Soudan du Sud, Iran, Palestine: l’incroyable parcours de Stefano Cusin, coach des Comores, qui défie le Maroc

Une naissance au Canada, une enfance en France, l’Italien, arrivé en Afrique il y a vingt ans, est un entraîneur au parcours singulier. Avec RFI, ce coach au parcours singulier qui a entraîné dans 13 pays, revient sur ses expériences, ses choix, et la richesse de ses aventures humaines et sportives, du Cameroun à la Palestine en passant par l’Iran et Chypre.



RFI : Vous êtes arrivé en Afrique en 2003, en entraînant les U20 du Cameroun. Pourtant, les Comores ne sont que la deuxième sélection africaine que vous prenez en main, après le Soudan du Sud. N’avez-vous pas eu d’autres opportunités ou les sélections ne se sont-elles pas intéressées à vous ?
 
Stefano Cusin: Depuis toujours, depuis le début de ma carrière, mon objectif a toujours été celui d’entraîner un jour une équipe nationale africaine. Quand j’ai commencé mon travail il y a vingt ans au Cameroun, mon idée était la suivante : en Afrique, il y a des talents et je pensais qu’avec une organisation tactique, on pouvait vraiment être compétitif et faire de grandes choses. Mon parcours a donc commencé ainsi, en Afrique. Ensuite, je suis allé au Congo, en Afrique du Sud, et j’ai gagné le championnat en Libye avec Al-Ittihad.
 
Donc, en Afrique, j’ai travaillé un peu à l’ouest, à l’est, au nord, au sud. Mais j’ai toujours eu la passion pour le football africain. La vie vous amène parfois à gauche, à droite, ce sont les aléas d’un entraîneur. Disons que je n’avais pas eu la bonne opportunité. J’attendais vraiment d’avoir un vrai projet, avec des gens qui me fassent confiance, pas seulement une sélection qui vous dit : « venez et puis on verra ». C’est pour ça que ça m’a pris un peu de temps. Toutefois, quand j’ai eu l’offre du Soudan du Sud, le président de la fédération m’a tout de suite fait comprendre que c’était moi le patron et qu’ils feraient tout pour m’aider. Et ensuite, quand les Comores m’ont appelé, c’était déjà un autre niveau, avec des joueurs qui évoluent dans de grands clubs européens, un autre potentiel, une autre organisation. Je n’ai pas hésité un instant, j’ai compris que c’était un projet vraiment intéressant.
 
Est-ce que votre parcours global, ce côté « bourlingueur », n’a pas fait peur à des sélections plus prestigieuses, comme le Cameroun ou le Sénégal où vous aviez postulé il y a quelques années ?
 
Il faudrait leur poser la question. Sincèrement, depuis le début, je pensais qu’entraîner en Afrique, c’était fait pour moi, que j’étais la bonne personne pour une fédération qui me ferait confiance, et que j’aurais fait du bon travail. J’en étais convaincu, parce que j’avais la passion pour l’Afrique et pour les joueurs africains. Je me sens chez moi en Afrique, j’adore l’ambiance dans les stades, la mentalité des joueurs, c’est super.
 
Mais vous savez, choisir un entraîneur, ce n’est pas seulement regarder son CV ou son parcours, c’est aussi analyser la capacité d’un homme à s’adapter à un moment précis d’une équipe ou d’une sélection. Je me souviens que Pape Diouf disait ça, et je trouve que c’est la plus belle définition pour un entraîneur. Peut-être que les décideurs de l’époque préféraient des profils qui avaient déjà entraîné une équipe nationale A, plutôt que quelqu’un qui avait des compétences, mais n’avait pas encore pu le démontrer à ce niveau.
 
Quand on regarde votre parcours, il est assez impressionnant, non seulement comme entraîneur mais aussi comme joueur. On a l’impression que vous êtes toujours en mouvement, comme un milieu de terrain, dans votre vie. Qu’est-ce qui vous fait courir ?
 
La curiosité, l’envie de nouveaux challenges, de découvrir d’autres cultures, d’autres pays. C’est ça qui me motive. J’ai vécu des expériences extraordinaires dans certains pays méconnus du public, comme l’Iran ou la Palestine. Ce furent des aventures sportives avec des succès, mais aussi des aventures humaines très fortes. Même aujourd’hui, des années après, je suis toujours en contact avec beaucoup d’anciens joueurs. Pour moi, je me sens toujours très attaché à eux.
 
La plus belle chose, c’est de faire un métier qu’on aime. Moi, entraîneur, je le ferais même gratuitement, parce que j’aime le foot, organiser, préparer les matchs, les entraînements, ressentir la pression des grands matchs, l’ambiance des stades pleins. C’est un métier passion.
 
Parlez-nous de vos expériences, commençons par le Soudan du Sud. Comment se sont passées ces deux années ? Qu’en retenez-vous ?
 
Déjà, je retiens d’abord la relation extraordinaire que j’avais avec le président de la Fédération, Augustino Maduot Parek, un homme remarquable humainement, intelligent, visionnaire. Aussi, le groupe de joueurs qu’on a constitué, sur lequel on a travaillé, et avec qui je suis toujours en contact. Je retiens également les difficultés d’exercer dans un pays où la politique ne s’intéressait pas au sport, donc aucun financement : c’était la fédération qui devait tout payer, hôtels, transferts, etc. Il nous est arrivé d’arriver le matin même pour un match à jouer l’après-midi. On n’a jamais joué à domicile, notre terrain n’était pas homologué. C’était un début très difficile, mais à la fin, les résultats étaient là. Après avoir fait le Soudan du Sud, je pense qu’on peut aller partout.
 
Vous avez aussi entraîné en Iran. C’est un autre contexte, un autre décor ?
 
Oui, je suis arrivé en Iran en janvier 2020, à un moment où le pays était au bord d’une crise mondiale avec les États-Unis, après l’assassinat d’un général iranien en Irak. À l’aéroport, ils m’ont bloqué deux jours, pensant que j’étais un agent secret. J’ai passé 48 heures dans une petite pièce à l’aéroport, puis ils ont compris que j’étais l’entraîneur et m’ont libéré. L’Iran est un pays très fermé, mais les gens y sont extraordinaires, très méditerranéens dans l’âme.
 
Nous avons commencé par les qualifications pour la Ligue des champions asiatique, en jouant tous les matchs à l’extérieur à cause de l’embargo. Nous nous sommes qualifiés pour la phase de groupes avec Shahr Khodro FC, ce qui était exceptionnel pour une petite équipe. Cela s’est bien passé jusqu’à la crise du Covid-19. Le président du club a fait faillite et ne pouvait plus payer les salaires depuis huit ou neuf mois, donc j’ai dû arrêter. Mais je garde un très bon souvenir de l’Iran et même aujourd’hui, des clubs iraniens continuent de me contacter, ce qui montre qu’ils ont apprécié mon travail.
 
Qu’est-ce qui vous a poussé à aller entraîner en Palestine ? Ce n’est pas courant comme parcours d’entraîneur.
 
En fait, à l’époque, je travaillais avec Walter Zenga [ex-gardien international italien devenu entraîneur, NDLR], en tant qu’assistant. Il avait décidé d’attendre quelques mois avant de reprendre un club, alors que moi, je n’aimais pas rester sans activité. Je lui ai dit que si j’avais une offre intéressante, je la prendrais, et il était d’accord. Une première offre arrive, je décide d’y aller.
 
Un matin, je reçois un message d’un agent arabe, basé en Israël, qui me demande si j’accepterais d’entraîner en Palestine. Je ne connaissais pas le pays, ni le championnat, donc j’étais hésitant, mais il m’a mis en contact avec le président du club. On a parlé une heure au téléphone, il m’a expliqué l’histoire, la mentalité, les objectifs, et cela m’a séduit. J’ai vérifié sur Google : je voyais des bombes, des attentats, ce qui inquiétait ma famille. J’ai dit au président que je viendrais, mais que si la sécurité posait problème, je partirais : il m’a rassuré. Je suis parti avec mon préparateur physique italien, Gianluca Sorini, et on a commencé en janvier 2015.
 
Ce fut une expérience extraordinaire : on a gagné pratiquement tous les titres, qualifié le club pour la Ligue des champions asiatique, ce qui était inédit. C’était aussi une aventure humaine incroyable, avec la découverte de lieux saints, et un président visionnaire qui me laissait travailler dans de bonnes conditions. C’est l’une de mes plus belles expériences.
 
N’avez-vous jamais eu d’appréhension ou connu des moments de peur sur place ?
 
Il y a eu quelques épisodes qui auraient pu être dangereux, oui, c’est normal dans un pays jamais totalement tranquille. Par exemple, lors de notre déplacement à Gaza, ce fut une expérience très forte. J’ai vu le stade où nous avons joué être bombardé par la suite. Cela m’a attristé, surtout qu’il n’y avait pas eu de finale de Super Coupe palestinienne à Gaza depuis 15 ans, et nous avions réussi à la jouer et à la gagner. Le voyage à Gaza a été incroyable pour tout le monde, même pour nos joueurs qui n’avaient jamais franchi la frontière. Nous avons été reçus de manière extraordinaire.
 
On imagine que vous regardez d’un autre œil les événements qui se passent actuellement en Palestine, compte tenu de votre expérience là-bas ? [L’entretien a été réalisé pendant la guerre entre Israël et le Hamas et avant l’accord d’octobre 2025, NDLR]
Oui, c’est vrai. Quand on a la chance de voyager et de connaître les réalités du terrain, on comprend mieux le monde et ses dynamiques. On a un regard différent de celui de la population qui se fait une idée à travers les médias. Mes convictions sont basées sur des faits réels, sur ce que j’ai vécu. Quand je suis arrivé en Palestine, personne ne m’a dit « les Israéliens sont les méchants et nous les gentils », ni le contraire. Je me suis forgé ma propre opinion en vivant la réalité du pays.
 
J’ai même rencontré Ismaël Haniyeh, le chef du Hamas [assassiné en juillet 2024, NDLR], dans un bunker souterrain à Gaza : nous avons parlé football pendant une heure. Ce sont les miracles de ce métier, d’avoir accès à des personnalités planétaires à travers le football. C’était un moment très marquant.
 
Un dernier mot sur votre expérience à Chypre. Mais quand on passe du Sud-Soudan à l’Iran ou à la Palestine, Chypre, c’est plus tranquille forcément ?
 
À Chypre, j’avais déjà eu des opportunités, mais cela n’avait pas abouti. Quand ce club, Ermís Aradíppou, m’a appelé, je savais que ce serait difficile car le président voulait se substituer à l’entraîneur. Dans ma carrière, j’ai eu la chance de rencontrer quelques présidents vraiment visionnaires, mais aussi d’autres très difficiles, qui voulaient trop intervenir et étaient mal conseillés. Chypre appartient à cette catégorie. Pourtant, j’étais dans un bon championnat, j’ai remis l’équipe sur pied alors qu’elle était dernière au classement, nous avons obtenu de bons résultats.
 
Mais à un moment, j’ai compris que le club ne suivait pas mes démarches : je demandais un attaquant, ils me prenaient un défenseur, etc. Je suis allé voir le président et j’ai rendu les clés du vestiaire, le survêtement, le maillot, le sac, et nous avons déchiré le contrat. Après mon départ, l’équipe a perdu 13 des 14 derniers matchs et a été reléguée. Finalement, cela a prouvé que j’avais raison.

RFI

Samedi 20 Décembre 2025 10:48


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