#Migration - Les sans-papiers sénégalais de France entre quête de régularisation, "emploi sous alias" et mal du pays

Dans notre Chapitre (Avril-Juin) consacré aux Migrations (20 reportages, mini-dossiers, interviews sur la question des Migrations au Sénégal), en collaboration avec l'organisation Article 19, nous entrés dans l'univers dans Sénégalais sans papiers d'Europe.
Ils sont partis en Europe à la recherche de meilleures conditions de vie afin de pour subvenir aux besoins de leurs familles. Beaucoup d'entre ces migrants se sont engagés dans cette aventure par tous les moyens. Parfois de manière dangereuse en prenant la pirogue ou encore en obtenant le visa. Arrivés en Europe, ils ont un dénominateur commun : une situation irrégulière. Etre sans-papier en Europe et tendre vers la régularisation est un un véritable parcours du combattant de nos jours. Ils sont obligés de travailler "sous alias" et d'endurer le mal du pays. Des Sénégalais vivant à l’étranger se sont confiés à PressAfrik.



Un sans-papiers sénégalais lors d'une manifestation en France
Leur nombre ne cesse d’augmenter. Selon le ministre français de l’Intérieur qui a donné les chiffres en avril 2021, LA France compte « 600 000 à 700 000 » personnes en situation irrégulière sur son territoire. Elle a beaucoup moins de clandestins que la plupart des grands pays d’Europe, à commencer par la Grande-Bretagne : entre 1 million et 1,5 million.

Ces derniers jours, les sans-papiers ont décidé de se faire entendre afin d’être régularisé. Lundi 30 mai, près de 200 Maliens, Sénégalais et Guinéens sans papiers ont manifesté sous les fenêtres de la préfecture du Val-de-Marne. Une nouvelle manifestation a eu lieu mercredi devant le ministère de l’Intérieur à Paris, puis jeudi à Champigny-sur-Marne devant une société de nettoyage qui emploierait aussi des sans-papiers.
"Les employeurs français profitent de notre statut pour nous exploiter"
Parmi les manifestants, figure Modou (le nom a été changé), ce Sénégalais arrivé en France depuis 2018, se trouve situation irrégulière malgré l’exercice d’un emploi correct. « Je suis arrivé en France par voie légale en obtenant mon visa en 2018. Le premier problème qu’on peut rencontrer ici c’est le logement. Moi j'ai eu la chance d'être bien accueilli. Après cela, vient le travail. Et pour obtenir un boulot, il faut avoir ses papiers. Si ce n'est pas le cas, il faut que quelqu'un te prête ses papiers pour que tu puisses travailler. C'est comme ça qu'il faut démarrer », explique-t-il à PressAfrik.

En France, pour obtenir un papier (un titre de séjour) plusieurs possibilités s’offrent aux immigrés. Il y a les demandes d'asile, les lois de 5 ou 10 ans. C'est à dire travailler afin d’obtenir certains justificatifs dont des bulletins de paie. L'autre chose c'est le mariage avec un conjoint ou une conjointe ayant la nationalité.

Selon notre interlocuteur, la deuxième possibilité citée ci-haut n’est pas respectée par bon nombre d’employeurs. Les sans-papiers se sentent surtout exploités. « L’État nous demande de travailler pour être régularisés et obtenir un titre de séjour. Mais l’employeur refuse de donner les documents nécessaires (NDLR : formulaires Cerfa et certificats de concordance) ».

Modou de soutenir qu’ils sont victimes d’exploitation. « Nous sommes victimes d'exploitation. Certains travaux ne sont faits que par les étrangers. Comme le nettoyage, la manutention ou dans le bâtiment et les travaux publics. Ils veulent tout temps avoir une main d'œuvre à bas prix. Si tu es sans papiers tu n'as pas certains droits. Ce que tu cherches, c'est juste avoir de quoi à vivre et à envoyer au village. Ça fait plus de 8 mois que je suis en grève pour espérer être régularisé. Mais pour l'instant ça n'a pas marché », regrette ce Sénégalais.

"Les choses sont devenues difficiles"

Pour lui, l’obtention du titre de séjour est devenue difficile ces dernières années avec la « dématérialisation ». « Maintenant, explique-t-il, ce sont les préfectures qui rendent difficiles les choses. C'est le préfet qui donne les cartes de séjour et le rendez-vous se fait en ligne. On peut passer des mois à attendre pour obtenir un rendez-vous ». L’autre chose, selon ce Sénégalais, c’est la montée en puissance des actes terroristes et de l’islamophobie.  

Sans oublier les contrôles intempestifs. En France, on ne joue pas avec les contrôles surtout en cas de manifestations, d’attaques ect.... « Dans ces genres de situation, nous les sans-papiers, on ne sort pas. Si jamais la police te prend, tu as peu de chances de rester là-bas. Sinon, on te renvoie dans ton pays d’origine », raconte notre interlocuteur.

En 2021, la France en a délivré 271 675, d’après les statistiques de l’immigration publiées par le ministère de l’Intérieur. Les titres de séjour pour motif humanitaire sont les seuls dont le nombre augmente par rapport à 2019. La France en a délivré 43 200 l’an dernier. Il s’agit essentiellement de demandeurs d’asile éligibles à une protection.

L’immigration familiale reste la plus importante avec 88 225 titres de séjour dont une majorité de conjoints ou de parents de Français, devant les étudiants étrangers qui ont reçu 85 080 titres de séjour en 2021. 

L’immigration économique ne décolle pas, malgré la pénurie de main d’œuvre dans de nombreux secteurs avec 36 560 titres de séjour délivrés en 2021, contre 39 131 en 2019.

 


Les emplois "sous alias" et les problèmes entre migrants qui en découlent
La vie en France n’est pas du tout facile quand tu es un sans-papiers. En plus des difficultés rencontrées au quotidien, il y a le mal du pays. Et Modou, marié, en souffre depuis son arrivée. « C'est difficile de vivre depuis des années sans famille. C'est vrai que le salaire est mieux ici. Mais rester sans voir sa femme, ses parents, ses enfants, c'est difficile. Même le jour de la fête, on travaille. Le mieux, c'est d'avoir ses papiers d'aller et de revenir ».

En plus de Modou, Sidy (nom d’emprunt), lui aussi reconnait que être sans-papier en Europe est un un véritable parcours du combattant de nos jours. Les difficultés sont nombreuses. Mais celle qui a marqué Sidy est surtout entre frères, parents et amis issus du même village. « Tout le monde sait que si tu n’as pas des papiers, tu ne peux pas travailler. La solution qui est connue de tous ici est de travailler sous ‘’alias’’. Ce qui signifie avec les papiers de quelqu’un d’autre. Le problème entre frères commence au moment où le salaire tombe. Obtenir son argent devient un vrai problème. Car celui qui t’a prêté ses papiers trouve tous les moyens pour ne pas te remettre ton argent. Parfois, il faut l’intervention des personnes âgées ».

Le mal du pays
Au-delà de ces problèmes internes, il y a surtout le mal du pays. Sidy qui a atterri à Paris, en 2015, n’a toujours pas ses papiers pour rentrer voir la famille au pays. « Bien que je suis célibataire, il y a mes parents et amis qui sont au village (au Sénégal). Ils me manquent. On fait souvent des appels vidéo, mais ce n’est pas la solution. Ces appels parfois me donnent envie d’être à leur cotés au village. Ce que nous voulons c’est d’obtenir nos papiers ».

« Nous sommes-là seulement sans savoir quand nous irons au village. Ça ne rassure pas quand je vois ici des gens qui ont fait 15 à 20 ans en France, laissant leurs parents derrière eux. En ce qui me concerne, dès que j’obtiens mes papiers, j’irai au Sénégal même si je n’ai pas beaucoup d’économie », promet ce jeune dans la trentaine.

L’obtention des papiers est un peu plus facile pour les femmes. Amy (nom d’emprunt) n’a pas beaucoup souffert. Arrivée en France en 2019, sur invitation de son époux en situation régulière, elle a obtenu la nationalité, deux ans après. « Ça n’a pas été compliqué pour moi. J’ai accouché d’une fille, et mon mari a entamé les démarches pour que j’obtienne la nationalité. Et c’est fait ».
 
L’acquisition du statut de « travailleur immigré », c’est-à-dire de résident autorisé à travailler en France, est généralement le résultat d’un parcours avec des phases d’irrégularité, de précarité et (ou) de changement de statut…

Salif SAKHANOKHO

Jeudi 2 Juin 2022 16:47


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