(Dossier)A Madagascar : "Les manifestants ne soutiennent ni le maire, ni le président"

Dans un appel à témoignages lancé par Le Monde.fr, les habitants de Madagascar, Malgaches ou étrangers, dénoncent avec effroi le bain de sang du 7 février, à Antananarivo, et partagent une même méfiance envers le président, Marc Ravalomanana, et le maire de la capitale, Andry Rajoelina, pour sortir de la crise.



La grande île africaine encore plongée dans une crise
Le maire et le président (anonyme)

Le maire Rajoelina, fin communicateur, a su surfer grâce à son empire médiatique sur le mécontentement général de la population qui vit dans des conditions épouvantables. Ce n'était pas bien compliqué, au vu de la gestion du pays par le président, qui possède le quasi-monopole sur tous les produits alimentaires de base, entre autres. Il a pu s'exprimer alors que l'opposition avait été fermement muselée. Son objectif : prendre le pouvoir. Ses méthodes manquent certes de maturité mais il est prêt à tout. Il faut savoir que le régime en place a la mainmise sur beaucoup de secteurs économiques : transports, BTP, médias, etc. Les Malgaches ne se font aucune illusion sur les desseins du maire mais veulent tout de même la fin du régime en place.

Quant au président, on a vu sa ferme intention de mater le peuple. Sa situation devient délicate. Les instances internationales le lâchent doucement et depuis hier il est devenu indésirable. Il y avait tout de même la volonté de tuer. Pas de tir d'avertissement, au moins quarante morts, pour la plupart des gamins déshérités. Sans commentaire. Depuis c'est censure, zéro nouvelles de province, mais les vieux relents de l'histoire risquent de ressortir : les provinciaux n'aiment pas les dirigeants des hauts plateaux qui massacrent la foule. La population a été traumatisée par les images diffusées sur les quelques médias indépendants, moi aussi. C'était un carnage.

Des sacrifices pour rien, par Kaila

Il y a quelques semaines j'étais une fervente partisane de TGV [surnom du maire de la capitale, Andry Rajoelina]. Cependant, depuis quelques jours je désapprouve totalement sa conduite et ses actes face à la dégénération de la situation actuelle dans la capitale. Exemple le plus proche, l'envoi au suicide de plusieurs personnes probablement payées pour investir le pseudo-premier ministre de son pseudo-gouvernement. Il est fortement soutenu par les anciens membres du régime de Didier Ratsiraka, ancien président. Preuve d'un total mépris de la démocratie mais seulement utilisation de la population pour arriver à ses fins. De plus, j'ai fortement peur que tout cela n'ait été fait que dans le seul but de détruire la capitale qui actuellement est la plus affectée. Il ne faut pas non plus exagérer le fait que la population malgache soit derrière ce dernier. Seul un nombre peu important de partisans le suivent. Car si la population de Tana [Antananarivo] avait voulu vraiment prendre le palais samedi, elle y serait arrivée et sans effusion de sang. Mais que faut-il faire maintenant pour redresser la situation ? Etablir un directoire militaire peut-être, ou encore éliminer le problème directement à la racine en faisant taire les fous.

Les manifestants ne sont ni pour Ravalomanana, ni pour Rajoelina, par Pierre-Nicolas Guesdon
Il y a une semaine, "pour le moment on attend" était la réponse aux interrogations de mon entourage. Depuis, la foule a marché sur le palais présidentiel d'Ambotsirohitra. Bilan : des morts par dizaines, des blessés par centaines. Et pourtant la réponse est la même : on attend ! En mission à Fianarantsoa, je n'ai pas vécu les événéments de samedi dans la capitale. 400 km au sud, un rassemblement devant le Magro détruit, une estrade, des musiciens. Les manifestants ne sont ni pour Ravalomanana, ni pour TGV. Ils sont d'ailleurs prompts à dire qu'ils "s'occuperont de l'autre après". Reste à savoir dans quel ordre... Pour le moment, la rue annonce l'arrestation et le passage à tabac du leader TIM local [le parti du président].

Retour à Tana hier. Les barrages se sont multipliés sur la route, qui n'est pourtant pas bloquée. A Tana, chauffeurs de taxi, classe supérieure, collègues de travail : tous craignent que l'on s'enfonce dans la crise. Les jours précédents, l'affaire Daewoo, l'avion présidentiel, la fermeture de Viva étaient les critiques du pouvoir les plus souvent citées. Aujourd'hui, l'on se demande comment Ravalomanana peut s'en sortir après les morts de samedi. Dans le même temps, les critiques contre TGV fusent parfois : il aurait "envoyé des gamins à la mort". Au final, les gens sont contre Ravalomanana sans oser soutenir TGV, bref, on attend !

Tananarive sous tension, par Marie Fani

Depuis à peine un mois, je travaille en tant qu'infirmière auprès des enfants de la rue de Tana ; les premières manifestations étaient joyeuses. Le peuple malgache était plein d'espoir, confiant dans son jeune leader, le maire de Tananarive. Il est descendu dans la rue pour dire stop aux dépenses provocatrices de leur président, stop à la trop grande misère. Peu à peu avec les premiers affrontements et les pillages qui ont fait de nombreuses victimes, l'inquiétude peut se lire sur les visages, on craint que les réserves de riz diminuent, l'huile et l'essence augmentent, etc. Samedi dernier, ce fut un massacre ; le maire a envoyé le peuple à la boucherie ; les gardes du gouvernement ont tiré sans sommation sur des jeunes gens aux mains nues qui disaient juste leur désespoir de ne jamais voir un jour leur pays sortir de la misère ; la liste des morts est longue... ils ont tous moins de 30 ans, le plus jeune avait 8 ans.

Hier, journée de deuil, sans heurts dans le recueillement et le chagrin ; depuis rien ne va plus... les rues se sont vidées. Les bureaux ferment très tôt. Le couvre-feu débute à 20 heures jusqu'à 6 heures du matin ; les négociations ont l'air de piétiner... Il semble que le bras de fer entre ces deux hommes de même classe sociale n'a pas d'issue ; et pourtant ici chacun voudrait sortir de l'impasse qui ralentit les activités et accentue la misère ; les Malgaches malgré toutes ces injustices restent souriants et gardent leur légendaire gentillesse.

J'ai vu des gens se faire tirer dans le dos alors qu'ils fuyaient, par Mic

J'étais pile poil en face de la présidence quand les premiers coups de feux ont été tirés. Je n'en mène pas large. J'ai fait quelques clichés, bien entendu, et deux vidéos. Sur la première, j'étais dos à la présidence et l'on voit le cordon de police laisser passer les manifestants. Des gens simples, presque des "4 amis" comme on dit ici. Puis la foule arrive vers moi, je me retrouve au milieu et là... Une grenade pour faire peur et les premier tirs. Début de la deuxième vidéo. Je me mets à terre, je continue à filmer. A ma gauche une balle sur le sol, un gamin touché, derrière un jeune qui se couche à 50 cm de moi et qui est touché. Un massacre. J'ose relever un peu ma caméra et l'on voit les gens qui courent pour se mettre à l'abri et les coups de feu qui se poursuivent et qui tuent encore ou blessent mortellement. A ma gauche, un journaliste de l'AFP, de l'autre côté de la rue, à l'abri qui prend des photos, me shoote et me regarde blanc, livide... Il me demande si ça va et je lève mon pouce pour lui dire que pour l'instant ça va. Les tirs se poursuivent. Je n'ai pas entendu de sommation, j'ai vu des gens se faire tirer dans le dos alors qu'ils fuyaient. Un peu de répit, les coups de feu cessent. Je me relève et là spectacle de désolation, scène de guerre. Je prends machinalement des photos des corps allongés sur le sol, dans leur bain de sang. Un Malgache d'une quarantaine d'années m'interpelle et me demande : "Où est RFI ? Il faut que RFI voit ça."

Entre colère et incompréhension, par A B

Je vis à Tana depuis déjà un certain temps. Les événements de ces dernières semaines et plus particulièrement de samedi me glacent le dos. Nous pensions une telle situation inimaginable à Tana. Etant française et donc pas chez nous, nous devons rester neutre dans ce conflit. Depuis des années, nous avons vu l'économie malgache se développer, le tourisme décoller, des projets se mettre en place, des hôtels en construction, la ville changée... même si la vie des Malgaches n'était pas toujours facile tous les jours. Certains vivant dans des conditions de pauvreté extrême. Mais il existait un espoir pour le développement de ce pays qui propose des richesses et des possibilités étonnantes. En quelques semaines, tout est anéanti...

Nous, étrangers, nous restons chez nous avec les enfants (les écoles étant fermées) en attendant... On attend une issue à cette crise qui dure. On espère un retour à la vie normale qui passerait par un dialogue entre les deux parties. Le plus déroutant, c'est que chaque week-end, les manifestations sont de plus en plus violentes et meurtrières ! Et la semaine, la vie reprend presque son cours normal : les gens vont travailler, les entreprises essayent de fonctionner, on circule presque normalement en évitant soigneusement les zones à risque. Nous vivons accrochés à nos ordinateurs et à nos téléphones portables, guettant la moindre information sur l'évolution de la situation ; tout en sachant que certaines informations sont pure intox !

Cette crise est montée de toutes pièces, par Ludovic Masson

Je suis actuellement résident à Tananarive, Madagascar. Evidemment au jour le jour, nous subissons les répercussions de cette crise, soit dit en passant, montée de toutes pièces.

Après que toutes les grandes enseignes furent brûlées et l'un des principal grossiste de Madagascar incendié, il est clair qu'on assiste à de la spéculation en règle... et le marché noir se fait de plus en plus présent. Les rares grandes enseignes encore ouvertes en profitent pour revoir leurs prix à la hausse pratiquement tous les jours. Sur les marchés locaux, le prix de toutes les denrées de premières nécessité, l'huile, les légumes ne cesse de grimper. Une bouteille d'huile coûtait 4 000 Ar (1,50 €) le litre. Maintenant on la trouve à 10 000 Ar et cela va encore augmenter.

Mais la vie économique est aussi chamboulée... Le matin quand vous vous levez, vous ne savez pas si les travailleurs vont pouvoir travailler (perturbations des transports en commun) ou si vous allez pouvoir travailler (avec les appels incessants à la grève d'un côté et au travail de l'autre), plus personne ne sait à quel saint se vouer. Et en ce moment tout le territoire vit sous le régime du couvre-feu commençant à 20 heures jusqu'à 5 heures du matin.

Enfin, et c'est récurrent dans les situations de crise comme celle-ci, les rumeurs se font fréquentes et se propagent à la vitesse de la lumière. D'ailleurs les médias ne communiquent que très peu sur les événements. Si ce n'est les médias partisans.

Rideaux de fer baissés, par Suzie Guth

Le zoma, ce grand marché mythique d'Antananarivo donne le ton de la journée. Si les marchands et les étalages sont nombreux la journée sera bonne, s'il est clairsemé et peu fréquenté, les manifestations sont à craindre. Plus haut, près des hôtels prestigieux, le Colbert, le Louvre, les commerces ont tiré le rideau de fer et restent prudemment fermés. Avec le couvre-feu du soir, la vie s'est arrêtée, les restaurants ferment, seuls le Colbert et le Louvre restent ouverts. Ainsi la ville prend des allures fantomatiques et les rumeurs vont bon train, ne disait-on pas que l'eau était empoisonnée, soudain un collègue arrive pour dire : il faut rentrer il y a une contre-manifestation, j'obtempère mais la contre-manifestation n'aura pas lieu. Une collègue me dit que dans la zone franche on a cousu des uniformes pour les mercenaires que le président en exercice aurait ramenés d'Afrique du Sud, ce sont des Congolais. J'ai du mal à croire qu'il faille aller en Afrique du Sud pour revenir avec des mercenaires d'Afrique centrale, mais au fait ne disait-on pas la même chose du président Lissouba (Congo-Brazzaville) ? Et, c'était vrai, il avait ramené des instructeurs pour ses milices d'Afrique du Sud.

Pillages, carnage, bain de sang : démocratie ou anarchie ?, par Claude Villiers

Samedi 7 février, la situation a tourné au drame dans la capitale malgache. Etant de passage du côté d'Antaninarenina pour des raisons personnelles, j'ai été, sans l'avoir souhaité, témoin de ce qu'on peut qualifier de carnage, de bain de sang, de massacres. Les partisans du maire étaient regroupés sur le jardin d'Antaninarenina. Environ 250 mètres et deux barrages de police les séparaient du palais d'Ambohitsirohitra.

Des négociations s'engagent avec les éléments de la force de l'ordre présents sur les lieux. Ces derniers ont prévenu que ce sont les éléments de la garde présidentielle postés à l'intérieur même du palais dont il faut se méfier car ils vont faire feu si la foule se rapprochait encore plus. A partir de ce moment, tout s'accélère. La délégation se retire. La foule devient incontrôlable et elle a déjà forcé le premier barrage de police. C'est à ce moment qu'une détonation se fait entendre suivie de rafales d'armes automatiques. Je me suis mis à courir. En me retournant, j'ai vu plusieurs blessés, d'autres n'ont pas eu autant de chance. Les tirs ont cessé. Plusieurs personnes, manifestants et journalistes, étrangers et nationaux essayaient d'aider les blessés. Environs quinze personnes sont mortes. C'est à ce moment que les tirs reprennent. Je me suis un peu écarté de la zone d'action et de là, j'ai vu plusieurs personnes allongées par terre et couvertes de sang. On ne savait plus si elles étaient mortes ou simplement blessées.
Source: Le Monde

Lemonde.fr

Mardi 10 Février 2009 17:34


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