Criminaliser le viol, durcir les peines contre les coupables ne sont pas la solution, selon certains avocats

lors de la réunion du Conseil des ministres du mercredi 27 novembre dernier, le projet de loi modifiant la loi n° 65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal a été adopté. Il contient des chapitres visant à durcir la répression du viol et de la pédophilie et des sanctions pouvant aller jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité. Si des organisations féminines ont applaudi face à la volonté du chef de l’Etat de punir plus sévèrement ces « crimes », chez les avocats rencontrés au niveau tribunal de grande instance de Dakar, c’est la prudence qui pré- vaut. Selon eux, l’expérience montre que ce n’est pas en renforçant la criminalisation que ces délits vont connaitre une baisse. Ces hommes de l’art soutiennent qu’il faudrait plutôt insister sur l’éducation, la sensibilisation et le retour vers nos valeurs sociétales. Vaste programme…



 Alors que les organisations féminines applaudissent des deux mains face à la volonté du chef de l’Etat de criminaliser le viol et la pédophilie, chez les avocats c’est plutôt la prudence qui prévaut face à l’euphorie des bonnes dames. « C’est un problème de société qui mérite une bonne réflexion car le viol et la pédophilie sont des maux qui conti- nuent à gangrener la société sénégalaise » soutient Me Abdoulaye Tall. A en croire ce ténor du tribunal de Grande instance de Dakar, l’expérience a montré plusieurs fois que ce n’est pas en durcissant les peines qu’on arrive à régler certains problèmes.

« Je pense qu’en tant que président de la République, c’est le droit le plus absolu du président Macky Sall de demander des modifications de la loi ou d’élaborer une nouvelle politique. Mais moi mon problème, c’est au niveau de l’efficacité. Parce que l’expérience nous a appris que, pour toutes les matières où la législation a été modifiée pour écraser une infraction, pour durcir la peine, on a aggravé la procédure. Les résultats escomptés n’ont pas été atteints », soutient Me Tall.
Qui donne l’exemple du trafic de drogue avec la fameuse loi Abdoulatif Guèye. « On a criminalisé la drogue et on voit le résultat ! » Faisant dans l’ironie, l’avocat se demande si aujourd’hui le Sénégal n’est pas devenu un narco-Etat. Il se désole de cette manie de l’Etat à tout criminaliser, référence au vol de l’électricité et du bétail. « Je ne peux pas comprendre que, pour un moindre fait divers, on modifie des législation déjà existantes et déjà efficaces », déplore Me Tall qui pense que l’Etat essaie de faire plaisir à des organisations comme c’était le cas hier avec les éleveurs pour le vol du bétail.

Revenant sur le viol et la pédophilie, Me Tall estime qu’il faut faire la part des choses. « On peut certes criminaliser ces pratiques comme certains Etats l’ont fait. Cependant, je voudrais qu’on spécifie un peu disant par exemple que si le viol concerne un mineur de moins de 5 ans et s’il est avéré. Dans ce cas, essayer de rendre l’in- formation judiciaire obligatoire et essayer d’appliquer le maximum de la peine à savoir 20 ans », préconise Me Tall qui conseille à l’Etat de ne pas prendre des mesures à la hâte, ni d’essayer d’élaborer ou de légiférer au moindres fait divers.

L’avocat soutient que cette décision mérite une réflexion approfondie tout en tenant compte de nos réalités socioculturelles, en tenant compte également de nos réalités sociétales surtout avant d’élaborer des nouvelles législations. « L’aggravation de la peine, par expérience, nous a toujours démontré que ce n’est pas le meilleur moyen pour décourager les infractions. Donc, on a un problème de société. Le défi c’est de relever le problème au niveau de la société par la rééducation, la sensibilisation, l’éducation de base, renforcer les valeurs », préconise Me Tall qui pense que l’Etat a un grand rôle à jouer dans la préservation de nos valeurs. « On ne doit pas utiliser l’Assemblée nationale comme une arme fatale pour essayer de jouer contre les délinquants ou les récalcitrants », avertit Me Tall.

A en croire cet habitué de ces questions judiciaires, par expérience, le constat est toujours le même. « A chaque fois qu’on cherche à décourager des infractions, à décourager des délits, si on passe par le biais du durcissement de la peine, ça ne donne pas les résultats escomptés. Il faut qu’on organise des états généraux, qu’on s’asseye autour d’une table et se parler carré- ment pour voir là ou le mal sévit le plus. Voir si c’est un problème de législation ou si c’est un problème de procédure ou un problème de société », propose Me Abdoulaye Tall.

Pour Me Abdoulaye Diallo, aussi,  durcir la peine ne règle pas le problème

Quant à son confrère Me Abdoulaye Diallo, il soutient que c’est une bonne chose de vouloir apporter une réponse au viol et à la pédophilie. Cependant, fait-il savoir, la solution n’est pas de durcir la peine. «… C’est une loi. Est-ce qu’elle est conforme à la volonté populaire ou est-ce qu’elle n’est pas conforme ? Là, c’est un problème de légitimité qui se pose. Ce n’est pas un problème de légalité. Quels seront les effets de la loi envisagée par rapport aux actes qui sont commis ?» s’interroge-t-il. Me Abdoulaye Diallo se dit cependant convaincu que le viol, la pédophilie etc., sont des faits de société. « Il faut d’abord éduquer avant de sanctionner. Parce qu’on constate que si dans la plupart des cas, les viols ont lieu dans les domiciles, c’est la promiscuité qui le favorise » fait savoir l’avocat tout proposant qu’on axe les efforts sur la sensibilisation et l’éducation à travers une bonne communication.

Et au cas seulement où ça persisterait, recourir à une plus lourde sanction. « Ceux qui le font par simple plaisir arrêteront de le faire. Mais ceux qui le font par vice, c’est peut-être dans leur nature et c’est une déviance, une déviation sexuelle. De ce fait, je ne pense pas que le durcisse- ment des peines puisse quand même décou- rager ces personnes », soutient Me Diallo.

Pour Me Cheikh Ahmadou Ndiaye,  ça ne sert à rien de criminaliser

Quant à Me Cheikh Ahmadou Ndiaye, il conseille d’éviter de verser dans l’émotion. Il donne lui aussi l’exemple des résultats négatifs de la loi Latif Guèye criminalisant le trafic de la drogue. « Au départ, tout le monde avait applaudi. Mais à l’arrivée, nous, praticiens du droit, avons vu que c’est un véritable problème structurel. Et relative- ment au fonctionnement de la justice parce que finalement les peines qui sont appliquées, même si elles sont graves, n’ont pas dissuadé les vendeurs de drogue » soutient- il. Compte tenu de cette donne, Me Ndiaye pense « en toute humilité » que ça ne sert à rien de criminaliser le violet la pédophilie. « Il faut juste donner au juge les moyens d’appliquer la loi avec toute sa rigueur et ce n’est pas en criminalisant qu’on va entraîner la diminution de telles infractions. L’expérience l’a montré en Amérique, un pays où la peine de mort est le plus appliquée. Mais également, c’est le pays ou la délinquance est la plus accentuée.

Donc, il n’y a pas de rapport de cause à effet entre la criminalisation et la recrudescence ou la non recrudescence de ces infractions. Aujourd’hui tous les sociologues, tous les praticiens du droit, tous les acteurs de la justice sont d’accord sur ce phénomène et l’effet escompté, c’est la diminution de ces infractions. Et l’expérience a montré que là où on a criminalisé, ça n’a pas empêché la recrudescence de ces infractions », conclut Me Cheikh Ahmadou Ndiaye. Comme quoi, le président de la Ré- publique devrait y aller mollo mollo et éviter de se laisser influencer par les cris d’orfraie des organisations féministes… 

Le Témoin

AYOBA FAYE

Jeudi 5 Décembre 2019 10:14


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