Attentat Habyarimana : Kigali attend un «non-lieu» après le rapport d'expertise français

Le Rwanda s'attend désormais à un «non-lieu» pour les 7 inculpés dans l'enquête sur l'attentat contre l'avion du président Habyarimana en 1994, après le rapport d'experts publié ce 10 janvier à Paris. Le rapport, contredisant celui du juge Bruguière, indique que le missile tiré contre l'avion est parti d'un camp tenu par les FAR, Forces armées rwandaises de l'ancien régime. Sept anciens cadres du Front patriotique rwandais, proches de l'actuel président rwandais, Paul Kagame, ont été inculpés en France pour leur participation présumée à cet attentat considéré comme l'élément déclencheur du génocide.



Un survivant du génocide et guide du mémorial regarde un panneau de photos du génocide, à Kigali. AFP/Gianluigi Guercia
En 2006, se basant sur des témoignages recueillis à Paris, le juge Bruguière lance des mandats d'arrêts contre neuf proches du président rwandais Paul Kagamé. Tous soupçonnés d'avoir pris part à l'attentat contre l'avion du président Habyiarimana.

Lorsque le juge Trevidic reprend le dossier en 2008, il envisage de renvoyer sept des neuf personnes devant une cour d'Assises. C'est alors que Rose Kabuyé, chef du protocole du président rwandais et figurant parmi les personnes recherchées, est arrêtée en Allemagne et extradée en France. Le juge Trevidic met en place une stratégie. En échange de la levée des mandats d'arrêt, ce qui permet aux Rwandais de retrouver une liberté de mouvement, le magistrat les met en examen.

Pour les interroger, ils conviennent de se retrouver en terrain neutre, au Burundi. Poursuivant ses investigations, le juge Trevidic explore une piste omise jusqu'alors par son prédécesseur, l'expertise balistique. Il se rend au Rwanda en 2010 avec les experts et les avocats de la défense.

Aujourd'hui, alors que l'enquête balistique semble disculper les sept inculpés, ceux ci espèrent bénéficier d'un non-lieu. Leurs avocats vont même plus loin, envisageant de porter plainte pour escroquerie en bande organisée étant donné la nature des témoignages recueillis par le juge Bruguière en 2006.

Maître Léon Lef Foster, Avocat des responsables FPR mis en examen: "Kanombé est un camp militaire très protégé, il est impossible d'imaginer que quelqu'un de non autorisé ait pu y pénétrer. Nous pensons que l'hypothèse vraisemblable est que l'attentat était la mise en oeuvre d'un coup d'Etat, et que le génocide était préparé au préalable".

Les sept seront-ils lavés de tout soupçon ? Seule le juge peut en décider. C'est en tous cas une nouvelle enquête qui s'ouvre à lui. Il devra notamment déterminer pourquoi dans ce dossier, il y a eu de nombreux faux témoignages.

Mais malgré cela, l'opposition rwandaise, au sein de laquelle on retrouve certains anciens proches de Paul Kagamé, continue d'accuser le FPR d'avoir été à l'origine de cet attentat. Selon elle, l'ex-rébellion a très bien pu s'infiltrer dans le camp de Kanombé.

L'avocat de la veuve de Jean-Michel Perrine, le mécanicien-navigant sur l'avion abattu nuance aussi. Il rappelle que le rapport ne désigne pas les tireurs. L'enquete doit donc continuer estime Maître Emmanuel Bidanda.

Maître Emmanuel Bidanda, Avocat de la veuve de Jean-Michel Perrine, le mécanicien-navigant sur le Falcon, l'avion abattu: "Ce rapport apporte des précisions, mais il ouvre d'autres questions. Mes clients veulent savoir ce qui s'est passé et qui a tiré, pour le compte de qui".

Vers un apurement du contentieux politico-diplomatique entre Paris et Kigali?

Kigali attend désormais un «non-lieu» pour les sept proches du président Kagamé mis en examen en France. Mais d'ores et déjà la ministre des Affaires étrangères rwandaise se félicite de la réorientation de l'enquête car elle permet à la France et au Rwanda de franchir un pas de plus sur le chemin de la normalisation de leur relations.

Louise Mushikiwabo se félicite de la réorientation de l’enquête : « Tout ce qui vient apporter un niveau de sérénité à ces relations, tout ce qui vient replacer l’histoire du génocide de 1994 où cette histoire devrait être, ne peut être que bénéfique aux relations bilatérales».

A Paris en novembre dernier, Paul Kagamé avait dit qu'il ne demandait pas d'excuses à la France. Le président rwandais avait ajouté, cela dit, « je ne veux forcer personne à s'excuser ». Il faut sans doute comprendre qu'il apprécierait que la France se livre à un examen de conscience sur son histoire au Rwanda.

Autre point de friction, Kigali se manifeste régulièrement auprès de Paris pour prendre des nouvelles du dossier de la vingtaine de présumés génocidaires résidant en France, un dossier actuellement instruit devant le tribunal de grande instance de Paris. Kigali souhaite que les présumés génocidaires soient jugés rapidement.

Enfin, il y a le cas Juppé, qui était ministre des Affaires étrangères au moment du génocide de 1994. Juppé n'est pas le bienvenu au Rwanda. Paul Kagamé lui même l'a dit. Kigali a mis ses accusations en sourdine, mais le ministre d’Etat français ne souhaite pas s'y rendre tant qu'un rapport d'enquête commandé par Kigali, et qui accable de hauts responsables français dont Alain Juppé, sera en circulation.
Source: RFI

Charles Thialice SENGHOR

Jeudi 12 Janvier 2012 10:24


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