Couvre-feu-Covid-19: les vendeuses de «Ndoggu» ont le blues

​Les années se succèdent, mais ne se ressemblent guère. Pour celle-ci, la communauté chrétienne et musulmane ont vécu un carême exceptionnel avec l’instauration du couvre-feu pour barrer la route à la propagation de la Covid-19. Une situation singulière pour la communauté musulmane du Sénégal qui a entamé le ramadan depuis le samedi dernier. Cette période bénie du ramadan a donc un parfum particulier avec la présence de la pandémie du coronavirus qui a donné un coup d’arrêt à presque toutes les activités économiques du pays. Créant ainsi le désarroi dans le secteur de l’informel, et singulièrement dans la vente du repas de rupture ou du début du jeûne. Une situation qui plonge beaucoup de ménages dans le désarroi.



Sur une ruelle passante des quartiers des Hlm, la dame Oumy Nd tient sa table où sont exposés différents produits. elle guette désespérément ses clients qui avaient l’habitude de prendre leur petit déjeuner dans un petit coin aménagé à quelques pas de la devanture de la maison. « Avant le ramadan, même si j’étais obligée de tirer les rideaux  dans  la soirée pour me conformer au couvre-feu, je m’en sortais un peu. Mais après deux journées, je me rends compte que  j’ai perdu une partie de ma clientèle », se désole la dame, les traits un peu tirés. sa table qui était le point de convergence du secteur de l’informel durant les ramadans, se trouve aujourd’hui complètement dégarnie. « Les   ouvriers, qui ont leurs  garages  dans le quartiers  et  ses alentours, venaient couper le  jeûne  avant de rallier  la  banlieue. Avec le couvre –feu, beaucoup d’entre eux  préfèrent  aujourd’hui rentrer  tôt », explique la dame qui cache mal sa désolation. La famille Mbaye qui tient également une table de fortune et qui tire ses revenus de ce petit commerce vit mal cette situation. « Vous  voyez,  il n’y a  presque pas  beaucoup de  clients. L’année dernière, on était débordé et il était impossible de satisfaire le monde  fou qui s’agglutinait autour de  notre  table.  Cette année, le client se  fait désirer » dit le père de famille qui dit avoir la hantise de lendemains très difficiles.

Ce, dès lors que c’est avec le produit de ce commerce qu’il entretient sa famille. La situation est la même en banlieue dakaroise. ndèye sène tient une petite cantine à côté d’une pharmacie à l’unité 12 de Keur Massar. en ce mois de ramadan, les habitudes changent. de ce fait, dès 17heures, elle expose ses produits. «Je  prie qu’Allah,  le Miséricorde, nous protège contre le coronavirus. Parce que tout est bloqué dans ce pays. Je ne peux que vendre ces quelques kilos de pain. J’ai juste  préparé  une  petite  quantité  pour  ne pas  devoir  gaspiller  mon  argent » explique la bonne dame qui juge que le couvre-feu de 20 H à 06 H du matin constitue un réel frein pour le développement de leurs activités. « Je suis obligée de plier bagages très tôt  à  cause  du  couvre- feu. Nous partageons le souci des autorités. La maladie est hyper contagieuse  et  fait des ravages » explique la jeune commerçante.

Chauffeurs et apprentis rentrent tôt Plus loin de la table de cette dame, juste devant la boulangerie « Jaune » de Keur Massar, une autre femme propose les mêmes mets. contrairement à celles des autres, sa table reçoit du monde. Gentiment, elle recommande à ses clients à respecter les règles de la distanciation. « L’année dernière,  je vendais jusqu’à 22 H. Après la rupture, les clients  se pressaient  encore. Surtout  ceux qui ne  prenaient pas le repas de  l’aube.  Mais aujourd’hui, tout cela est impossible », se désole notre interlocutrice qui avoue que malgré l’affluence de la clientèle, ses gains ne lui permettent plus d’entretenir la famille comme avant.

Tout en se remettant à Dieu, elle dit prier pour un retour à la vie normale. de l’autre côté de la rue de cette partie de la populeuse commune de Keur Massar, se trouve un garage de véhicules dit « super ». Une jeune fille de teint clair se faufile entre les véhicules pour proposer ses produits. Les traits tirés, elle juge la situation très difficile pour les petits commerces.« Franchement,  si  ça ne   tenait  qu’à moi, je rangerais la marmite  pour attendre des jours  meilleurs.  A  vrai dire, rien ne marche. Mes clients sont à majorité composés de chauffeurs et d’apprentis. Avant même la rupture, la majorité rentre. Les années précédentes,  ils  « coupaient »  tous le  jeûne  ici. Mais avec la situation de la pandémie, ceux   qui habitent  loin,  préfèrent  rentrer » dit –elle, l’air désabusé. Thilo Sow qui s’active dans le même coin préfère préparer une quantité raisonnable. Mais elle juge comme les autres la situation insupportable. « Ce n’est  vraiment pas le rush  comme l’année dernière. Déjà, bien avant même  le ramadan,  les  clients se faisaient  rares à cause  du  couvre-feu  et  surtout  de  la pandémie », confie la dame de forte corpulence. Ce que confirme cet habitué de ces restaurants de fortune. En effet , à en croire ce jeune ouvrier, beaucoup de personnes ont perdu l’habitude de manger dans la rue avec le développement de la pandémie. « Les gens ont vraiment  peur. Au-delà du couvre-feu et de l’ensemble des règles prises pour lutter contre la propagation de la pandémie de  la covid-19., les sénégalais sont en train de changer de comportements.  Ils  sont  maintenant convaincus  que le coronavirus tue. De ce fait, nul ne veut  être la prochaine cible de  la covid-19. Par conséquent, les gens achètent de moins en moins la nourriture de la rue », tente comme explication notre interlocuteur qui avoue avoir arrêté de manger dans la rue à cause de la propagation du virus. ce que semble bien avoir compris cette jeune fille que l’on croirait sortie d’une école de marketing.

« Bien avant  le ramadan, j’avais remarqué  ce changement.  Maintenant, j’ai adopté  une  autre stratégie  avec la formule du  repas à domicile.  Je  cuisine pour mes clients  habituels. Et avec  le soutien de  mon jeune  frère, je leur  fais livrer  leurs  commandes avant  l’heure  du  couvre-feu.  Certes,  les gains  ne sont  pas  les mêmes qu’avant, mais  ça me  permet  de tenir » confie notre interlocutrice.

Pendant que certains se désolent de la situation, la dame Aby Diop semble tirer son épingle du jeu. en effet, elle avoue ne pas sentir un coup de frein dans ses activités. Les « fataya » qu’elle propose s’écoulant comme de petits pains.

Désarroi dans certaines familles
Cependant dans leur écrasante majorité ces dames qui s’activent dans ce secteur de l’alimentation disent prier pour la fin de la pandémie. celle-ci les mettant dans le désarroi. « C’est avec  ce petit  commerce  que  j’entretiens  ma famille.  Avant  le ramadan, c’était   très difficile. Je    proposais    à  mes    clients deux  repas.  Aujourd’hui,  je me contente  d’un seul  que  je peine  à écouler  à cause  du couvre- feu » , se plaint la jeune restauratrice dont ses clients sont constitués d’ouvriers du secteur de l’informel , lesquels désertent leurs lieux de travail dès 18 heures. Ce que confirme ce menuisier métallique. « J’avais  l’habitude de couper le jeûne chez  ma  restauratrice attitrée. On pouvait  y rester jusqu’à  21 heures avant  de rentrer.  Ce n’est  plus  le cas. A cause  du couvre-feu, je  préfère  rentrer  tôt  ainsi  que tous  mes  collègues », confie le jeune ouvrier dans une chemise qui a connu de jours meilleurs.

Ces jeunes sont aussi confrontés à d’autres difficultés. en effet beaucoup d’entre eux se passent du repas de l’aube. « Je  n’ai  pas  pris  le repas  de l’aube depuis  le  début  du ramadan.  D’habitude,   je retrouvais la  vendeuse du coin de notre  quartier.  Ce qui n’est  plus possible », fait savoir ce jeune mécanicien spécialiste de la réparation de motos. des familles se trouvent également dans une situation intenable. avec la crise beaucoup peinaient à cuisiner. de ce fait, elles se restauraient dans la rue. « On se débrouille, mais ce  n’est  pas facile. Ne  pouvant pas nourrir toute  la famille, les enfants sont  notre  priorité.  Les adultes pourront   toujours  se  débrouiller  pour trouver  de quoi manger», explique cette mère de famille.

La situation exceptionnelle de ce ramadan avec l’instauration du couvre- feu a ainsi réussi à plonger beaucoup de familles dans la précarité et d’autres dans d’insoutenables difficultés autant dire que beaucoup de ménages tentent de survivre. 

Le Témoin

AYOBA FAYE

Mardi 28 Avril 2020 12:56


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