Baidoa, ancien bastion des shebabs, tombée aux mains des Ethiopiens

Le 22 février 2012, l’armée éthiopienne s’est emparée de Baidoa, à plus de 200 kilomètres de la frontière, en territoire somalien. La plupart des shebabs s’étaient retirés avant l’incursion qui n’a été émaillée que d’affrontements localisés. Les Ethiopiens ont occupé la Somalie de 2006 à début 2009. Deux ans après leur retrait, les voici de retour, mais pour combien de temps et avec quelle stratégie ? Reportage.



Un soldat éthiopien adossé au mur du quartier général des Ethiopiens à Baidoa, ancienne base des shebabs. RFI/Stéphanie Braquehais
L’ancienne résidence du gouverneur, sous Siad Barré, n’est plus qu’une lugubre bâtisse. Dans certaines pièces et sur le toit aménagé en terrasse, des carrés en béton signalent l’emplacement d’espaces fleuris et de plans d’eau, vestiges d’une splendeur bien lointaine. Ils sont désormais engloutis par les détritus et les mauvaises herbes.

Ce lieu était occupé, il y a encore quinze jours, par les shebabs qui ont constellé les murs de graffitis représentant des armes à feu, des drapeaux djihadistes, et de messages invitant à «craindre la colère d’Allah». «Nous avons vu des combattants très jeunes, ils se font laver le cerveau et ne pensent qu’au djihad», explique le capitaine Mahamud Yissak des Forces nationales de Défense éthiopienne (ENDF), qui parle le somali.

L’armée éthiopienne a invité, fait rare, un groupe de journalistes internationaux à visiter Baidoa, dont elle s'est emparée récemment. L’objectif est de convaincre que ce retour en Somalie n’est voué ni à durer, ni à virer au même fiasco qu’il y a deux ans : fin 2006, l’armée éthiopienne, soutenue par les Etats-Unis arrivait jusqu’à Mogadiscio pour y chasser les tribunaux islamiques. L’occupation qui s’ensuivit avait nourri une résistance acharnée et permis aux shebabs, alors minoritaires, de recruter activement en capitalisant sur le sentiment nationaliste et la haine de l’occupant.

Réconciliation ?

Voici donc les Ethiopiens de retour, avec leurs alliés somaliens qu’ils sont soucieux de mettre en avant. Parmi eux, Muhamed Ibrahim surnommé «Habsade», dont, présage ou non, une des significations en somali est «celui qui prend tout». Cet homme à la barbe blanche, a plusieurs casquettes: chef de milice, député et ancien ministre. «J’ai été parmi les derniers au sein du gouvernement de transition à quitter la ville de Baidoa. Et j’ai été le premier député à revenir ici. C’est comme si la population était dans le coma et qu’elle revenait à la vie», dit-il. Pourtant, Baidoa ressemble encore pour le moment à une ville fantôme et un certain nombre de commerçants n’ont pas encore osé rouvrir boutique de crainte de représailles de la part des shebabs.

Maintenant que ses ennemis ont été défaits par l’armée voisine, faut-il inviter tout le monde autour de la table? Muktar Robow, membre des shebabs, est une personnalité importante parmi la confédération clanique des Rahanweyn, prédominants dans la région. Il régnait sur la ville avec ses troupes, financées en grande partie par les revenus issus du port de Kismayo. Car la région de Bay, constituée principalement de petites exploitations agricoles ne produit guère de revenus, si ce n’est ceux issus des extorsions aux barrages routiers. Abdifatah Gesey, l’ancien gouverneur de Baidoa et vêtu d’un uniforme militaire, semble réticent à envisager une quelconque réconciliation. « Robow n’est pas fiable. Il est et restera membre d’al-Qaïda», réplique-t-il, lapidaire.

Ambitions politiques

L’Ethiopie entraîne et finance depuis des années des groupes armés somaliens le long de la frontière, entre autres, des milices Rahanweyn, mais aussi les Al Sunna Wal Jama, d’obédience soufi qui ont pris les armes contre les shebabs. Un investissement qui permet de garder en permanence une influence sur qui contrôle quoi et où en Somalie.

Un de leurs poulains est le président du Parlement, Sheikh Hassan Sheikh Aden, un homme d’affaires très riche, virtuose dans l’art de financer des allégeances et qui ne compte certainement pas rester les bras croisés.

La prise de la Baidoa n’est qu’une étape. Il faut pouvoir tenir la ville et les environs, malgré une résistance encore tenace des insurgés, et surtout, satisfaire les ambitions d’alliés qui ne sont pas forcément tous d’accord entre eux.
Source: RFI

Charles Thialice SENGHOR

Lundi 5 Mars 2012 09:39


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