Le livre que Malick Ndiaye vient de publier, Où va la république ?, Paris, L’Harmattan/Cours nouveau, 2014, est traversé par une thèse constante : les changements économiques et sociaux puisent leur énergie et leur sens dans les ressources éthiques qui charrient les révolutions des mentalités et des comportements. Les mutations de la société demeurent superficielles aussi longtemps qu’elles ne toucheront pas cette dimension active de la perception des acteurs, de leurs formes de conscience, de leurs attitudes, habitudes, aptitudes et comportements. Nous visiterons cette compulsion itérative, paradigme permanent, hyper-présente dans l’œuvre du sociologue sénégalais depuis, pour être dans une courte durée, L’éthique ceddo et la société d’accaparement ou les conduites des Sénégalais d’aujourd’hui publié il y a, bientôt, une vingtaine d’années.
Nous nous épargnerions cette sortie si l’auteur n’avait pas assumé, dans sa présentation, la fonction de Ministre, Conseiller à la Présidence de la République. Il y a un aspect essentiel dans l’éthique de l’intellectuel : son comportement est fondé sur les notions de fidélité et de loyauté. Que serait devenu l’ordre républicain, dans son versant institutionnel, si chaque conseiller du Président de la République ou chaque ministre, ou, de façon générale, tout agent, avait le droit de s’en prendre au Président, à travers des publications ou des sorties dans les médias ?
Nous avons bien des espaces, au sein de la Présidence de la République, pour échanger et débattre librement, sans concession ni allégeance. Nous avons des procédures ou procédés pour nous faire entendre par le Président de la République dont la capacité d’écoute est exemplaire. Nous avons, enfin, un protocole éthique qui nous impose l’obligation de réserve, la retenue et la solidarité active qui, elle en particulier, garantit la cohérence, l’efficacité et la performance de l’action collective.
Ndiaye aime bien, tout du long de son livre, mettre en miroir des contraires. Il a sans doute oublié la topologie du dedans/dehors qui l’aurait conduit à se défaire de sa fonction de ministre conseiller pour entrer publiquement dans le sujet de ses positions contre la gouvernance actuelle. L’éthique de l’intellectuel est inconsistante si elle n’est pas adossée au principe de cohérence, porteuse de fidélité et de loyauté à ses choix.
En effet, les accusations du sociologue sont graves. Il y a des domaines, dans le vécu collectif, qu’il faut traiter avec beaucoup de prudence. Mettre en cause un groupe identitaire, les haal pulaar en particulier, et, sans aucune preuve tangible, parler de nominations fondées sur la parenté, l’ethnie ou la caste, voilà bien la limite qu’il ne fallait pas franchir. La comparaison n’est pas exagérée, mais il convient de rappeler que c’est sur la base de considérations de ce genre que les persécutions, les pogromes et les rafles ont bien été organisés occasionnant des massacres d’innocents.
La nomination de Malick Ndiaye en qualité de Ministre conseiller a-t-elle obéi à un critère ethnique ? Ni Senghor, ni Mamadou Dia, binôme à la tête de la nouvelle République du Sénégal, ne sont wolofs ou diolas. Pourtant, personne, à fortiori un intellectuel, n’a jamais relevé ce fait pour s’en offusquer. Ni Mohamed Dionne, actuel Premier ministre ou encore Moustapha Niasse, Président de l’Assemblée nationale, ne sont haal pulaar ou soninké. Pourtant, personne ne l’a relevé pour s’en offusquer. Abdoulaye Wade, Mame Madior Boye, Idrissa Seck, Souleymane Ndéné Ndiaye, ne sont bassari ou mandingue. Pourtant, personne ne l’a relevé pour s’en offusquer. Enfin, Macky Sall a été élu par plus de 65% des Sénégalais. Etait-ce un vote ethnique ? Si Malick Ndiaye nous oblige à en parler, peut-il, en accusateur averti, établir sa (douteuse) statistique « ethnique » dans l’espace du pouvoir ?
Le Sénégal est exemplaire pour avoir très tôt exorcisé les « identités meurtrières ». Nous sommes sans doute le seul pays au monde où des cimetières abritent chrétiens et musulmans, côte à côte, dans l’éternité de la paix et de leur silence. Pour rester dans le monde des vivants, constatons qu’elles sont nombreuses les familles « métisses », tant du point de vue ethnique que du point de vue religieux et linguistique, fières de vivre sur cette terre de passage et de brassage qu’est le Sénégal. Qu’un intellectuel de la dimension de Malick Ndiaye ose péremptoirement assumer des allusions qui touchent négativement à cet « universalisme sénégalais » est tout simplement scandaleux. Soyons absolument vigilants !
Par ailleurs, on peut relever dans cette approche « identitariste », des relents de la « science politique » coloniale et néocoloniale voulant que les dynamiques politiques en Afrique relèvent de marqueurs ethnique, religieux, régional… L’occidentalisme que Malick Ndiaye dénonce a outrageusement puisé dans ces référentiels, contribuant à accentuer des clivages factices, voire à les provoquer sur la base de l’ignorance, de l’intérêt mesquin ou de la mauvaise foi. A trop accorder aux phénomènes de conscience, de comportement et d’identité une surdétermination, on se retrouve fatalement dans ces assertions non seulement fausses mais aussi dangereuses.
Malick Ndiaye pouvait se limiter à la critique des politiques et des choix stratégiques en matière de gouvernance tout en assumant ouvertement la rupture. Nous examinerons, dans une toute prochaine publication, point par point ses thèses, hypothèses et arguments. En attendant, relevons cette contradiction majeure entre son admiration pour le PSE, dans le contexte de l’Acte 3 de la décentralisation, qui est un plan dans la tradition diaïste, et la réfutation de celui-ci qui serait « sans âme ». Lorsque, sur 367 pages, l’auteur tente de démontrer que ce sont les révolutions mentales et comportementales qui conditionnent les itinéraires victorieux dans les domaines économiques et autres, il est obligé de chercher partout des « âmes » et s’il n’en trouve pas, il est forcément courroucé.
Pourtant, le livre de Malick Ndiaye est truffé de références aux tendances salvatrices et positives de la nouvelle alternance. Et Ndiaye n’a pu démontrer le contraire de ce qui est : le choix de l’humain et du social comme finalité de l’action politique (toutes les mesures pour améliorer le vécu quotidien des populations en témoignent) ; l’engagement sans réserve contre l’impunité, la délinquance financière ; l’effort quotidien pour l’émergence d’une nouvelle citoyenneté. Si ce ne sont là des indices d’une révolution tranquille des mentalités et des comportements, qui ne sont envisageables que comme aspects d’une dynamique globale, qu’est-ce alors une révolution ?
Nous sortons de la lecture de ce livre avec beaucoup de gène. En effet, pour qui sait vraiment lire et écrire, tous les passages et les sorties médiatiques à tendance sensationnelle contre la nouvelle gouvernance sont insérés, et donc tardifs par rapport à la trame globale du livre. En d’autres termes, Malick Ndiaye a introduit de nouvelles phrases pour ponctuer ses nouvelles positions, offrant aux lecteurs des paragraphes incohérents, des envolées lyriques incomplètes et des cheveux dans la soupe. Pourquoi ? En tout cas, la lecture de ce livre demande une bonne dose d’héroïsme.
Nous nous épargnerions cette sortie si l’auteur n’avait pas assumé, dans sa présentation, la fonction de Ministre, Conseiller à la Présidence de la République. Il y a un aspect essentiel dans l’éthique de l’intellectuel : son comportement est fondé sur les notions de fidélité et de loyauté. Que serait devenu l’ordre républicain, dans son versant institutionnel, si chaque conseiller du Président de la République ou chaque ministre, ou, de façon générale, tout agent, avait le droit de s’en prendre au Président, à travers des publications ou des sorties dans les médias ?
Nous avons bien des espaces, au sein de la Présidence de la République, pour échanger et débattre librement, sans concession ni allégeance. Nous avons des procédures ou procédés pour nous faire entendre par le Président de la République dont la capacité d’écoute est exemplaire. Nous avons, enfin, un protocole éthique qui nous impose l’obligation de réserve, la retenue et la solidarité active qui, elle en particulier, garantit la cohérence, l’efficacité et la performance de l’action collective.
Ndiaye aime bien, tout du long de son livre, mettre en miroir des contraires. Il a sans doute oublié la topologie du dedans/dehors qui l’aurait conduit à se défaire de sa fonction de ministre conseiller pour entrer publiquement dans le sujet de ses positions contre la gouvernance actuelle. L’éthique de l’intellectuel est inconsistante si elle n’est pas adossée au principe de cohérence, porteuse de fidélité et de loyauté à ses choix.
En effet, les accusations du sociologue sont graves. Il y a des domaines, dans le vécu collectif, qu’il faut traiter avec beaucoup de prudence. Mettre en cause un groupe identitaire, les haal pulaar en particulier, et, sans aucune preuve tangible, parler de nominations fondées sur la parenté, l’ethnie ou la caste, voilà bien la limite qu’il ne fallait pas franchir. La comparaison n’est pas exagérée, mais il convient de rappeler que c’est sur la base de considérations de ce genre que les persécutions, les pogromes et les rafles ont bien été organisés occasionnant des massacres d’innocents.
La nomination de Malick Ndiaye en qualité de Ministre conseiller a-t-elle obéi à un critère ethnique ? Ni Senghor, ni Mamadou Dia, binôme à la tête de la nouvelle République du Sénégal, ne sont wolofs ou diolas. Pourtant, personne, à fortiori un intellectuel, n’a jamais relevé ce fait pour s’en offusquer. Ni Mohamed Dionne, actuel Premier ministre ou encore Moustapha Niasse, Président de l’Assemblée nationale, ne sont haal pulaar ou soninké. Pourtant, personne ne l’a relevé pour s’en offusquer. Abdoulaye Wade, Mame Madior Boye, Idrissa Seck, Souleymane Ndéné Ndiaye, ne sont bassari ou mandingue. Pourtant, personne ne l’a relevé pour s’en offusquer. Enfin, Macky Sall a été élu par plus de 65% des Sénégalais. Etait-ce un vote ethnique ? Si Malick Ndiaye nous oblige à en parler, peut-il, en accusateur averti, établir sa (douteuse) statistique « ethnique » dans l’espace du pouvoir ?
Le Sénégal est exemplaire pour avoir très tôt exorcisé les « identités meurtrières ». Nous sommes sans doute le seul pays au monde où des cimetières abritent chrétiens et musulmans, côte à côte, dans l’éternité de la paix et de leur silence. Pour rester dans le monde des vivants, constatons qu’elles sont nombreuses les familles « métisses », tant du point de vue ethnique que du point de vue religieux et linguistique, fières de vivre sur cette terre de passage et de brassage qu’est le Sénégal. Qu’un intellectuel de la dimension de Malick Ndiaye ose péremptoirement assumer des allusions qui touchent négativement à cet « universalisme sénégalais » est tout simplement scandaleux. Soyons absolument vigilants !
Par ailleurs, on peut relever dans cette approche « identitariste », des relents de la « science politique » coloniale et néocoloniale voulant que les dynamiques politiques en Afrique relèvent de marqueurs ethnique, religieux, régional… L’occidentalisme que Malick Ndiaye dénonce a outrageusement puisé dans ces référentiels, contribuant à accentuer des clivages factices, voire à les provoquer sur la base de l’ignorance, de l’intérêt mesquin ou de la mauvaise foi. A trop accorder aux phénomènes de conscience, de comportement et d’identité une surdétermination, on se retrouve fatalement dans ces assertions non seulement fausses mais aussi dangereuses.
Malick Ndiaye pouvait se limiter à la critique des politiques et des choix stratégiques en matière de gouvernance tout en assumant ouvertement la rupture. Nous examinerons, dans une toute prochaine publication, point par point ses thèses, hypothèses et arguments. En attendant, relevons cette contradiction majeure entre son admiration pour le PSE, dans le contexte de l’Acte 3 de la décentralisation, qui est un plan dans la tradition diaïste, et la réfutation de celui-ci qui serait « sans âme ». Lorsque, sur 367 pages, l’auteur tente de démontrer que ce sont les révolutions mentales et comportementales qui conditionnent les itinéraires victorieux dans les domaines économiques et autres, il est obligé de chercher partout des « âmes » et s’il n’en trouve pas, il est forcément courroucé.
Pourtant, le livre de Malick Ndiaye est truffé de références aux tendances salvatrices et positives de la nouvelle alternance. Et Ndiaye n’a pu démontrer le contraire de ce qui est : le choix de l’humain et du social comme finalité de l’action politique (toutes les mesures pour améliorer le vécu quotidien des populations en témoignent) ; l’engagement sans réserve contre l’impunité, la délinquance financière ; l’effort quotidien pour l’émergence d’une nouvelle citoyenneté. Si ce ne sont là des indices d’une révolution tranquille des mentalités et des comportements, qui ne sont envisageables que comme aspects d’une dynamique globale, qu’est-ce alors une révolution ?
Nous sortons de la lecture de ce livre avec beaucoup de gène. En effet, pour qui sait vraiment lire et écrire, tous les passages et les sorties médiatiques à tendance sensationnelle contre la nouvelle gouvernance sont insérés, et donc tardifs par rapport à la trame globale du livre. En d’autres termes, Malick Ndiaye a introduit de nouvelles phrases pour ponctuer ses nouvelles positions, offrant aux lecteurs des paragraphes incohérents, des envolées lyriques incomplètes et des cheveux dans la soupe. Pourquoi ? En tout cas, la lecture de ce livre demande une bonne dose d’héroïsme.