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​Viol : L’homme, le sexe faible devant la Justice ? Analyse croisée d’un «système judiciaire inquisitoire»

Les cas de viol sont devenus monnaie courante au Sénégal. Quasiment chaque jour ou chaque semaine des accusations de viol font les choux gras dans la presse. Le dossier est ainsi très souvent en instruction. Le temps d’élucider l’affaire, le mis en cause est placé en garde à vue puis après sous mandat de dépôt. Et pourtant, il arrive parfois que l’enquête révèle «un coup monté de toute pièce» ou même qu’à la barre, toute l’accusation s’effondre comme un château de cartes. Viol serait-il synonyme de prison à tous les coups ? Que fait-on de la présomption d’innocence ? Quelles sont souvent les éléments sur lesquelles le juge s’appuie pour décerner le mandat de dépôt ? Des juristes sont invités à élucider l’affaire et situer les responsabilités.



La société sénégalaise serait-elle à la dérive ? Une interrogation qui trouve toute sa quintessence dans la propension des cas d’agressions, de viols et autres types de violences entre les deux sexes. Malgré le durcissement des peines et l’intransigeance de la Justice sur les affaires supposées de viol, les cas continuent de foisonner. 

Et pourtant dans le droit sénégalais, le viol est considéré comme une agression sexuelle impliquant, selon l'article 320 du Code pénal, "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise". 

Une définition qui est considérée par certains juristes comme un réquisitoire sans appel pour l’homme. Me Demba Ciré Bathily, par ailleurs, ancien directeur exécutif de Amnesty International Sénégal apporte des éclairages sur la qualification des faits. Il est surtout revenu sur les conditions du placement en garde à vue. 

 «De nature à dire qu’une personne a commis une infraction, l’officier de police judiciaire peut le mettre en garde à vue. Dans toutes les infractions, les accusations en elles-mêmes ne suffisent pas», a précisé l’avocat. Et de relativiser : «c’est l’officier de police judiciaire qui mène son enquête. Et il devrait donc disposer de tous les éléments d’appréciation déterminants. Si au regard des indices qu’il a pu glaner, il y a des indices graves, précis ou concordantes de nature à penser que telle personne a pu commettre l’infraction.  La loi lui donne le pouvoir de l’arrêter et de le placer en garde à vue. On n’arrête pas sur la base d’une simple accusation. Il faut que l’accusation soit confortée avec des éléments que l’enquête a révélés », a précisé Me Demba Ciré Bathily. 

Les conditions d’un placement en garde à vue

L’ancien Directeur exécutif de Amnesty International Sénégal a, dans le même sillage, tenté d’expliciter dans quelle condition l’officier de police est autorisé à priver de liberté l’accusé ou le prévenu. «L’enquêteur ne place pas systématiquement en garde à vue un individu accusé de viol. Dans l’interrogatoire, dans l’enquête, si les réponses du prévenu sont concordantes et prouvent qu’il était sur les lieux, qu’il y a eu des altercations, il peut être fondé à le placer en garde à vue. 

Me Bathily de plaider : «maintenant, la loi dit qu’il y a des indices, les charges et les preuves. Et l’indice n’est pas un élément de preuve, mais une invitation». Par exemple, a-t-il étayé, «tu peux accuser quelqu’un de viol, on fait un test ADN et on se rend compte que ce n’est pas lui, comme également un examen médical peut révéler qu’il y a pas eu de conjonction, ni de pénétration». Pourtant, a poursuivi la robe noire,  «au moment où l’officier faisait son enquête, il y avait des indices qui faisaient croire que c’est lui qui l’a fait. Donc, le rôle de l’officier de police n’est pas de trouver des preuves, mais des indices. »

Me Assane Dioma Ndiaye : "c'est notre système judiciaire ne garantit pas la présomption d’innocence." 

Le président de la Ligue Sénégalaise des Droits humains (LSDH), Me Assane Dioma prend la défense des «présumés coupables». Selon lui, le système judiciaire sénégalais ne donne aucun crédit aux accusés. « Le droit sénégalais n’est pas un droit accusatoire comme dans les pays dit ‘´Common lows’’, c'est-à-dire les pays anglophones où il faut avoir des preuves avant d’arrêter. Malheureusement, notre droit est un droit inquisitoire et sur de simples indices et de présomptions concordantes, on peut arrêter un individu le placer en garder à vue afin d’ouvrir une information judiciaire. Et c’est après que le juge peut prendre une ordonnance de renvoi ou de non-lieu pour dire que vous n’avez rien fait. Alors que vous aurez peut-être fait 5 ans de détention provisoire. Donc le problème est notre système qui ne garantit pas la présomption d’innocence, c’est le système sénégalaise qui est système attentatoire à la présomption d’innocence », a chargé Me Ndiaye. 
   

Le président de la LSDH d’expliquer : «c’est la tradition latine et germano-romanique, qui est un droit qui ne protège vraiment pas la personne humaine. Et d’ailleurs, à chaque fois qu’on arrête une personne, vous vous attendez à ce qu’il existe des indices, des présomptions de nature. On ne parlera jamais de preuves. L’atteinte à la liberté est toujours discutée sur la base de simples présomptions. Donc le mieux c’est de changer, de faire comme le système anglophone. On vous laisse en liberté et lorsqu’on aura toutes les preuves ou les charges suffisantes que vous avez commis un tel fait pour vous arrêter. Mais malheureusement, c’est dommage que le système soit ainsi, et je ne pense pas qu’on puisse changer cela de sitôt »

Une culture juridique que le Sénégal a héritée d’une tradition qui est basée sur cette forme d’accusation. « A cet effet, dès que le Procureur estime qu’il y a des bases raisonnables de poursuites, il peut, même si une personne est tuée et que vous passez à coté, on peut penser que vous êtes impliqué dans ce meurtre. On peut vous arrêter alors que n’avez aucun moyen de contester. Et c’est grave », s’est désolé Me Assane Dioma Ndiaye.

Fana CiSSE

Mardi 18 Août 2020 - 08:40


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