Opinion - face a la crise, dégraisser le mammouth Sénégal

Avec la chute du mur de Berlin en novembre 1989, le monde occidental libéral donnait un sacré coup au communisme utopique qui, n’ayant pas pu répondre aux exigences physiologiques de l’homme, en avait assez rajouté en portant atteinte aux autres exigences immatérielles et essentielles comme la liberté.
Le capitalisme drapé du manteau de l’euphémisme libéral donnait l’impression, dans l’euphorie de 1989, d’avoir triomphé de sa vieille ennemie théorisée par Marx et Engels et pratiquée dans un chaos plus passif que positif presque partout dans les cinq continents. Le capitalisme libéral avait beaucoup ri à la noyade du communisme alors que lui aussi n’avait pas encore fini de traverser le fleuve.



Aujourd’hui, vingt ans après la chute du mur de Berlin, la crise est là malgré la mue du capitalisme en terme plus nuancé sous le jargon moins chargé de « mondialisation » concept galvaudé à usage conjoncturel en fonction des intérêts nationaux des plus forts. La récession est là et frappe le symbole le plus avancé du capitalisme : les USA. Certains « esprits éclairés » parlent de crise du capitalisme financier comme pour ne jeter la pierre que sur le versant spéculatif et immatériel des marchés financiers qui seraient devenus brusquement dans leur tourbillon déréglé le ventre mou d’un système dont ils ont été l’adjuvant depuis plusieurs années. Le capitalisme à la peau de centaure avait résisté à la prophétie sur sa mort que devait causer la baisse tendancielle des taux de profits. Sa trouvaille a été l’innovation concept appliqué au réel et qui suscite le besoin de façon perpétuelle et fait que l’homme, au-delà de l’utilité du véhicule par exemple qui sert simplement à se déplacer, éprouve le désir suscité de changer de bagnoles en fonction de la mode.

L’innovation a prolongé la vie du capitalisme par le changement perpétuel des besoins nommés et innomés, réels et virtuels, en définitive, crées dans le subconscient de l’homme qui doit renouveler sans cesse son « ticket pour la modernité ». Autre ressort ayant renforcé les bases du capitalisme : la titrisation de l’économie mondiale par le biais du marché financier qui fait qu’aujourd’hui selon les spécialistes, cette économie non réelle représenterait quatre fois le PIB mondiale. Il y avait là une façon, sans produire en réel de faire du profit comme au poker dans les marchés financiers.

La crise mondiale actuelle à l’origine financière aura et est entrain d’avoir des conséquences inéluctables sur l’économie réelle par la récession annoncée avec une baisse progressive et difficilement corrigeable du PIB mondial.

Et le Sénégal dans tout cela ?

Que signifie pour l’économie sénégalaise une récession mondiale ? Quelles pourraient être les effets de cette crise sur l’économie, le quotidien et le vécu des sénégalais ? Sommes-nous préparés par une politique d’anticipation à gérer et à juguler les effets de la crise ? Au moment où l’économie mondiale compte sur les actions énergiques des gouvernements pour redresser la barre, qu’est-ce que nos autorités font ou prévoient de faire ? Au moment où Obama et les autres comme Sarkozy communiquent avec leur peuple et font tout pour garder intact la crédibilité de l’Etat, que faisons-nous en haut lieu ? Ces questions méritent d’être posées face au mutisme ambiant au sommet sénégalais sur cette crise qui ne nous a pas encore globalement touché du fait de notre faible poids dans l’économie mondiale. Ce poids quoique petit ne nous protège cependant pas. « Quand les éléphants maigrissent, les souris meurent » !

Une analyse rapide et succincte des bases de notre économie montre un système bancaire extraverti avec des filiales de multinationales fortement imbriquées dans le système financier mondial. Ces banques locales qui seront fortement secouées pourraient en cette période de crise faire l’objet d’un encadrement rapproché de la part des maisons mères. Les règles de crédit pourraient être plus draconiennes avec probablement des retraits de fond au niveau des filiales pour faire face aux difficultés des maisons mères. Le tissu bancaire sénégalais n’échappera pas à la crise parce que simplement nos banques ne nous appartiennent pas pour l’essentiel.

En outre, une récession sape forcément les bases de la crédibilité et la solvabilité des entreprises avec un renchérissement du recours aux prêts à court terme et autres découverts bancaires. La quasi-totalité des entreprises sénégalaise ne sont pas liquides et recourent à des découverts bancaires pour régler des urgences comme les salaires. Déjà, avant la crise, les opérateurs économiques locaux reprochaient aux banques commerciales leur trop grande prudence à financer le développement. La crise en toute logique pourrait aggraver cette tendance et, les conséquences sur l’économie réelle risquent d’être catastrophique. Le cercle vicieux va aussi happer les recettes fiscales qui déjà subissent les effets du mal congénital de notre économie d’abord importatrice. La baisse des recettes fiscales sera difficile à juguler par un élargissement de l’assiette du fait du faible niveau de revenu global en formel et en informel.

Quid du financement par l’extérieur ?

L’Etat pourra-t-il compter sur des rentrées de fond massifs étrangers via les institutions financières internationales ou la coopération inter état ? Un optimisme dans ce registre serait utopique puisque ce sont « toutes les barbes du monde qui ont pris feu ». Chaque Etat essaiera d’abord d’éteindre son feu et les institutions internationales pour contenir la crise, pensent d’abord l’attaquer au niveau de sa rampe des USA. Déjà Obama compte sur des pays comme la chine (ironie du sort encore communiste et plus gros créancier étranger des Etats-Unis !) pour acheter les bons du trésor américains pour financer son plan. Un recours à la planche à biais fragiliserait encore le dollar et toutes les économies ayant leurs réserves étrangères en dollars.

En vérité, les rares rentrées de fonds dans notre pays en provenance de ces deux mamelles externes (institutions de Bretton-Woods et Etats étrangers) ne pourront pas permettre au Sénégal de s’en sortir si nous gardons le standing de notre niveau de vie d’Etat flambeur. Il nous faut dégraisser le mammouth Sénégal en évitant d’exacerber la crise au niveau des populations les plus démunies qui déjà ne vivent globalement pas au niveau des standards du monde. Nous n’avons pas besoin de décrire la situation générale de morosité du pays avec, plus grave, l’absence de perspectives pour la grande majorité notamment les jeunes.

Face à cette situation, le devoir recommande aux autorités de tenir un langage de vérité sur l’Etat réel de la nation secteur par secteur. Ce bilan sans complaisance devrait expliquer les causes et mettre sur la place publique les solutions de sortie de crise et d’anticipation sur les conséquences à venir de la récession mondiale sur notre économie. Dans la kyrielle de solutions, l’Etat devra dire concrètement ce qu’il va faire tout de suite pour réduire son train de vie en recentrant les priorités et l’efficacité des dépenses.

Cette démarche sans doute nous débarrassera au plus vite du sénat et des autres dépenses inutiles et sans impact sur le vécu du peuple.

Pour éviter le dépôt de bilan d’un Etat qui a du mal à régler globalement la dette intérieure, il nous faut tout de suite « dégraisser le mammouth » au lieu de vendre les bijoux de famille comme les actions de la Sonatel. Cependant, « Dégraisser le mammouth » ne signifie pas se lancer aveuglément dans des économies décidées par des donneurs d’ordre externes et qui toucheraient les secteurs sociaux comme la santé, l’éducation et, les denrées de premières nécessité.

Beaucoup d’économies sont possibles dans les administrations et le train de vie ubuesque de l’Etat. La crise impose ce recentrage des dépenses si nous voulons négocier le virage.
Mais cela ne suffira pas.

Pour mettre le Sénégal dans une position de rupture et d’ancrage vers le développement, il faudra aussi mettre en œuvre une réflexion sérieuse pour une utilisation rationnelle de nos ressources. Nous devons compter d’abord sur nos propres forces et éviter de caler notre sort à des projets encore « éléphant blanc » comme la ZES (zone économique spéciale de Diamniadio). Nous devons, au nom de la préférence nationale, faire faire par nous même tout ce que nous pouvons faire. Cette réflexion devra être dépouillé de tout comportement mimétique qui nous fera mettre la charrue avant les bœufs. Nous sommes un pays pauvre et nous devons construire le pays dans sa sève et non en peignant la coque Dakar qui ne représente que 0,3% de la superficie.

Dégraisser le Mammouth pourrait signifier d’abord informer sincèrement le citoyen sur l’Etat réel de la nation. Cette démarche aura le mérite de la sincérité. Le Sénégal est malade et vraiment malade. Le reconnaître grandit. Sembler l’ignorer dans le contexte actuel est suicidaire.
Mamadou NDIONE
Médina
Mandione15@gmail.com

Mamadou NDIONE

Lundi 27 Avril 2009 15:22


Dans la même rubrique :