Ebola: actuellement, «on ne sait pas grand-chose sur le traitement»

La jeune infirmière française de Médecins sans frontières (MSF), qui a contracté le virus Ebola au Liberia, a commencé à recevoir vendredi 19 septembre des traitements expérimentaux dans un hôpital militaire de la région parisienne où elle a été placée en isolement. Des traitements qui ont été autorisés par la ministre de la Santé, Marisol Touraine. Entretien avec Jean-François Delfraissy, directeur de l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) et directeur de l'Institut de microbiologie et maladies infectieuses (IMM).



Particule virale d'Ebola observée au microscope électronique. REUTERS/Frederick Murphy

Jean-François Delfraissy : En fait, il y a un double traitement contre le virus Ebola. Il y a un traitement de malade grave. La mortalité de la maladie Ebola en Afrique en ce moment est de l’ordre de 50%. On sait que pour les patients qui vont être pris en charge en Europe, elle sera beaucoup plus faible parce qu’on a des mesures de réanimation, indépendamment même du virus, qui permettent d’avoir une bien meilleure prise en charge. C’est comme si on fait un paludisme grave au fin fond de la brousse africaine ou un paludisme grave à Paris, évidemment le pronostic n’est pas le même. Après, la deuxième question, c’est : y a-t-il des médicaments spécifiques contre le virus Ebola ? Pour l’instant, on ne sait pas. On a des candidats-médicaments et c’est probablement certains de ces candidats-médicaments qui sont en train d’être donnés à cette jeune femme.  Il faut aussi bien sûr respecter le secret médical autour de tout cela.

Dans les candidats-médicaments qu’on a, il y a une part de ce qu’on appelle la sérothérapie. Ce sont des anticorps qui sont dirigés contre des protéines d’enveloppes du virus Ebola. Ça a fait la Une de beaucoup de médias au mois d’août avec les ZMapp, ce produit qui a été donné à deux médecins américains un peu dans les mêmes circonstances. Il a été donné après à 7 autres personnes, donc 9 patients au total. 5 ont survécu 4 sont décédés. Donc, c’est très difficile de se faire une idée sur l’efficacité éventuelle ou la non-efficacité.

On a d’autres types de médicaments qui sont des médicaments qui avaient été développés par des petites compagnies pharmaceutiques, de ce qu’on appelle des « biothèques » dans notre jargon. Il y en a deux qui sont éventuellement des candidats possibles. L’un qui s’appelle le TKM-Ebola et qui agit contre des protéines du virus nécessaires pour sa multiplication. Il y a très peu de doses disponibles. C’est une petite compagnie canadienne qui avait été financée par l’armée américaine au cours des dernières années. Il y a environ une quarantaine de doses disponibles et il y en a certaines qui sont en France. Puis il y a un médicament qui est en quantité plus importante, sous forme de comprimés, qui est le Favipiravir, un médicament qui vient du Japon et disponible en petites quantités en France, parce que tout cela avait été programmé. On avait rendu un rapport à la ministre de la Santé durant le mois d’août pour savoir quel type de médicament pourrait être utilisé.

Est-ce que ce sont des traitements qui sont en test sur les humains ?

On ne sait pas, donc on est bien obligés de débuter à la fois des données chez l’animal, chez le grand singe, et puis chez l’homme à titre un peu expérimental. Le Favipiravir, par exemple, ce médicament japonais qui est disponible en assez grande quantité, nous allons débuter, nous, un essai dans le cadre de l’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale] en Guinée. Probablement à partir de fin octobre-début novembre, parce qu’on n’arrivera pas à le mettre en place avant sur une soixantaine de patients Ebola, pour regarder comment il est toléré, est-ce qu’il fait baisser la charge virale du virus et s’il a un éventuel effet sur la mortalité d’Ebola. Puis il y a d’autres équipes qui vont regarder d’autres médicaments. On fera peut-être aussi des associations. On est à un stade où on ne sait pas grand-chose.

Pour l’instant, n’y a-t-il aucun test qui prévaut plus qu’un autre ?

Non, il y a quelques données chez l’animal qui sont plus ou moins avancées. Il y a certains médicaments qui sont sous forme injectable, d’autres seront sous forme de comprimés. On sait que toute injection dans un contexte d’Ebola difficile en Afrique va créer un risque en plus de contamination et que ce n’est pas facile de perfuser quelqu’un dans ce contexte. Finalement, il faut être très pragmatique : ce qui va décider, c’est la disponibilité de ces médicaments. Par exemple, parmi les trois que j’ai évoqués : le ZMapp, il y en a quasiment plus, il y aura une cinquantaine de doses qui sera de nouveau disponible à partir du mois de décembre, mais il n’y en a plus ; le TKM-Ebola, il y a de quoi traiter une trentaine de personnes, il y en a aux Etats-Unis, un peu en France pour justement les soignants qui seraient rapatriés ; et finalement il y en a un qui est disponible en plus grande quantité parce qu’il avait été élaboré contre la grippe, c’est le Favipiravir, ce médicament japonais, mais on a assez peu de données sûres, y compris chez l’animal sur le virus Ebola.


Rfi.fr

Samedi 20 Septembre 2014 02:59


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