« Le gouvernement du Sénégal a décidé de revenir sur cet événement en célébrant le 80^e anniversaire du massacre des tirailleurs à Thiaroye. L'État sénégalais entend lui donner un cachet particulier en assumant une triple responsabilité : - la requalification adéquate des tirailleurs « sénégalais » en tirailleurs « africains », afin de rendre compte d'un recrutement qui débordait les limites du territoire de la colonie du Sénégal ; - la commémoration annuelle du massacre, en étroite collaboration avec toutes les colonies africaines qui ont contribué aux régiments de tirailleurs sénégalais ; - l'érection, sur le lieu du massacre à Thiaroye, d'un monument au service d'une histoire qui contribue à faire communauté dans notre région ouest-africaine (p. 11) ».
Qu’est-ce qui peut bien empêcher l’utilisation de « Tirailleur africain » dans le titre du livre blanc, ce récent "lieu de mémoire", intitulé « Le massacre des Tirailleurs sénégalais à Thiaroye, le 1er Décembre 1944. Un massacre de la libération » ?
« Tirailleur sénégalais » ou « Tirailleur africain » : le débat
Le texte que nous convoquons est le fruit d'une commande politique du nouveau régime du président Diomaye Faye, dans un contexte de conceptualisation de ses politiques culturelles de patrimonialisation, c'est-à-dire de transmission des connaissances historiques et de construction d'une mémoire collective panafricaine en rapport avec l'histoire coloniale et singulièrement celle relatives aux événements de « camp de Thiaroye » (Sembène, 1988).
Comme l'a souligné le président du comité pluridisciplinaire chargé de cette enquête historico-mémorielle sur « Thiaroye 44 », Mamadou Diouf, le débat que nous souhaitons soulever dans les lignes qui suivent a été initié par le chef du gouvernement et président du parti au pouvoir, M. Ousmane Sonko. Conformément au projet politique du Pastef, ce dernier avait souhaité utiliser le terme « tirailleur africain » plutôt que « tirailleur sénégalais », car il serait historiquement plus approprié et donc épistémologiquement justifié lorsqu'il s'agit de parler du « massacre de Thiaroye en 1944 ».
Selon nous, la requête de l'État aurait pu être abordée par les spécialistes de la question au sein du comité comme une commande politique : il s'agit d'aider l'État à élaborer une politique de commémoration de Thiaroye 44, en partant de l'hypothèse que le tirailleur massacré à Thiaroye en 1944 est une victime qui a recouvré une identité de « combattant africain » et non de « Tirailleur sénégalais », afin d'ériger le « massacre de Thiaroye 44 » en lieu de mémoire panafricain. L’usage de l’expression « tirailleur africain » devrait donc devenir légitime sous cette convention, « naître de nouveau » sans pour autant altérer le récit historico-mémoriel sur ces « mercenaires noirs » (Ly, 1957) ou « légionnaires noirs » (Kaké, 1976), dont une partie seulement a été massacrée à Thiaroye.
Passer à « Tirailleur africain » : entre opérationnalisation et méthode
Le rapport établit clairement que les victimes de « Thiaroye 44 » étaient des prisonniers de guerre libérés et démobilisés, qui n'attendaient que leurs dus pour retourner à leur statut d'indigène, plus proche de la primitivité que de la citoyenneté.
Le concept de « Tirailleur sénégalais » ne définissait en réalité qu'un corps armé, de la chair à canon constituée d'indigènes ! C'est une idée militariste qui, sous la colonisation, ne pouvait jamais être confondu à un statut juridique pouvant permettre d'humaniser l'ensemble de ses composantes.
Quant à l'adjectif « sénégalais », il semblait symboliser la frontière la plus proche du statut juridique de « citoyen français » que beaucoup de combattants originaires du Sénégal éponyme, le « Sénégal des Quatre Communes », pouvaient obtenir sur le papier. Par conséquent, le 1er décembre 1944, à Thiaroye, il ne restait aux « tirailleurs » isolés, séparés des autres pour être tués que leur africanité.
Ainsi, en conservant l'expression « tirailleur sénégalais », mais en la contextualisant pour éviter de perpétuer un regard colonial sur l'histoire africaine, le rapport plaide en faveur d'une panafricanisation de cette mémoire. Une approche qui rappelle la philosophie historique de Senghor.
À titre d'exemple, le rappel fréquent de « tirailleurs sénégalais » sans guillemets est réappropriation qui rappelle la méthode du président-poète Senghor, qui a cherché à affirmer son identité à travers le mot « nègre », malgré son poids historique, tout en cherchant à le déconstruire. De même, dans ce rapport, dont l'objectif n'est pas d'effacer l'expression patrimoniale (c’est le cas de le dire) « tirailleur sénégalais », mais de la maintenir malgré sa connotation historique qui tend à « gommer » l'hétérogénéité du « tirailleur panafricain ».
Les auteurs, vraisemblablement attachés à leur « sénégalité » (qui a par ailleurs déserté le camp de Thiaroye la veille), cet héritage des quatre communards qui habite leur mémoire, semblent avoir estimé que si l'ouvrage avait pour titre « Le massacre des tirailleurs africains », il aurait alors perdu sa force symbolique et sa résonance historique, simplement en raison de l'absence du mot « sénégalais ».
Pour maintenir notre propos sur la référentialité à la méthode senghorienne, rappelons que celle-ci consistait à patrimonialiser un « trésor » trouvé dans les décombres du système colonial pour mieux le décoloniser. Ainsi, malgré la connotation raciste du terme « nègre », la dialectique de la « négritude aliénée » était la méthode que le racisme anti-nègre imposait à la science décoloniale des Senghor...
Reprendre la méthode senghorienne de la négritude pour la transposer dans la problématique du « massacre de Thiaroye » en reprenant « Tirailleur sénégalais » dans le titre du rapport pour commémorer ces « Témoins de l'Afrique immortelle » (Senghor, 1944), c'est faire de la « Tirailleuritude aliénée ».
Car, tant qu'à reprendre Senghor, la voie avait déjà été tracée par lui chez qui d’ailleurs, la matière impose la méthode. Disons que si Gorée symbolise l'ouverture de l'Afrique à la connexion atlantique, le « (témoignage) de l'Afrique immortelle » est en passe d'être représenté par « Tyaroye ». C’est-à-dire que la mémoire du tirailleur massacré à Thiaroye le 1er décembre 1944, telle que donnée à voir par Senghor dans son poème « Tyaroye », est « témoin » du « frère noir », du « tirailleur africain », désormais « immortatilisé ».
Il faut donc, dans ce cas précis, remplacer « sénégalais » (ailleurs Senghor multiplie « Tirailleur sénégalais » mais pas dans « Tyaroye » où il les naturalise « prisonniers français », « témoins d’un monde nouveau qui sera demain ») et immortaliser ces martyrs du corps des « Tirailleurs sénégalais » en les faisant naître de nouveau, vivre en paix sous l’expression « Tirailleur africain » dans ce rapport que veut l’État du Sénégal.
Le client, l’État, peut-il exiger la personnalisation de sa commande ?
Hors de « Thiaroye 44 », tout « tirailleur » peut être historisé, commémoré comme sénégalais, malgache, algérien… ou de la « Compagnie de Bignona » !
À propos des tirailleurs d’origine casamançaise sur lesquels nous allons refermer cette contribution, nous confessons avoir, dès juin 2022, critiqué le risque d’effacement de certains noms de rues, comme celui du capitaine Javelier, remplacé par « Tirailleur africain ». L’actuel Premier ministre était alors maire de Ziguinchor, et nous préconisions la mise en place d’une commission historico-mémorielle qui proposerait d'ériger une stèle en mémoire de tous les soldats de la compagnie de Bignona morts au combat, quelque part dans cette nouvelle « rue du Tirailleur africain ».
Nous n’étions pas contre l’usage de « Tirailleur africain », selon l’agenda politique du Pastef, désormais au pouvoir, et tel qu’il s’est manifesté en Casamance, sous cette perspective panafricaniste. Nous préconisions plutôt la mise en place d'une structure similaire à celle qui travaille sur la commémoration de Thiaroye 44. C'était donc à l'échelle de la collectivité territoriale, dont le partenaire principal est l'État, qui avait d'ailleurs fait invalider le changement de noms. Le même État qui s’imposait dans la commune de Ziguinchor, peut donc exiger que « Tirailleur africain » apparaisse dans le titre d’un rapport qu’il a demandé.
En effet, au niveau national, l'État, par le biais de ministères comme ceux de la Culture et de l'Éducation nationale (qui collaboraient beaucoup sous Senghor), reste le principal responsable des politiques culturelles et éducatives. Lorsqu'il fait donc appel à une commission pluridisciplinaire sur l'histoire et la mémoire, la question des libertés académiques dont jouissent certains spécialistes tend à avoir certaines limites dans un tel cadre de travail. Ils ne sont ici que des consultants à qui l’on demande d’apporter leur expertise pour analyser les problèmes posés et, le cas échéant, les aider à les mettre en œuvre.
En d’autres termes, quel que soit le résultat obtenu par les chercheurs de la commission conformément à leurs méthodes, l’État-client, bien qu'il doive respecter certains de leurs droits, a le pouvoir de réglementer et d’encadrer la production, l'accès et l'utilisation de ces connaissances, sans que cela n’engage les chercheurs qui les ont produites.
Autant l’État peut décider d’interdire toute production culturelle en se basant uniquement sur le titre de la couverture, par exemple « Tirailleur sénégalais » (comme il a tendance à le faire pour tout ce qui porte sur l’histoire de la Casamance), autant il peut décider que les leçons d’histoire dans les écoles sénégalaises sur les « anciens combattants » de la coloniale soient intitulées « Tirailleurs africains » et non « Tirailleurs sénégalais » et interdire dans le programme tout manuel qui ne s’y plierait pas.
Par conséquent, vue la finalité de ce rapport qui devient un produit culturel destiné à la dissémination dans la mémoire collective, l’État peut exiger que le titre du rapport qu’il a commandé change. C'est cette vision panafricaniste de sa politique culturelle qui impose sa méthode au comité de Thiaroye 44.
Pour le répéter, l’État a engagé ce comité pluridisciplinaire pour l’aider à conceptualiser sa politique de transmission de la mémoire collective, à voir comment utiliser le concept de « tirailleur africain » sans altérer l'interprétation historico-mémorielle de Thiaroye 44, et ce, dans une logique de décolonisation de la mémoire qu’il veut panafricaine. Donc, parce qu'il est plus légitime et épistémologiquement justifié, « Tirailleur africain » devrait s’imposer dans le titre du rapport sur le « massacre à Thiaroye ».
Recommandation supplémentaire…
Enfin, on peut regretter que les sources orales, tant vantées par les spécialistes de l’histoire africaine, soient reléguées au rang de simples « mémoires populaires, témoignages, etc. ».
En Casamance, les anciens combattants de la compagnie de Bignona, démobilisés et renvoyés à leur indigénat, ont laissé un héritage de documents oraux. Si ailleurs, leurs noms défilent dans les archives coloniales sous forme de traces d’encre, chez eux, ces morts qui ont combattu pour la France restent immortalisés par leurs récits chantés. Que faut-il en faire ?
Qu’est-ce qui peut bien empêcher l’utilisation de « Tirailleur africain » dans le titre du livre blanc, ce récent "lieu de mémoire", intitulé « Le massacre des Tirailleurs sénégalais à Thiaroye, le 1er Décembre 1944. Un massacre de la libération » ?
« Tirailleur sénégalais » ou « Tirailleur africain » : le débat
Le texte que nous convoquons est le fruit d'une commande politique du nouveau régime du président Diomaye Faye, dans un contexte de conceptualisation de ses politiques culturelles de patrimonialisation, c'est-à-dire de transmission des connaissances historiques et de construction d'une mémoire collective panafricaine en rapport avec l'histoire coloniale et singulièrement celle relatives aux événements de « camp de Thiaroye » (Sembène, 1988).
Comme l'a souligné le président du comité pluridisciplinaire chargé de cette enquête historico-mémorielle sur « Thiaroye 44 », Mamadou Diouf, le débat que nous souhaitons soulever dans les lignes qui suivent a été initié par le chef du gouvernement et président du parti au pouvoir, M. Ousmane Sonko. Conformément au projet politique du Pastef, ce dernier avait souhaité utiliser le terme « tirailleur africain » plutôt que « tirailleur sénégalais », car il serait historiquement plus approprié et donc épistémologiquement justifié lorsqu'il s'agit de parler du « massacre de Thiaroye en 1944 ».
Selon nous, la requête de l'État aurait pu être abordée par les spécialistes de la question au sein du comité comme une commande politique : il s'agit d'aider l'État à élaborer une politique de commémoration de Thiaroye 44, en partant de l'hypothèse que le tirailleur massacré à Thiaroye en 1944 est une victime qui a recouvré une identité de « combattant africain » et non de « Tirailleur sénégalais », afin d'ériger le « massacre de Thiaroye 44 » en lieu de mémoire panafricain. L’usage de l’expression « tirailleur africain » devrait donc devenir légitime sous cette convention, « naître de nouveau » sans pour autant altérer le récit historico-mémoriel sur ces « mercenaires noirs » (Ly, 1957) ou « légionnaires noirs » (Kaké, 1976), dont une partie seulement a été massacrée à Thiaroye.
Passer à « Tirailleur africain » : entre opérationnalisation et méthode
Le rapport établit clairement que les victimes de « Thiaroye 44 » étaient des prisonniers de guerre libérés et démobilisés, qui n'attendaient que leurs dus pour retourner à leur statut d'indigène, plus proche de la primitivité que de la citoyenneté.
Le concept de « Tirailleur sénégalais » ne définissait en réalité qu'un corps armé, de la chair à canon constituée d'indigènes ! C'est une idée militariste qui, sous la colonisation, ne pouvait jamais être confondu à un statut juridique pouvant permettre d'humaniser l'ensemble de ses composantes.
Quant à l'adjectif « sénégalais », il semblait symboliser la frontière la plus proche du statut juridique de « citoyen français » que beaucoup de combattants originaires du Sénégal éponyme, le « Sénégal des Quatre Communes », pouvaient obtenir sur le papier. Par conséquent, le 1er décembre 1944, à Thiaroye, il ne restait aux « tirailleurs » isolés, séparés des autres pour être tués que leur africanité.
Ainsi, en conservant l'expression « tirailleur sénégalais », mais en la contextualisant pour éviter de perpétuer un regard colonial sur l'histoire africaine, le rapport plaide en faveur d'une panafricanisation de cette mémoire. Une approche qui rappelle la philosophie historique de Senghor.
À titre d'exemple, le rappel fréquent de « tirailleurs sénégalais » sans guillemets est réappropriation qui rappelle la méthode du président-poète Senghor, qui a cherché à affirmer son identité à travers le mot « nègre », malgré son poids historique, tout en cherchant à le déconstruire. De même, dans ce rapport, dont l'objectif n'est pas d'effacer l'expression patrimoniale (c’est le cas de le dire) « tirailleur sénégalais », mais de la maintenir malgré sa connotation historique qui tend à « gommer » l'hétérogénéité du « tirailleur panafricain ».
Les auteurs, vraisemblablement attachés à leur « sénégalité » (qui a par ailleurs déserté le camp de Thiaroye la veille), cet héritage des quatre communards qui habite leur mémoire, semblent avoir estimé que si l'ouvrage avait pour titre « Le massacre des tirailleurs africains », il aurait alors perdu sa force symbolique et sa résonance historique, simplement en raison de l'absence du mot « sénégalais ».
Pour maintenir notre propos sur la référentialité à la méthode senghorienne, rappelons que celle-ci consistait à patrimonialiser un « trésor » trouvé dans les décombres du système colonial pour mieux le décoloniser. Ainsi, malgré la connotation raciste du terme « nègre », la dialectique de la « négritude aliénée » était la méthode que le racisme anti-nègre imposait à la science décoloniale des Senghor...
Reprendre la méthode senghorienne de la négritude pour la transposer dans la problématique du « massacre de Thiaroye » en reprenant « Tirailleur sénégalais » dans le titre du rapport pour commémorer ces « Témoins de l'Afrique immortelle » (Senghor, 1944), c'est faire de la « Tirailleuritude aliénée ».
Car, tant qu'à reprendre Senghor, la voie avait déjà été tracée par lui chez qui d’ailleurs, la matière impose la méthode. Disons que si Gorée symbolise l'ouverture de l'Afrique à la connexion atlantique, le « (témoignage) de l'Afrique immortelle » est en passe d'être représenté par « Tyaroye ». C’est-à-dire que la mémoire du tirailleur massacré à Thiaroye le 1er décembre 1944, telle que donnée à voir par Senghor dans son poème « Tyaroye », est « témoin » du « frère noir », du « tirailleur africain », désormais « immortatilisé ».
Il faut donc, dans ce cas précis, remplacer « sénégalais » (ailleurs Senghor multiplie « Tirailleur sénégalais » mais pas dans « Tyaroye » où il les naturalise « prisonniers français », « témoins d’un monde nouveau qui sera demain ») et immortaliser ces martyrs du corps des « Tirailleurs sénégalais » en les faisant naître de nouveau, vivre en paix sous l’expression « Tirailleur africain » dans ce rapport que veut l’État du Sénégal.
Le client, l’État, peut-il exiger la personnalisation de sa commande ?
Hors de « Thiaroye 44 », tout « tirailleur » peut être historisé, commémoré comme sénégalais, malgache, algérien… ou de la « Compagnie de Bignona » !
À propos des tirailleurs d’origine casamançaise sur lesquels nous allons refermer cette contribution, nous confessons avoir, dès juin 2022, critiqué le risque d’effacement de certains noms de rues, comme celui du capitaine Javelier, remplacé par « Tirailleur africain ». L’actuel Premier ministre était alors maire de Ziguinchor, et nous préconisions la mise en place d’une commission historico-mémorielle qui proposerait d'ériger une stèle en mémoire de tous les soldats de la compagnie de Bignona morts au combat, quelque part dans cette nouvelle « rue du Tirailleur africain ».
Nous n’étions pas contre l’usage de « Tirailleur africain », selon l’agenda politique du Pastef, désormais au pouvoir, et tel qu’il s’est manifesté en Casamance, sous cette perspective panafricaniste. Nous préconisions plutôt la mise en place d'une structure similaire à celle qui travaille sur la commémoration de Thiaroye 44. C'était donc à l'échelle de la collectivité territoriale, dont le partenaire principal est l'État, qui avait d'ailleurs fait invalider le changement de noms. Le même État qui s’imposait dans la commune de Ziguinchor, peut donc exiger que « Tirailleur africain » apparaisse dans le titre d’un rapport qu’il a demandé.
En effet, au niveau national, l'État, par le biais de ministères comme ceux de la Culture et de l'Éducation nationale (qui collaboraient beaucoup sous Senghor), reste le principal responsable des politiques culturelles et éducatives. Lorsqu'il fait donc appel à une commission pluridisciplinaire sur l'histoire et la mémoire, la question des libertés académiques dont jouissent certains spécialistes tend à avoir certaines limites dans un tel cadre de travail. Ils ne sont ici que des consultants à qui l’on demande d’apporter leur expertise pour analyser les problèmes posés et, le cas échéant, les aider à les mettre en œuvre.
En d’autres termes, quel que soit le résultat obtenu par les chercheurs de la commission conformément à leurs méthodes, l’État-client, bien qu'il doive respecter certains de leurs droits, a le pouvoir de réglementer et d’encadrer la production, l'accès et l'utilisation de ces connaissances, sans que cela n’engage les chercheurs qui les ont produites.
Autant l’État peut décider d’interdire toute production culturelle en se basant uniquement sur le titre de la couverture, par exemple « Tirailleur sénégalais » (comme il a tendance à le faire pour tout ce qui porte sur l’histoire de la Casamance), autant il peut décider que les leçons d’histoire dans les écoles sénégalaises sur les « anciens combattants » de la coloniale soient intitulées « Tirailleurs africains » et non « Tirailleurs sénégalais » et interdire dans le programme tout manuel qui ne s’y plierait pas.
Par conséquent, vue la finalité de ce rapport qui devient un produit culturel destiné à la dissémination dans la mémoire collective, l’État peut exiger que le titre du rapport qu’il a commandé change. C'est cette vision panafricaniste de sa politique culturelle qui impose sa méthode au comité de Thiaroye 44.
Pour le répéter, l’État a engagé ce comité pluridisciplinaire pour l’aider à conceptualiser sa politique de transmission de la mémoire collective, à voir comment utiliser le concept de « tirailleur africain » sans altérer l'interprétation historico-mémorielle de Thiaroye 44, et ce, dans une logique de décolonisation de la mémoire qu’il veut panafricaine. Donc, parce qu'il est plus légitime et épistémologiquement justifié, « Tirailleur africain » devrait s’imposer dans le titre du rapport sur le « massacre à Thiaroye ».
Recommandation supplémentaire…
Enfin, on peut regretter que les sources orales, tant vantées par les spécialistes de l’histoire africaine, soient reléguées au rang de simples « mémoires populaires, témoignages, etc. ».
En Casamance, les anciens combattants de la compagnie de Bignona, démobilisés et renvoyés à leur indigénat, ont laissé un héritage de documents oraux. Si ailleurs, leurs noms défilent dans les archives coloniales sous forme de traces d’encre, chez eux, ces morts qui ont combattu pour la France restent immortalisés par leurs récits chantés. Que faut-il en faire ?