Sarah se referme.
«L’image du drogué véhiculée dans la société me fait peur», explique-t-elle fermement, en serrant les mains. Et pour cause, Sarah est loin d’être une «camée» comme on pourrait se l’imaginer.
L’attitude altière de cette jeune femme joviale et souriante ne trahit en rien son addiction au cannabis. Comme elle tient à le préciser, elle vit sa vie le plus normalement du monde. «Je travaille, je suis mariée et le fait d’être une fumeuse de cannabis n’empiète pas sur ma vie professionnelle ou privée.» C’est peut-être là que réside tout le drame de sa situation.

«Je vous fais de la peine ?»

Après plus de dix ans de consommation de cannabis, Sarah n’a jamais essayé d’arrêter. «J’aime trop ça. C’est tellement bon et je le gère si bien !», lâche-t-elle dans un sourire malicieux. Un moment de silence. Sarah porte sa main sur ses longs cheveux noirs, puis ose cette question : «Je vous fait de la peine ?» La journaliste ose une réponse convenue : «oui». Les traits fins de son visage se creusent d’inquiétude. Sarah sourit tristement.
«Il y a de quoi nous plaindre. On s’imagine qu’on peut arrêter à n’importe quel moment, on se sent fort mais en vérité notre addiction nous fait perdre le contrôle, on se marginalise et on passe à côté de beaucoup de choses, tout en bousillant notre santé», tranche-t-elle.
Sarah semble maintenant dépitée. Presque horripilée par sa situation. A peine quelques instants avant de la revendiquer une nouvelle fois avec force. Sarah regarde sa montre. Elle est pressée de s’en aller. «J’avoue que je suis pressée de rentrer. Le joint de la fin de journée est précieux, il est déjà 18h30». «Mais il ne faut pas dramatiser, ce n’est pas si grave et j’en suis la preuve, je le vis très bien», souligne-t-elle fièrement. Comme si la seule chose qui lui restait à faire face à cette addiction qui la mine était de finir par l’aimer, à défaut de s’en débarrasser.

Slateafrique

Jeudi 2 Octobre 2014 - 11:40


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