Moi Modou Ndongo daara, ma nguiy jooy raflé ndjit

« La pauvreté commence quand un enfant ne peut exercer son droit fondamental à l’éducation. Ce qui commence quand la dignité d’un seul individu est foulée aux pieds se solde trop souvent par une calamité pour une nation toute entière »
(Kofi Annan, 10 décembre 2001, Oslo)



Monsieur le Président,

J’espère qu’à travers ma modeste lettre, vous entendrez le gémissement sourd des milliers d’enfants qui souffrent dans les rues de Dakar et d’ailleurs. Ils crient leur désolation, leur colère, leur désespoir. Ils appellent au secours, hélas ! Personne ne semble s’intéresser à leur triste sort.

On me reproche parfois d’être Burkinabé, Malien, Bissau guinéen, mais je suis aussi Sénégalais. Bref, la seule chose que je peux affirmer, c’est que je suis un enfant et en tant que tel, j’ai des droits que j’entends faire appliquer, d’où mon adresse.

Monsieur le Président,

Evidemment, je ne sais pas lire, mais j’ai entendu dire que notre pays a signé et ratifié toutes les conventions portant sur les droits des enfants. Alors, ma question est simple, comment se fait-il que moi et tant d’autres enfants vivons dans des conditions d’une précarité indescriptible et subissons des traitements aussi inhumains ?

« Les Etats partie s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction sans distinction aucune, indépendamment de toute considération, de leur origine nationale […] ».

Monsieur le Président,

Je fais des kilomètres et des kilomètres à pied tous les jours pour mendier ma pitance et entretenir celui qu’on appelle « mon tuteur-marabout ». J’ai 12 ans et me voila déjà obligé de travailler pour vivre, pire je dois travailler pour entretenir un adulte paresseux qui se cache derrière la religion, prétendant m’ouvrir les portes de la vie ici-bas puis dans l’au-delà. Pour lui, je fais des journées de plus de 12 heures. Or, après 12 heures de travail, qui est l’individu sensé, qui ose penser qu’un enfant soit disposé à mémoriser le plus petit verset du Saint Coran. La seule vérité, c’est que je suis exploité pour mon travail.

« Les Etats partie prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. »

Monsieur le Président,

J’aimerais que vous sachiez que je suis un esclave, et justement cette lettre, est la paire de lunettes pour que, vous qui représentez toute la population sénégalaise, voyez en clair les boulets et les chaînes qui m’entravent. Je vous demande solennellement de veiller à ce que l’on arrête d’utiliser les arguments de la religion et de la tradition pour justifier les tortures que l’on me fait subir. N’est-ce pas lâcheté que de voir quotidiennement l’exploitation des enfants et la justifier par une explication noble.

« Les Etats parties reconnaissent à l’enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge et de participer librement à la vie culturelle et artistique. »

Monsieur le Président,

C’est dommage ! Vous ne nous voyez jamais. Pourtant on est nombreux à fréquenter les alentours de votre résidence. Seulement, chaque fois que vous sortez, ministres et protocole s’arrangent pour dérouler, à votre droite comme à votre gauche, un rideau de trompe-l’œil. Autrement, je suis sûr que vous ne manqueriez de remarquer notre misère.

Monsieur le Président,

J’ai aussi une sœur d’infortune. Elle est « bonne », elle vient du village d’à Côté. Elle aussi travaille 15 heures par jour dans une maison, où il lui arrive de subir des humiliations, des châtiments corporels et même des agressions sexuelles. Elle n’ose pas toujours raconter son calvaire, mais à moi, elle a tout dit. Oui, elle a pu me dire car elle savait que je compatirais à son histoire. Elle sait que je subis les mêmes agressions.

« Les Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social. »

Monsieur le Président,

On me demande d’être gentil. Je suis désolé, je suis sincèrement désolé, mais j’en suis incapable ; j’ai la haine. J’ai perdu toute confiance en cette société qui fait de la mascarade sa stratégie de défense, faisant ainsi perdurer le mal dont des milliers d’enfants sont victimes. J’ai perdu confiance en mon père qui m’a confié au tuteur-marabout, j’ai perdu confiance en ma mère qui ne pas défendu. J’ai perdu confiance en cet adulte qui me tend des pièces de 25 francs pour entretenir mon bourreau, au lieu de lutter pour que mes droits soient respectés. J’ai perdu confiance en cet adulte qui ne se rend même pas compte que lui, tout comme moi, sommes victimes du « tuteur-marabout ». Moi, en ce que je suis astreint à lui rapporter 500 francs, lui, parce qu’étant passé la veille le consulter, a reçu de lui la recommandation de « sortir » cinq bougies, deux noix de cola et surtout trois pièces de 100 francs et de les offrir à un jeune garçon « innocent ».

Monsieur le Président,

Mon bourreau oublie souvent de dire qu’il n’y a plus d’innocent parmi nous, nous vivons dans la rue, nous devons nous battre pour ne pas mourir de faim. Nous tendons la main, implorons des gens que nous ne connaissons ni d’Adam, ni d’Eve. Nous avons même dû apprendre à mentir pour empocher le maximum d’argent. En fait, malgré notre jeune âge, nous avons joué et subi tous les actes de la vie, comprenne qui peut.

Pourtant, tous, vous interdisez à vos enfants de demander de l’argent sous peine de punition. Cela c’est la tradition et vous en conviendrez avec moi. Comment pouvez-vous accepter, dès lors, que notre éducation passe par la mendicité ? Un enfant qui est traité comme un chien galeux, qui courbe l’échine en tendant la main, ne peut garder longtemps sa dignité.

Monsieur le Président,

Saviez-vous que quand j’ai une plaie je mets du sable et de la cendre pour tout pansement ? J’ai des poux, je pue, je porte des haillons et ne prend qu’accidentellement une douche. Je suis le vecteur de prédilection de toutes les maladies, notamment du choléra.

Monsieur le Président,

Je suis jaloux de tous ces enfants qui ont un foyer, une maison, des parents qui les entourent d’affection. Mais pourquoi eux et pas moi ? J’aimerais ne plus devoir attendre qu’ils jettent un habit pour pouvoir me vêtir. J’aimerais connaître la quiétude familiale et ne plus dormir à même le sol.

Monsieur le Président,

Je voudrais que vous sachiez aussi que je n’ai aucune existence, ni administrative encore moins sociale. Ou plutôt si ; je suis le rebut de la société. Je n’ai aucune référence, pas de standard. L’égalité des chances des citoyens est un concept vide en ce qui me concerne. Comprenez, Monsieur le Président, je suis déstructuré !

Monsieur le Président,

Je vous supplie, vous implore ; entendez à travers ma voix, la supplique des milliers d’enfants dont les perspectives d’avenir sont définitivement compromises par la mendicité et le travail précoce dans les grandes villes de notre pays.

Monsieur le Président,

J’attends de vous, vous qui restez mon ultime espoir, l’abolition immédiate de la mendicité et du travail des enfants. J’attends de vous, des mesures efficaces pour que chaque enfant ose rêver devenir un citoyen capable de contribuer au développement de son pays.

P.O
Pierre-Louis Monteil
Citoyen


Pierre-Louis Monteil

Vendredi 15 Mars 2013 03:11


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