Le rêve de partir, l’art de se perdre”, Par Marie Barboza MENDY – Regards Croisés



On parle de migration comme d’un mouvement géographique. En réalité, c’est une secousse intérieure. Un tremblement de l’âme. Un rêve qui commence dans le silence d’une chambre, dans un quartier poussiéreux de Mbour, de Pikine ou de Saint-Louis, ou dans un studio parisien trop étroit où l’on étouffe déjà de solitude. Partir, c’est d’abord se dire qu’ailleurs, forcément, il y a mieux. Mieux que la famille qui serre, mieux que les amis qui jugent, mieux que les frontières invisibles qui barrent l’avenir.
 
Mais derrière le “ailleurs”, il y a souvent une vérité que personne ne dit : On peut traverser les océans… et ne jamais quitter la prison intérieure. En France, j’ai vu des jeunes Sénégalais courir après un rêve qui ne leur avait jamais été raconté honnêtement. Ils arrivent avec le soleil dans la voix, mais manquent d’un toit, d’un travail, d’un statut. Ils se heurtent au froid, au code administratif, aux regards suspicieux, au racisme déguisé. On leur avait dit : “Là-bas, tout est possible.”


On oublie de préciser : possible, mais pas pour tout le monde. Au Sénégal, j’ai vu des jeunes Français fuir une Europe fatiguée, étouffante, saturée de règles et de solitude. Ils débarquent ici pour “se retrouver”, mais ils découvrent aussi les lenteurs, les contradictions, la débrouille permanente, la fragilité du système. Leur “exil” n’est pas géographique : il est émotionnel. Ils fuient un monde rempli mais vide.
 
La migration est devenue un mythe. Une légende moderne. Une fièvre collective. Elle a ses héros, ses martyrs, ses illusions. Elle a aussi ses morts : ceux qu’on enterre chez nous, ceux qu’on rapatrie chez eux, ceux qu’on ne retrouve jamais. Aujourd’hui, il est essentiel de rappeler une vérité : la France et l’Europe ne représentent plus l’eldorado promis.
 
Les représentations fantasmées, souvent héritées d’une époque révolue, ne correspondent plus aux réalités contemporaines. Les difficultés économiques, les exigences administratives, la solitude sociale, la pression psychologique ou encore les transformations culturelles bousculent le rêve d’un refuge idéal. Partir n’est plus une garantie d’ascension. Et rester n’est plus un signe d’échec. Cette prise de conscience est fondamentale pour rétablir une vision juste, responsable et apaisée des choix de vie.
 
La pirogue ne transporte pas seulement des corps : elle transporte des espoirs disproportionnés et des mensonges partagés. Mensonges institutionnels, mensonges familiaux, mensonges sociaux. Car disons-le sans détour : au Sénégal, l’échec est interdit. Un jeune qui revient sans diplôme, sans argent, sans photos Instagram est vite réduit au silence. Honte sociale. Condamnation muette.

En France, c’est l’inverse : l’échec est permis… mais la réussite est inaccessible pour ceux qui n’entrent pas dans les bons codes. Alors oui, il faut le dire avec la force de ceux qui aiment profondément ces deux pays :
- La France n’est pas ce paradis blanc où les billets poussent dans les rues.

- Le Sénégal n’est pas cette échappatoire exotique où l’on se refait une vie dans la facilité.

- La migration n’est plus une aventure. C’est un test moral, mental, social et économique.

Et au milieu de ce chaos, il y a l’humain. Le migrant qui se bat. Celui qui s’accroche. Celui qui tombe et n’ose pas le dire. Celui qui réussit mais paie un prix psychologique que personne n’imagine.Car on ne migre jamais seul : on emmène avec soi le poids des attentes, des sacrifices, des dettes, des prières. Ce qui manque aujourd’hui, ce n’est pas la liberté de partir. C’est la liberté de revenir. La liberté de dire “je n’ai pas réussi, mais je suis vivant.”

 
Ce qui manque, ce sont des États qui parlent vrai.
Des familles qui écoutent sans humilier.
Des médias qui informent au lieu de vendre du rêve.
Une jeunesse qui ose construire ici, au lieu de mourir là-bas.

Une diaspora qui dit clairement la vérité :
“L’Europe a changé. Le monde a changé. Les illusions aussi doivent changer.”

Migration ne signifie pas fuite.
Cela peut être un choix, un projet, une ouverture.
Mais ça ne doit plus être un sacrifice humain sur l’autel de l’espoir aveugle.
 
Aujourd’hui, ce que je souhaite à chaque jeune — en France comme au Sénégal — c’est une chose simple, presque révolutionnaire :

- la possibilité de réussir chez soi,
- de voyager par choix,
- de revenir par dignité,
- et d’exister sans devoir mentir.
 
Parce qu’au fond, la plus grande migration de notre époque n’est pas géographique : c’est une migration intérieure. Une quête d’identité, d’équilibre, de vérité.Et celle-là, personne ne peut la faire à notre place.
 
Marie  Barboza MENDY– Regards croisés d’une Franco-Sénégalaise
mendymarie.b@gmail.com
TEL. 78 291 83 25            


Mercredi 26 Novembre 2025 21:25


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