Crimes de guerre en Ukraine: où en est-on plus de trois mois après le début du conflit?

La commission d’enquête des Nations unies sur l’Ukraine présente, ce mercredi 15 juin, le rapport de son enquête sur les graves violations des droits de l’homme commises dans les régions de Kiev, Tchernihiv, Kharkiv et Soumy, entre la fin du mois de février et mars 2022. Le but de cette enquête est « de demander des comptes aux responsables. » Pour la première fois, avec ce conflit, les crimes de guerres sont documentés alors que les combats continuent. Comment se déroulent ces enquêtes ?



La guerre en Ukraine représente une première dans de nombreux domaines, en particulier en matière de justice et d’enquête sur les crimes de guerre qui ont été et sont encore commis. Cela pourrait bien marquer un avant et un après. Mais pourra-t-on espérer voir les coupables traduits en justice ?
 
C’est la première fois qu’autant d’acteurs participent à un effort de ce type, la première fois aussi que la justice enquête si vite, explique Clémence Bectarte, avocate et coordinatrice du groupe d'action judiciaire de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH). « Ces enquêtes sont tout d'abord sans précédent, explique-t-elle. On n'a jamais vu autant d'acteurs et de mécanismes d'enquête se mettre en place si tôt après le déclenchement d'un conflit, ce qui est rendu possible grâce à une mobilisation importante de la communauté internationale, notamment au niveau des Nations unies, mais aussi des États, qui ont appelé très tôt à l'ouverture d'une enquête par la Cour pénale internationale. On a donc aujourd'hui un effort très important, avec différents échelons qui enquêtent sur les crimes de guerre en train d'être perpétrés en Ukraine. »
 
Le nombre d’enquêteurs nommés par les différentes juridictions est impressionnant, tout comme le fait qu'ils puissent recueillir des preuves aussi rapidement. « On a aussi une très grande mobilisation sur le terrain, détaille Clémence Bectarte. Il faut le souligner, alors que cette guerre fait rage, il y a un accès important au terrain pour les ONG, et aussi pour les enquêteurs de diverses juridictions qui peuvent, en temps réel, recueillir des preuves et les témoignages des victimes. »
 
Il s'agit donc de l'une des premières fois que des enquêteurs travaillent sur des exactions, alors qu’à quelques kilomètres de là, les combats se poursuivent. Une rapidité d'action qui leur permet de collecter des preuves et de les archiver, alors qu'elles sont souvent très compliquées à obtenir.
 
L’ampleur du travail reste néanmoins colossale. « On parle aujourd'hui de plus de 13 000 incidents qui auraient été rapportés à la justice ukrainienne et qui font l'objet d'enquêtes qui pourraient mener à des qualifications de crimes de guerre », poursuit Clémence Bectarte.
 
La difficulté réside également dans le fait que ces crimes sont très divers et qu'ils ne se ressemblent pas forcément, comme le confie Belkis Wille, enquêtrice pour l’ONG Human Rights Watch, qui a justement travaillé sur des crimes commis à Tchernihiv : « Les types d'abus que nous avons documentés dans des zones comme Boutcha et d'autres zones en dehors de Kiev sont très différents des types d'attaques et d'abus que nous voyons dans la région de Tchernihiv, qui sont également très différents de ce que nous voyons dans une région comme Kharkiv ou dans le Donbass. C’est lié au fait que les unités militaires russes se comportent différemment. Elles utilisent différents types d'armes et ce qui se passe sur le terrain est donc très différent. »
 
L’espoir que les responsables soient jugés
Malgré la multiplicité des scénarii, qui complique la donne pour les enquêteurs sur place, la justice a tout même bon espoir de mener à terme son travail. « Il faut rappeler que le fait que ces enquêtes puissent intervenir en temps réel et au plus près des événements rend possible, voire même probable, la mise en œuvre d'un véritable processus de justice, espère Clémence Bectarte. C'est fondamental, en premier lieu pour les victimes, mais également pour lutter contre l'impunité, qui est l'une des causes du déclenchement de cette guerre. C'est parce que le régime de Vladimir Poutine et l'armée russe n'ont jamais été tenus responsables d'autres crimes commis, en Tchétchénie, à l'est de l'Ukraine, en Crimée et bien sûr en Syrie, que cette guerre a pu être menée et que ces crimes peuvent se perpétrer aujourd'hui. »
 
Mercredi 15 juin, la commission internationale d’enquête des Nations Unies sur l’Ukraine va remettre un rapport sur des crimes commis à Kiev, Tchernihiv, Kharkiv et Soumy. De nombreux autres vont malheureusement suivre. Reste à espérer qu’ils permettront de traduire en justice les responsables des crimes et que le conflit puisse marquer une rupture en matière de justice internationale.
 

RFI

Mercredi 15 Juin 2022 10:26


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