Rendons à Talla ce qui appartient à Talla



Le prince de Machiavel est souvent présenté comme le texte de base des plus grands stratèges politiques du monde. Et cela nos politiciens l’ont bien compris.Si Abdou Diouf, l’ancien président du Sénégal, en avait fait son livre de chevet, Abdoulaye Wade semble en être le plus fervent adepte. De ce texte, les non initiés comme moi, friands de citations hors contextes, retiennent des bribes de phrase tels que: le politicien ne dit jamais ce qu’il pense et ne pense jamais ce qu’il dit. Ou encore, "le prince peut dire ce qu’il veut, il y aura toujours quelqu’un pour le croire." Toutes ces citations, cependant nous donnent une information sur un principe de base sur lequel se basent tous ces politiciens: l’impression que nous avons de la réalité est plus importante que la réalité elle même.

Au Sénégal, Les politiciens ont compris cette relation au monde à telle enseigne que le président Abdoulaye Wade a fait du mensonge un crédo. Il n’hésite pas à annoncer la possibilité de doter le Sénégal d’une ligne de Train à Grande Vitesse et d’une usine d’énergie nucléaire, même si notre pays peine à régler ses problèmes d’électricité de base. En pleine crise énergétique, alors que les foyers ont du mal à trouver le gaz butane, il annonce, à grande pompe, l’imminence d’une ère nouvelle qui fera du Sénégal "un grand pays exportateur de pétrole"; pendant que la population marche contre la cherté de la vie, il affirme qu’il a réglé le problème de la pauvreté, et j’en passe. Le souverain est fou, sommes nous tentés de dire. Mais il ne l’est pas. C’est juste qu’il a l’intime conviction que l’impression que l’on se fait de la réalité est plus importante que la réalité elle même. Et peut être qu’il a raison.
Il n’est d’ailleurs pas seul à le croire. A observer la nouvelle classe dirigeante, on se demande si la vérité a une quelconque valeur. La seule vérité qui vaille, semble t-il, est celle des mots qui n’ont de sens que ceux que nous leur donnons. On a l’impression que la parole des politiciens est performatoire. Tanor Dieng, l’ami d’Abdou Diouf, l’une des personnalités les plus influentes des dernières années de Diouf prétend aujourd’hui être un homme immaculé. Idrissa Seck, le numéro 2 incontesté de la première magistrature de Abdoulaye Wade, qui a affirmé avoir utilisé à "bon escient" les fonds politiques qui lui avaient été confiés; qui de complot en complot a passé ces trois dernières années à décevoir le peuple Sénégalais, n’hésite jamais à se comparer aux prophètes qui l’ont précédé. Le sieur Macky Sall, chassé du gouvernement, humilié devant le peuple, pense qu’il lui suffit de se lancer dans des invectives à l’encontre de Wade pour effacer son passé. La liste est inépuisable. Djibo Ka, Iba Der Thiam, Jean Paul Diaz, Ousmane Ngom, presque toute la classe politique suit la même logique.

C’est dommage que les choses se passent ainsi. Mais, le plus triste c’est que cela semble marcher. Tous les politiciens que je viens de nommer sont à la tête de tous les sondages et le prochain président du Sénégal viendra, sauf par surprise, de ces rangs. Cette situation est d’autant plus triste que certains politiciens qui ne sont jamais tombés dans les mêmes travers, sont pourtant vus par les Sénégalais comme les pires de leur classe. Parmi ceux-ci: Talla Sylla.

A chaque fois qu’il y a un article sur Talla Sylla sur Seneweb ou que j’écoute les sénégalais de tous bords parler de lui, j’ai l’impression qu’il ne s’agit pas du même homme. Voilà l’un des rares hommes politiques sénégalais qui peut se targuer d’avoir (souvent au vu et au su de tout le monde) défendu l’intérêt du peuple. Rappelons-nous de 2000. Au lendemain des élections présidentielles, alors qu’il avait fait le chemin de la conquête du pouvoir avec l’opposition dite majoritaire, il était le seul à avoir déclaré, au moment du partage du butin, qu’il ne souhaitait pas entrer dans le gouvernement; qu’il préférait garder sa liberté de ton, car toute démocratie a besoin de contre pouvoir et que pour le bien du peuple il fallait bien avoir une opposition républicaine, qui applaudirait si Abdoulaye Wade faisait du bien et taperait sur la table, s’il en faisait autrement. En 2001, lors du referendum sur la nouvelle Constitution, il était l’un des rares opposants, à demander au peuple de ne pas voter une Constitution qui donnerait trop de pouvoir à une seule branche du Gouvernement. Lorsque Abdoulaye Wade avait décidé d’offrir des terrains  aux députés, il refusa de s’en octroyer un. Il fut le premier vice-président de l’assemblée nationale à démissionner de son poste pour protester contre la majorité mécanique. Lorsque Wade prolongea le mandat des députés, il organisa une campagne de pétition durant quatre mois. Il est l’instigateur des Assises nationales pour avoir, dès 2005, lancé les Rencontres citoyennes. On ne compte plus ses séjours dans les commissariats, gendarmeries et autres prisons. Et j’en passe… Pourquoi donc les citoyens sénégalais s’acharnent-ils tant sur cet homme alors que nul ne peut se rappeler d’un Talla Sylla qui, une fois, a fléchi sur ses principes? C’est dommage de le dire: Mais c’est parce que l’impression qu’on a de la réalité est plus importante que la réalité elle même. Que devons nous donc faire?

Je vous en conjure, rendons donc à Talla ce qui appartient à Talla. Respectons au moins celui qui a toujours voulu nous dire la vérité. Jugeons Talla Sylla à partir de la réalité des faits. Je ne vous demande pas de voter pour lui, encore moins de le rejoindre dans son combat, mais au moins, lorsqu’il risque sa vie pour, dit-il, sauver le Sénégal, accordons lui le bénéfice du doute. Et comme le dit si bien Wolof Ndiaye, Ku la jox nga ndekki, su la diggee añ nga mën kaa gëm.
 


Khadim THIAM Professeur à l'Université de Columbus, Ohio,

Mardi 22 Novembre 2011 12:06


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