Présidentielle en Bolivie: Rodrigo Paz Pereira, invaincu face à la gauche

L'arrivée inattendue de Rodrigo Paz Pereira en tête du scrutin au premier tour de l'élection présidentielle bolivienne, dimanche 17 août, marque la première défaite de la gauche depuis près de 20 ans. Invaincu en politique, le fils de l'ancien président Jaime Paz Zamora fait pour la première fois face à un autre candidat de droite, l'ex-président Jorge « Tuto » Quiroga.



Connaîtra-t-il sa première défaite électorale ? Arrivé en tête du premier tour de l'élection présidentielle en Bolivie, le 17 août, Rodrigo Paz Pereira continue son ascension politique. Avec 32,1% des voix, le candidat du parti démocrate-chrétien (PDC), social-libéral, devance de près de 6 points son futur opposant au second tour, Jorge Quiroga, dit « Tuto » (26,8%). Donné favori par les sondages, ce dernier, éphémère président entre 2001 et 2002, devra remonter la pente face au rival Paz d'ici au 19 octobre, date du vote décisif. C'est néanmoins la première fois que Rodrigo Paz, centriste chrétien, fera face à un adversaire politique de droite.
 
« Nous ne sommes pas là pour protéger les puissants ou ceux qui s'accrochent au pouvoir », martelait Paz sur son compte X, le 11 juin 2025. Une manière indirecte de critiquer la corruption qui gangrène le pays, classé à la 133e place sur 180 par Transparency International, et l'hégémonie du parti de gauche, le Mouvement vers le socialisme (MAS), qui n'avait pas perdu une élection présidentielle depuis 2006. Un discours un tant soit peu paradoxal pour le fils d'un ancien président, ayant lui-même fait carrière en politique.
 
Toujours est-il que ses promesses séduisent. Face à la « perte de crédibilité des deux leaders de gauche », Evo Morales et Luis Arce, Rodrigo Paz propose un « capitalisme auquel tous peuvent prendre part » comme solution face à un « socialisme trop enclin à la corruption », explique Tamara Espiñeira, enseignante en relations internationales à Sciences Po Rennes et spécialiste de l'Amérique latine.
 
Accueilli comme une surprise, le score au premier tour de Rodrigo Paz étonne peu la chercheuse. La famille Paz est bien connue des Boliviens, et le fils Rodrigo « n'a jamais perdu, quelles que soient les élections », souligne-t-elle.
 
« Bolivien de cœur »
Colliers de fleurs autour du cou, drapeaux boliviens à tous ses meetings, Rodrigo Paz Pereira martèle son amour pour la Bolivie. C'est sans doute en partie parce qu'il n'y est pas né. Celui qui se décrit sur TikTok comme « Bolivien de cœur », est venu au monde en Espagne, à Saint-Jacques-de-Compostelle, en septembre 1967. Il ne connaîtra pas la Bolivie durant son enfance. Son père, Jaime Paz Zamora, entame en effet en 1971 une longue période d'exil après avoir fondé en Bolivie le Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), un parti de lutte contre l'impérialisme.
 
La dictature de Hugo Banzer Suárez déclare illégaux les partis comme le MIR et contraint de nombreux opposants politiques à la fuite. Rodrigo Paz grandit alors dans plusieurs pays, au sein desquels il étudie et reçoit une éducation jésuite. Il ne revient en Bolivie qu'au début des années 1980 et obtient, en 1982, son diplôme au lycée San Ignacio de La Paz.
 
Une enfance en dehors du pays dont « il essaye de s'écarter », suggère Tamara Espiñeira. « Il cherche à le présenter autrement », en s'appuyant sur la nationalité de son père pour réfuter toute déclaration contraire : « Il est bolivien parce que son père est bolivien » poursuit la chercheuse. Outre sa nationalité, son paternel, élu président entre 1989 et 1993 après son retour au pays, lui a également légué son ambition politique.
 
Invaincu contre la gauche
Entré en politique à l'âge de 35 ans, Rodrigo Paz Pereira jouit d'une longue carrière ininterrompue au cours de laquelle il a brigué, avec succès, presque tous les mandats. « Il s'est toujours présenté contre le MAS et n'a jamais perdu », insiste Tamara Espiñeira. Rodrigo Paz a toujours eu la faveur des électeurs. Élu pour la première fois en 2002 en tant que député de Tarija, il commence sa carrière sous les couleurs du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) de son père.
 
Malgré son nom, le MIR de 2002 est devenu un parti social-démocrate, pour lequel Rodrigo Paz reste député jusqu'en 2010. Il quitte alors le MIR pour rejoindre l'Union pour le renouvellement (UNIR), un autre parti centriste, et entre au conseil municipal de Tarija. Cinq and plus tard, il devient maire de la ville avec 55% de voix, écrasant le candidat du MAS, Rodrigo Ibañez (20%).
 
Après la crise politique de 2019, il voit son mandat de maire étendu d'un an supplémentaire mais choisit de démissionner en octobre 2020. Une nouvelle opportunité lui tend les bras : le Sénat. Il rejoint alors la Communauté civique, un parti de centre-gauche, qui obtient 50,24% des suffrages à Tarija. Le MAS se contente de 42,6% des voix. Les deux partis ont beau envoyer chacun deux sénateurs à la Chambre Haute, c'est une nouvelle victoire électorale pour Paz contre ses adversaires de gauche.
 
Sans avoir été prédite dans les sondages, l'arrivée en tête des scrutins de 2025 de Rodrigo Paz doit se comprendre à l'aune d'une carrière politique fournie, calculée, et d'une expérience paternelle mise au service de la réussite du fils. Ce dernier se veut proche du peuple, prônant des mesures sociales, tendant parfois vers le populisme.
 
« Le capitalisme pour tous »
Pour renflouer les caisses du pays le plus pauvre d'Amérique du Sud, Rodrigo Paz « veut investir dans l'éducation sur le modèle jésuite » et, se faisant, « rendre les Boliviens autonomes », selon Tamara Espiñeira. Concrètement, l'idée est d'apprendre aux citoyens comment « gérer leurs propres comptes en banque à la sortie du système scolaire », développe la chercheuse.
 
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Mais la mesure phare du candidat, celle qu'il prône par-dessus tout, reste le « capitalisme pour tous ». Sommairement, l'idée est que « tout le monde soit en mesure d'emprunter de l'argent à des taux très bas », résume Tamara Espiñeira. À cela s'ajoute l'intention de « faire baisser les impôts et les taux douaniers », précise-t-elle. Pour mettre en place son programme, Rodrigo Paz Pereira s'inspire du président argentin Javier Milei dans sa volonté de « rapatrier les fonds boliviens à l'étranger dans le pays sans pénalisation fiscale », explique la chercheuse.
 
Des mesures sociales, inspirées de son père, qui ont fait la popularité de Rodrigo Paz. Il a d'ailleurs fréquemment mis en avant ses maigres fonds de campagne et a adopté une méthode de campagne qui semble lui avoir réussi. Au volant de sa voiture, le candidat a choisi de sillonner le pays, allant de village en village à la rencontre des électeurs. Une stratégie empruntée à Pedro Sánchez, l'actuel chef du gouvernement espagnol, qui avait entrepris un tour d'Espagne entre 2016 et 2017 pour sa campagne.
 
Si de nombreux électeurs semblent avoir été séduits par le personnage, Tamara Espiñeira reste prudente face à des mesures qui « jouent avec l'espoir des Boliviens ». Rodrigo Paz vend l'idée d'un pays dont la situation s'améliorerait dès son arrivée à la présidence. Des promesses diamétralement opposées à celles de son adversaire, Jorge Quiroga, « qui assume que ses premiers mois au pouvoir s'accompagneront d'une aggravation temporaire de la crise, avant d'en ressortir ».
 
Les deux candidats se veulent, à leur manière, les architectes d'un renouveau des institutions du pays. Reste à savoir si Rodrigo Paz sera assez convaincant pour remporter sa première victoire face à un concurrent de droite.

RFI

Lundi 18 Aout 2025 16:31


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