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Un juge raconte l'horreur de l'occupation djihadiste à Tombouctou

Le magistrat Patrick Ramaël qui vient de participer à une enquête menée par la FIDH sur les exactions des djihadistes à Tombouctou entre 2012 et 2013, revient sur cette période de chaos.



Nous sommes le 1er avril 2012. Il est 6 heures du matin. Les milices arabes de la ville de Tombouctou prennent la ville aux Forces armées maliennes (FAMA) et la livrent aux Touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) qui s’en fait chasser le lendemain par les djihadistes d’Ansar Dine et d’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). Ces derniers vont soumettre pendant plus de dix mois les populations à un régime de terreur basé sur la charia. Ils mettent en place des institutions islamiques, dirigées par des natifs de Tombouctou, chargées de faire appliquer la loi islamique. Il faudra attendre le 28 janvier 2013, pour voir ces institutions tomber, deux semaines après le début de l’intervention militaire française au Mali.

Sept organisations de défense des droits de l’homme ont déposé le 6 mars 2015, auprès du tribunal de Bamako, une plainte visant 15 auteurs présumés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pour des actes commis durant cette période de chaos. Le magistrat Patrick Ramaël qui vient de participer à une enquête menée par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) sur les exactions de ces groupes djihadistes, revient sur ces dix mois d’horreur.

Qu’avez-vous découvert sur ces mouvements islamistes durant votre enquête ?

C’est impressionnant. Ils se sont attaqués aux mausolées, ont détruit plus de 4.000 manuscrits. Mais surtout ils ont mis en place tout un tas d’interdictions et de règles d’un autre âge. Le film Timbuctu montre d’ailleurs assez bien cela. Pour une infraction routière, vous aviez le choix entre payer directement une amende ou recevoir dix coups de fouet. La musique et la télévision étaient interdites. Ils réquisitionnaient d’ailleurs les téléviseurs pour eux… Un frère et sa sœur n’avaient aussi pas le droit de marcher dans la rue côte à côte. De manière générale, il y avait une très forte immixtion dans la sphère privée. Ils rentraient dans les cours d’immeubles. Ils s’en prenaient à des musulmans pratiquants. Des femmes qui n’étaient pas assez voilées étaient emmenées au commissariat, elles étaient séquestrées et souvent violées.

Il y avait aussi chez les djihadistes une vraie obsession des cigarettes. Les stocks de cigarettes étaient brûlés sur place et si vous étiez pris en train de fumer vous receviez des coups de fouet. On a eu affaire à un cas où ils ont arrêté un homme. Ils l’ont emprisonné, emmené près d’une rivière, l’ont mis dans un sac cousu et l'ont menacé de le jeter dans la rivière puisqu’il ne voulait pas dire qui lui avait fourni les cigarettes. Ils lui ont ensuite dit qu’ils allaient lui donner de l’argent pour le dédommager mais qu’il fallait qu’il donne des noms.

Combien de femmes ont été victimes de viol durant cette période ?

Nous n’avons pas de chiffres précis mais le viol était utilisé comme une arme de guerre, de façon quasi-systématique. On a interrogé une quarantaine de femmes violées. Ces viols étaient très souvent liés aux mariages forcés. On nous a raconté une situation où les djihadistes se sont rendus dans une famille. Ils ont demandé au père s’il était d’accord pour que sa fille se marie avec l’un des leurs moyennant 20.000 franc CFA (environ 30 euros). Le soir elle a été violée par quatre hommes différents. Ils avaient tous donné 5.000 Franc CFA. Ce genre de situation était assez fréquente. Quelques mois plus tard, la fille a été emmenée devant le tribunal islamique et le juge l’a "démariée". Elle s’est vu infliger une peine d’amende de 5.000 franc CFA (7,50 euros).

Quel était le profil des chefs qui dirigeaient la ville ?

La ville tenait avec quelques personnages. L’un des plus importants étaient le juge du tribunal Islamique, Ag Alfousseyni Houka Houka. Il a ordonné tout un tas d’amputations, de lapidations, de flagellations et d’arrestations arbitraires. Il a signé des reçus de rançons de plusieurs millions de francs CFA. Le chef de la police islamique était lui un ouvrier. Il donnait ses ordres dans une ancienne banque qui faisait office de commissariat. Le tribunal islamique se trouvait quant à lui dans un hôtel. Il y avait aussi une brigade des mœurs avec un chef important. Il faut également souligner l’importance des moyens financiers dont ils disposaient.Aqmi avait beaucoup d’argent. Ils essayaient d’acheter des gens. "Si vous travaillez pour nous, vous gagnerez 60.000 franc CFA (90 euros) par mois" disaient-ils aux gens. Pour toutes ces raisons, il est très important de ne pas laisser ces crimes impunis. La justice malienne doit agir.

 


Malijet

Dimanche 22 Mars 2015 - 15:29


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