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Maîtrise de la communication et enjeux géopolitiques modernes



Maîtrise de la communication et enjeux géopolitiques modernes
L’homme est un faisceau ou, plus exactement, un tissu d’informations. Nous sommes conscience, raison, esprit, etc. : tout ceci est vrai, mais l’homme est avant tout un nœud d’informations reçues et/ou transmises. Parmi les sciences qui se sont développées, les plus utiles restent, sans aucun doute, celles qui portent sur le langage et les formes ou extensions de celui-ci : information, communication, TIC, etc. L’homme peut s’abstenir momentanément de manger et de boire, mais il ne peut se passer du langage, car tant que nous vivons nous pensons, or penser c’est encore user du langage. Au regard de toutes ces considérations, il apparaît clairement que l’un des enjeux de la modernité reste la production et la gestion de l’information. L’information c’est le politique, c’est l’économique, c’est le social, c’est le savoir, c’est le pouvoir : bref c’est l’humain. La plus redoutable machine de guerre au monde apparaît inefficiente sans le contrôle et la maîtrise de l’information. Le plus grand homme politique est inefficace sans la maîtrise de sa communication et même des exigences de la communication en général.
 
Dans tous les secteurs de la vie, dans toutes les entreprises humaines, les hommes qui dominent sont d’abord ceux qui contrôlent l’information. Quiconque manipule l’information manipule les consciences humaines, car une conscience est comme une puce électronique dont l’essence réside dans la capture, l’accumulation et le traitement d’informations. Dans l’antiquité déjà, Aristote comparait l’âme humaine à une feuille blanche qui, tout au début, était vierge mais qui acquiert progressivement, au gré de l’expérience multiforme, des caractères et des contenus divers. L’évolution des TIC semble confirmer ces propos d’Aristote : la cybernétique apprend à l’homme ce qu’il est réellement après avoir été conçue par ce dernier.  L’homme est comparable à un logiciel informatique : nous ne faisons que combiner des informations ou des perceptions venues d’horizons divers et sous ce rapport, notre intelligence et nos performances linguistiques nous appartiennent moins que nous ne le croyons.
 
Dans un petit livre didactique intitulé « C’est quoi l’intelligence? » Albert Jacquard montre qu’il nous arrive souvent de nous vanter d’avoir une intuition originale alors qu’au fond ce n’est que l’écho des pensées d’autrui que nous avons accumulées, assimilées et intégrés dans le patrimoine intellectuel que nous croyons être le nôtre alors qu’ils est commun ou social. La célèbre formule de La Bruyère « tout est dit et l’on vient trop tard » trouve ici une certaine pertinence : notre univers linguistique et mental est formé à partir des données qui nous sont transmises par le biais de l’éducation, de sorte qu’on n’est jamais totalement original. L’espace social est fondamentalement tissé autour de l’information et ce principe, les régimes autoritaires comme ceux démocratiques l’ont tous compris et exploité en en abusant même parfois. Le cas Berlusconi en Italie montre à suffisance combien le contrôle de l’information et de la communication est devenu un enjeu fondamental dans la gestion des affaires humaines et principalement en démocratie. Le phénomène Obama aux USA n’aurait jamais pu avoir lieu s’il n’était pas fondé sur un investissement total de l’information par le recours, notamment, aux TIC. Les associations civiles très nombreuses et très dynamiques aux USA sont cependant des média parallèles qui ont pu résister à l’aura exceptionnel d’Obama.
 
La place que l’information occupe aujourd’hui dans la politique et la géopolitique est absolument sans précédant : les guerres sont justifiées et gagnées par le biais de l’information, les pouvoirs politiques sont conquis, conservés et légitimés par le canal de l’information. La crise russo-géorgienne et celle entre Russes et Ukrainiens montrent à quel point le traitement de l’information était fondamental dans le jugement que l’opinion publique mondiale se fait de la justesse d’une guerre : à mesure que la contre-propagande russe s’imposait dans le monde, les occidentaux tempéraient leur sentence unilatérale sur la responsabilité et la culpabilité de Moscou. La Géorgie qui accusait la Russie de crimes de génocide et d’épuration ethnique s’est vue à son tour accusée de la même forfaiture en Ossétie. De telles manœuvres montrent clairement que l’information de la guerre est fatalement aussi une guerre de l’information : ce qui est juste ou injuste se décide d’abord sur le plan médiatique avant d’être soldé sur le terrain politique et militaire.
 
Sur le plan de la politique intérieure les média ne sont plus seulement des moyens politiques : on assiste ici à une véritable révolution copernicienne dans le rapport entre le politique et le médiatique, car l’espace médiatique est devenu le lieu privilégié de dévolution du pouvoir politique. Macky Sall doit beaucouop à Abou Abel Thiam, Alioune Fall, Yakham Mbaye, etc. : ils ont systématiquement investi les médias après la disgrâce de ce dernier dans le régime de Wade. Ils avaient pris le grand soin de pas révéler au grand public leur proximité avec Macky et leur opération de « story telling » s’en est très bien porté. On parle de plus en plus aujourd’hui de talents médiatiques, et, plus particulièrement, de talents télévisuels des politiciens parce que le choix des hommes se fait davantage aujourd’hui en fonction de leur prestation à la télévision. Au Sénégal et en France les politiciens le comprennent tellement bien qu’ils cherchent des alliances et des contacts dans tous les groupes de presse pour se faire inviter dans les studios télé et radio en vue de faire valoir leur talent. L’ancien porte-parole de l’ancien PR sénégalais (peut être considéré comme étant un parfait produit de la politique dans les limites de l’univers médiatique : il ne doit son ascension à aucune force électorale, ni à aucun charisme politique ; son aura est purement médiatique. En France la promotion de beaucoup de personnalités dans l’entourage de Sarkozy s’était fait sur la base de la valeur médiatique des hommes et non sur une quelconque autre base politique. Sarkozy lui-même est tellement médiatique qu’il peuple abondamment l’univers mental des Français. La situation actuelle est donc la suivante : la valeur politique des hommes se mesure par leur valeur médiatique. Or là où le bât blesse dans cette affaire c’est que le monde des média ne donne par forcément la valeur intrinsèque de l’homme, car les manipulations dans ce domaine relèvent presque de la prestidigitation. Il n’y a donc pas de doute que pour quiconque veut accéder au pouvoir ou conserver celui-ci, la voie royale reste une bonne prestance médiatique.
 
 Lorsqu’un homme politique américain suggérait que pour être adroit en communication il fallait répondre non à la question posée mais à celle que l’on aurait aimé qu’elle soit posée, c’était justement pour montrer que dès que l’information et la communication échappent à son contrôle, l’homme politique devient une proie facile. La Chine, la Corée du nord et l’Iran sont réputés être des pays fermés mais c’est une question de survie politique pour eux : le jour où les médias occidentaux pénétreront les consciences des citoyens de ces pays, ils abattront le socle politique qui les spécifie de la perception occidentale du monde. Les pays africains quant à eux ne savent pas ce qu’ils perdent en se faisant remorquer sur le plan de l’information et de la communication par les médias occidentaux : nous sommes totalement façonnés suivant le modèle occidental et cela nous ôte toute faculté de penser les problèmes du monde en dehors du schéma qu’il nous impose. Le pluralisme médiatique des démocraties occidentales n’a jamais permis de mettre fin à l’unilatéralisme qui caractérise la perception que les occidentaux ont du monde ; et tant qu’il en sera ainsi, l’occident décidera du destin du monde et les autres le subiront. Il nous faut impérativement et rapidement créer de grands média panafricains si nous voulons être présents et visibles sur la scène internationale.

Alassane K. KITANE, professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

Dimanche 17 Avril 2016 - 18:07


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