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Affaire Hissein Habré : Un membre de l’Antenne Médicale de l’opération EMMIR dit ce qu’il sait des charniers au Tchad.

En Février 1978, la France déclencha l’opération “Tacaud” au Tchad pour enrayer la poussée des forces du FROLINAT (Front de Libération National du Tchad) dirigées par Hissein Habré (front Est) et Goukouni Weddeye (front Nord), qui progressaient irrésistiblement vers la capitale Ndjaména tenue par les FAT (Forces Armées Tchadiennes) du Président Félix Malloum et Colonel Kamoungué.



Affaire Hissein Habré : Un membre de l’Antenne Médicale de l’opération EMMIR dit ce qu’il sait des charniers au Tchad.
L’opération « Tacaud » n’atteindra pas ses objectifs car il a été pratiquement impossible pour les français de réorganiser les forces armées gouvernementales en déroute sur tous les fronts militaires et tenter de freiner l’avancée des rebelles du Nord. Les FAT étaient traumatisées, elles ont subi d’énormes pertes dans leurs rangs et laissé plusieurs centaines de prisonniers entre les mains des rebelles. Affaibli et désemparé, le tandem Malloum – Kamougué lance un appel à la réconciliation nationale. Le chef du CCFAN, Hissein Habré, répond favorablement. L’accord de paix signé à Khartoum (Soudan) vers la fin de l’année 1978 prévoit le poste de Premier ministre au CCFAN avec une répartition équitable des postes ministériels. Mais très vite les choses se bloquent et dérapent violemment. Le 12 février 1979, la guerre éclate à Ndjaména. 6 à 8.000 soldats des FAT appuyés par des hélicoptères et bombardiers ont pris d’assaut les positions des combattants du Premier ministre Hissein Habré. De violents combats eurent lieu dans les quartiers nord et sud de la capitale. Contre toute attente, Hissein Habré et ses quelques 500 combattants résistent farouchement et sont en phase même de remporter la bataille de Ndjaména.Le régime du Général Félix Malloum ne résiste pas et tombe finalement en quelques jours de combat avec l’entrée à Ndjaména des forces armées populaires (FAP) de Goukouni Weddeye, suréquipées avec du matériel neuf notamment des armes lourdes fournies par la Libye du Colonel Khaddafi. Dans la capitale, les blessés parmi les populations civiles affluent par centaines. Les hôpitaux et centres de soins improvisés dans les quartiers sont débordés et les moyens médicaux font défaut, le personnel médical est insuffisant, des bénévoles convertis en aides-soignants assurent les soins légers comme les pansements. Quelques mois plus tard, en 1980, les combats reprennent un peu partout dans ce vaste Tchad sans gouvernement désormais et le 21 mars, c’est la terrible bataille de N’Djamena. La confusion est totale, 10 tendances politico-militaires plus les forces libyennes affrontent les FAN d’Hissein Habré. Beaucoup de morts et de blessés parmi les soldats et les populations qui subissent les rigueurs de la guerre civile : pas d’eau ni d’électricité, pas de marchés ouverts, pas de boulangeries, pas de pharmacies, etc. La situation humanitaire est alarmante. Le gouvernement français décide alors de déployer l’EMMIR (Elément Médical Militaire d’Intervention Rapide) à partir du 28 mars 1980. Il est installé à Kousséri, une petite bourgade camerounaise sur la rive droite du Chari, de l’autre côté de la frontière tchadienne, faisant face à Ndjaména, la capitale tchadienne. L’EMMIR est une formation sanitaire de campagne qui dispose d’une capacité hospitalière de 100 lits. Polyvalente, aérotransportable et autonome, elle comporte une cellule de commandement et de soutien (CCS) coiffant 5 cellules techniques (chirurgicale, médicale, hospitalisation, laboratoire et convoyage sanitaire aérien). Les 75 personnes qui la constituent sont désignées à l’avance et prêtes à partir dans les 24 heures après l’ordre d’engagement. C’est dans ce cadre que j’ai été engagé comme Médecin-anesthésiste à l’antenne de Kousseri puis à l’hôpital central de Ndjaména. Très vite, les équipes médicales et chirurgicales sont débordées bien qu’accomplissant des prouesses. Une antenne chirurgicale est déployée à N’Djamena pour soulager l’EMMIR qui fonctionne au maximum de ses possibilités. L’EMMIR termine sa mission en 1981 mais revient au Tchad quelques années plus tard.

Au cours de ces deux interventions humanitaires au Tchad déchiré par une guerre civile sans précédent, j’ai été témoin de plusieurs faits douloureux mais aussi d’une solidarité humaine exceptionnelle. D’abord dans la capitale Ndjaména et ses environs où durant les deux batailles de 1979 et 80, il était pratiquement impossible pour les blessés de guerre de rallier les centres hospitaliers qui, non plus, n’étaient épargnés des balles perdues ou des tirs d’obus. Ainsi, faute de soins appropriés, beaucoup de blessés décèdent à domicile et sont enterrés dans la cour même de la concession sinon dans la cour de la mosquée, de l’école ou du terrain de football du quartier. Car, le cimetière se situe à la sortie de la ville et s’y rendre, c’est s’exposer aux tirs des différentes factions militaires qui se partageaient la ville de Ndjaména et s’affrontaient par intermittence. Les militaires morts dans les champs de bataille sont enterrés dans des fosses communes comme cela se passe un peu partout dans tous les conflits armés de ce genre. La périphérie de la capitale tchadienne présentait beaucoup de charniers. Il est évidemment impossible de distinguer les charniers des différentes factions. Depuis ces évènements douloureux de 1979-80, la capitale tchadienne a connu deux autres affrontements majeurs en 2006 et 2008 qui ont causé la mort de plusieurs centaines de personnes. Rien qu’en février 2008, après 2 jours de combat dans la capitale entre les rebelles de l’UFR venus du Soudan et les forces gouvernementales du Président Idriss Deby Itno, la voirie de Ndjaména, dans son opération de nettoyage, a dénombré officiellement plus de 900 corps dans les rues de la capitale. Ces morts non identifiés ont été ensevelis dans des fosses communes toujours à la périphérie de la capitale. Au vu de tout ce qui précède, j’ai été surpris de voir avec quelle légèreté Monsieur Reed Brody, membre d’une grande organisation internationale comme Human Right Watch, se livrer à des actes de profanation de tombes dans le seul but d’étoffer son dossier d’accusation. Il faut faire attention à l’exploitation abusive de ces charniers autour de Ndjaména et sur tout le reste du territoire tchadien. Le Tchad n’est pas le Rwanda. Dire que c’était des prisonniers de guerre ou des civiles exécutés pour des raisons politiques, cela relève d’une affirmation gratuite sans preuves formelles mais surtout d’une ignorance totale de l’histoire récente du Tchad. Si des crimes odieux ou crapuleux aient été commis, il faudra alors les élucider par une enquête judicaire impartiale menée avec toute l’expertise adéquate et dans le respect de la procédure.

Le Tchad est un grand pays qui regorge d’énormes potentialités agricoles, pastorales et minières. Son développement socio-économique est hypothéqué par ces guerres cycliques qui durent depuis son accession à l’indépendance en 1960, réduisant à néant tous les efforts consentis par les gouvernements et la communauté internationale. Les populations tchadiennes aspirent à la paix, à la réconciliation nationale et au progrès social. Les règlements de comptes tardifs sous couvert de la lutte contre l’impunité ne feraient que plonger davantage le Tchad dans les ténèbres de la division, de l’instabilité politique et sécuritaire et surtout ruiner toutes ses chances de forger la paix, panser les blessures et sortir de la pauvreté endémique grâce aux énormes revenus pétroliers. Les Organisations de défense des droits de l’homme, la France et la communauté internationale doivent aider les Tchadiens dans ce sens et non pas à encourager une justice sélective source d’injustice et donc encore de révoltes. Je vous adresse mon témoignage, et serais prêt à le consolider avec des détails plus précis au besoin. Commandant Marc Florent L. Anesthésiste de l’Opération « EMMIR » au Tchad. France


Mardi 30 Juillet 2013 - 12:02


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