Reportage: Le café Touba fait battre les coeurs

Sur les routes sénégalaises, je croise souvent des vendeurs de café. Un petit attroupement se fait autour d’eux. Ils m’invitent à goûter le café Touba. Pour l’instant, je n’ai pas encore cédé à la tentation. Il parait que ce café d’un nouveau genre fait battre le coeur à tout rompre.



Au Sénégal, le petit-déjeuner à la française est sacré : baguette, beurre Président, lait “venu de France” et Nescafé. Mais le bon vieux café occidental se fait tailler des croupières par un nouveau concurrent redoutable. Il laisse la place à une boisson autrement plus corsée : le café Touba. Près de trois des dix millions de Sénégalais seraient des consommateurs réguliers de café Touba : ils se sont convertis au cours des deux dernières années. Les adeptes du café Touba sont particulièrement nombreux dans les milieux populaires. Il est vrai que ce café d’un nouveau genre est beaucoup moins cher que le “café classique”.

Dans le filtre, en plus du café, du piment noir est placé en bonne quantité. Du piment originaire du Gabon ou de la Côte d’Ivoire. Mais la recette reste le plus souvent secrète. Les vendeurs qui occupent les rues de Dakar ont chacun la leur. Près de 15 000 commerçants vivraient de ce nouveau business dans les grandes villes du Sénégal. « Beaucoup de Sénégalais adorent cette boisson, car ils lui confèrent une dimension religieuse. Ils pensent qu’elle vient du ciel, car elle a été promue par des musulmans, dont Touba est la ville sainte », affirme un universitaire sénégalais.

« Cette boisson fait battre le cœur à toute vitesse. Elle a aussi pour fonction de réchauffer à l’aube pendant la saison froide » s’enthousiasme un étudiant qui ne peut s’en passer, notamment pour éviter de s’endormir à l’heure de réviser. Selon “la légende”, les ouvriers chargés de la construction du chemin de fer Dakar-Bamako pendant la colonisation française en faisaient déjà un usage immodéré pour supporter les cadences infernales.

Le café Touba aurait été popularisé à Dakar par Cheikh Ahmadou Bamba, le fondateur de la confrérie mouride, la plus puissante économiquement du Sénégal. Le café a été surnommé Touba, du nom de la ville sainte des mourides. C’est la paupérisation d’une partie des populations urbaines et l’augmentation du prix des produits d’importation qui a permis à cette boisson de connaître un développement foudroyant, toutes obédiences religieuses confondues.

Dans les rues de Dakar, la tasse se vend cinquante francs CFA (7 centimes d’euro). La plupart des vendeurs peuvent gagner 5 000 francs CFA [8 euros] par jour. Une belle somme au Sénégal où un instituteur gagne 150 000 francs CFA par mois [228 euros].

Le succès est tel que le café Touba est désormais conditionné et vendu dans les supermarchés de la capitale sénégalaise. Même les expatriés sénégalais en sont de grands consommateurs. « Alors que nous ne sommes même pas producteur de café, nous arrivons à en exporter. Un sacré tour de force » s’enthousiasme une commerçante dakaroise.

Un jour, je vais me laisser tenter par le café Touba, mais pour l’instant je préfère le “ataya”, le thé sénégalais. Celui que l’on boit le soir après le dîner.

Pierre CHERRUAU
http://dakarparis.blog.lemonde.fr/

Mame Coumba Diop

Mercredi 25 Novembre 2009 01:01


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