Lutte contre le cancer: le Sénégal pointé du doigt

Dans un rapport publié jeudi 24 octobre, l'organisation internationale Human Rights Watch dénonce l'agonie à laquelle sont livrés des milliers de Sénégalais atteints de cancer, faute de soins palliatifs permettant de soulager leur douleur.



« Plusieurs milliers de patients atteints de cancer, ainsi que d’autres Sénégalais, subissent une agonie inutile parce qu’ils ne peuvent pas obtenir de morphine pour traiter leur douleur ». Dans un rapport intitulé « Abandonnés dans l’agonie: le cancer et la lutte pour le traitement de la douleur au Sénégal », l'organisation Human Rights Watch  dépeint les ravages du cancer au Sénégal et dénonce l'absence de soins palliatifs, laissant les patients en proie à leur douleur.
 

Chaque année, près de 30% des décès sont dus aux maladies non transmissibles, le cancer tuant, à lui seul, plus de Sénégalais que le sida, la tuberculose et la malaria réunis. Une proportion qui devrait augmenter dans les décennies à venir en raison des changements de mode de vie et du vieillissement de la population, prévient Human Rights Watch.
 

Et le constat est alarmant: plusieurs dizaines de milliers de Sénégalais, adultes et enfants, sont privés de traitements antidouleur, faute d’une stratégie nationale mise en place pour développer et favoriser l’accès aux soins palliatifs. Approvisionnement en morphine insuffisant ou inexistant, politiques d’accès aux médicaments restrictives, manque de formation du personnel soignant, indisponibilité des soins palliatifs en dehors des principales villes du pays, les obstacles sont nombreux pour ceux dont le recours aux soins palliatifs représente la dernière option au soulagement de leur douleur, faute de traitements curatifs adaptés.
 

Un kilo de morphine pour 70 000 patients
 

« Je ne peux pas vivre sans médicaments », témoigne un homme atteint d’un cancer de la prostate auprès de Human Rights Watch. Comme d’autres, il souffre en pénurie de morphine:« J’essaie de supporter la douleur pendant 2 ou 3 jours, et quand je ne peux pas le supporter, je prends une pilule… Je suis allé à toutes les pharmacies et ils n’en vendent pas. » Seuls autorisés à distribuer de la morphine, les hôpitaux régionaux et nationaux, ainsi que les Pharmacies régionales d’approvisionnement, succursales de la Pharmacie nationale, sont régulièrement à court de stocks.
 

Pour 70 000 personnes nécessitant un traitement antidouleur, le Sénégal importe seulement un kilogramme de morphine chaque année, de quoi traiter 194 patients. Considérées comme essentielles dans le traitement des douleurs sévères liées au cancer* par l’Organisation mondiale de la Santé, les pilules de morphine, s’ajoutant ainsi à la morphine injectable, n’ont été que récemment inscrites sur la liste sénégalaise des médicaments essentiels. Mais la Pharmacie nationale d’approvisionnement (PNA), agence gouvernementale chargée de l’approvisionnement et de la distribution des médicaments essentiels, ne pourra en commander avant fin 2013.
 

Une pénurie à laquelle tentent de pallier les hôpitaux en suivant des procédures complexes, les obligeant à passer des appels d’offres uniquement auprès de sociétés nationales. Une barrière juridique qui limite les possibilités d’approvisionnement: en 2012, trois hôpitaux de Dakar ont lancé des appels d’offre pour des achats de morphine, sans succès.
 

Des soins centralisés à Dakar
 

Au nombre limité d’établissements autorisés à vendre des opiacés, situés dans les principales villes du pays, s’ajoute la restriction imposée aux médecins de prescrire de la morphine qu’une seule fois par semaine. Les patients et leur famille doivent se rendre à Dakar pour obtenir leurs médicaments. Beaucoup de patients en zones rurales, dans l’incapacité de se déplacer, se retrouvent alors sans soutien médical et sans médicaments. 
 

D’autant plus qu’à l’heure actuelle, aucun service spécifique de soins palliatifs n’existe au Sénégal et les soins restent totalement indisponibles en dehors Dakar. « Ces patients et leurs familles finissent abandonnés par le système de santé au moment de leur vie où ils sont sans doute le plus vulnérables », souligne l’auteure du rapport, Angela Chung.
 

Classé parmi les pays « n’ayant aucune activité de soins palliatifs connue » par l’Association mondiale des soins palliatifs, le Sénégal ne dispose d’aucun plan global permettant un large accès au traitement antidouleur pour les personnes atteintes de cancer, contrairement aux politiques développées dans le pays pour lutter contre le paludisme ou le VIH. Un manquement de l’Etat sénégalais à garantir le droit à la santé de ses citoyens, selon Human Rights Watch qui exhorte le gouvernement à agir rapidement dans la lutte contre le cancer : « Aucun patient ne devrait avoir à souffrir alors que la médecine moderne peut facilement l’empêcher ».
 

* 80% des patients atteints d’un cancer et près de 50% atteints du VIH/Sida développent des douleurs sévères, voire incapacitantes.


Dié BA

Jeudi 31 Octobre 2013 15:03


Dans la même rubrique :