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Entre quête d’un second mandat et perspective de refondation : le mandat unique en question ?



Entre quête d’un second mandat et perspective de refondation : le mandat unique en question ?
« Notre pays a connu les meilleurs designers, mais cherche encore le bon réalisateur ». Plusieurs années après l’adoption de la Charte de gouvernance démocratique par les « Assises nationales », la refondation des institutions se pose encore. La question reste d’actualité malgré la création, il y a plus d’un an, de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI) et le bouclage des travaux de celle-ci marqué par la remise au Chef de l’Etat d’un rapport et d’un avant-projet de constitution depuis plusieurs mois. Mais aujourd’hui que les logiques politiques obstruent les perspectives de changement fondamental, il y a bien lieu de reposer, en cette période de mi-mandat, le vrai débat sur la mise en œuvre des réformes consensuelles et pertinentes par delà les tentatives de manipulation, les tergiversations, les reniements d’une bonne partie de l’aile politique des Assises, obnubilée sans doute par un autre agenda. 


1.   Notre attachement aux assises

Il me plait d’emblée de préciser que nous n’avons jamais cessé d’avoir foi aux Assises nationales. Pour cela, il serait fort utile de saisir la forme, le fond et surtout le contexte de ma dernière contribution[1]. Je pense qu’il n’est point besoin, en dépit de quelques incompréhensions que ce texte a suscitées, de personnaliser mon énoncé qui, assurément, a déjà été bien compris par la plupart des participants au dernier séminaire consacré aux conclusions de la CNRI, et qui, loin de vouloir renoncer à la vertu, ont gardé la conviction et l’engagement intacts, six (6) années après le lancement des Assises nationales.


Nous n’avons jamais cessé de croire aux Assises depuis que nous avons reçu, il y a sept (7) ans, une délégation, composée entre autres du Pr A. BATHILY, de MM A. DANSOKHO et B. DIAZ, venue échanger sur la situation du pays marquée par une crise multidimensionnelle. Certes le contexte était aussi marqué par la non présence à l’hémicycle de la quasi-totalité des partis de l’opposition qui avaient décidé de boycotter les élections législatives de juin 2007. Mais nous avions la claire conscience que de larges concertations inclusives et participatives concernant tous les secteurs de la vie sociale, politique, économique et culturelle ne pouvaient qu’être bénéfiques pour toute la nation sénégalaise car elles constituaient la voie royale en vue d’une véritable refondation de la république. Au demeurant, je dois même dire que, nous y avons cru bien avant parce qu’il est heureux de constater que cette démarche satisfaisait à notre vision sur la refondation de la République déclinée dans le projet de charte fondamentale proposé par le candidat de notre parti à la présidentielle de 2007 et qui fait suite aux « Rencontres citoyennes » de 2005.  


Il me souvient que la séance inaugurale de ces rencontres eut lieu le 18 juin 2005 à l’Hôtel Savana avec comme thème : « l’Economie du Sénégal : Enjeux, défis, Trajectoires, quelles perspectives ? », présenté par M. Mamadou Lamine LOUM, ancien Premier Ministre de la République, avec comme modérateur M. Moussa TOURE, ancien Président de la commission de l’UEMOA. Cette séance a également vu la participation M. Habib THIAM ancien Premier Ministre et M. Moubarack Lô, Economiste, discutant. Ainsi, notre démarche fut inclusive et participative : d’éminentes personnalités parmi lesquels d’anciens Premiers Ministres, d’anciens Ministres d’Etat, d’anciens Ministres, des Responsables de partis politiques et des citoyens de tous bords vinrent apporter leur contribution à cette réflexion sur le devenir de la nation qui aborda également les questions relatives à la santé publique, l’éducation et la formation, l’agriculture et les ressources animales, le commerce et l’industrie...


De même ces Rencontres citoyennes  seront bouclées le 23 Juillet 2005 sur le thème : quel cadre institutionnel au Sénégal pour une gouvernance de qualité ? présenté par le Pr Ismaila Madior FALL avec comme Modérateur le Pr Mouhamadou MBODJ, Constitutionnaliste. Depuis lors, nous avons répondu présents à toutes les rencontres de ce genre auxquelles l’on nous a conviés. Est-il besoin de rappeler que c’est notre parti qui, dans sa contribution à l’élaboration des Termes de référence, proposa l’honorable doyen A. Makhtar. MBOW pour piloter les Assises. Ce que M. O. Tanor DIENG, Secrétaire général du PS, aura l’amabilité de témoigner plus tard, à l’occasion de la cérémonie de clôture du 5e congrès de l’Alliance Jëf Jël tenue en mars 2010. 


Nous avions non seulement participé à tout le processus jusqu’à la mise en place des plateformes instituées dans le cadre du suivi des Assises, mais mieux nous avions pris la résolution ferme de substituer à notre projet de Charte fondamentale et notre Charte d’Emergence Economique Solidaire, les conclusions des assises. Vous comprendrez donc aisément pourquoi, je ne reviendrais pas sur le débat autour de la nature du régime même si d’aucuns auraient souhaité que je l’abordasse en m’appesantissant certainement sur les dispositions de l’article 75 de l’avant-projet de constitution de la CNRI. J’estime que ce n’est plus opportun encore que nous avons toujours refusé d’aborder ce débat sur la Constitution en termes généraux, en termes quelque peu simplistes d’instauration de tel ou tel « régime ». Il convient d’être plus concret, plus pratique et moins « systématique » dans l’approche. C’est pourquoi, tout en restant conscient que le mal sénégalais se trouve dans nos choix constitutionnels, nous avions proposé, non un « régime », mais des réformes précises.[2] C’est dire que là, l’on est indubitablement en phase avec les conclusions de la CNRI.

 
Il n’est pas certain que les principales forces gardent la conviction, la détermination et l’engagement qu’elles avaient il y a cinq ans pour la mise en œuvre de la charte de gouvernance démocratique.  Aujourd’hui, un autre agenda semble prévaloir au point que des leaders de partis se soient autorisés à remettre en cause certaines conclusions de la CNRI malgré la démarche inclusive et la méthode scientifique adoptée et explicitée à l’occasion des différentes rencontres y compris au séminaire avec les porteurs d’enjeux. D’autres, par contre, s’orientent carrément dans une perspective de renégociation du processus de refondation de la république. Tout cela ne fait-il pas douter de la sincérité des initiateurs et de leurs motivations initiales comme s’ils visaient à combattre un régime ? De toute façon, il serait vraiment déplaisant de donner l'impression que les Assises nationales étaient juste un moyen de combattre le Président Wade.


2.   La dimension politique dans l’applicabilité des réformes

Force est de reconnaître que le peuple des Assises a toujours considéré la dimension politique dans l’application des réformes car il n’y nul doute que ce sont les acteurs politiques en général qui concourent à l’expression des suffrages et exercent le pouvoir. Sous ce rapport, le Comité National de Pilotage (CNP), dans une de ses résolutions déclarait : « Les Assises nationales appellent donc toutes les parties prenantes et l’ensemble du peuple sénégalais à se mobiliser autour du candidat Macky SALL et à mener activement sur le terrain, en cohésion avec lui, sur le terrain, la bataille finale du deuxième tour qui ouvre la porte au changement. [3]» 


Au terme des Assises nationales, le principal obstacle à l’application des conclusions était que le régime de Wade qui n’avait voulu participer au processus, n’était pas non plus disposé à les intégrer. C’est pourquoi, au cours de mon intervention au séminaire du 28 septembre 2014, j’ai tenu à affirmer que la question fondamentale qui se pose aujourd’hui est celle de l’application des conclusions de la CNRI, non sans rappeler que notre formation politique avait proposé dès mars 2010, conformément à la résolution du congrès, au comité de suivi des Assises nationales d’initier une campagne de pétition pour l’adoption par référendum d’un projet de Constitution basé sur la « Charte de gouvernance démocratique ».
Pourtant, notre espoir a été grand de voir qu’entre les deux tours de la présidentielle, notre coalition, le Bennoo originel, s’est renforcée et mue en Bennoo Bokk Yakaar.


Je me souviens de la séance extraordinaire au cours de laquelle le CNP a pris acte de l’engagement du candidat Macky Sall à mettre en œuvre les dispositions contenues dans la Charte de gouvernance démocratique[4]. Il y a lieu de rappeler qu’à l’époque, seul le leader du Mouvement Wallu Sénégal, en l’occurrence Talla SYLLA, dans un esprit d’alerte et de perspicacité, avait estimé que cet engagement du candidat M. SALL ne constituait pas une garantie suffisante. La réaction de ce dernier[5]n’a pas tardé ; on peut lire dans un article de presse publié le 07 mars 2012 :" c'est moi qui m'y suis engagé, on ne m'a pas brusqué et personne ne m'a forcé à signer les conclusions des assises nationales…"

 
Le 25 mars 2012, grâce au soutien manifeste, indéniable et déterminant, le candidat des Assises remporte la présidentielle à l’issue du second tour du scrutin et devient ainsi le quatrième Président de la République du Sénégal. En conséquence, le peuple des Assises était en droit de s’attendre, à l’entame de la seconde alternance politique, à l’application du processus de refondation de la république pendant une nécessaire période de transition, relativement courte. Toujours est-il que la décision du Chef de l’Etat de mettre en place la CNRI ne faisant que traduire son engagement devant le peuple des assises : « Le CNP réaffirmant sa position constante consistant à suivre attentivement la mise en œuvre des conclusions des Assises nationales, notamment les recommandations contenues dans la Charte de gouvernance démocratique et dans le Rapport général convient, avec le candidat Macky Sall, de la création, à cet effet, le moment venu d’une structure appropriée.[6] » 


3.   La Refondation à l’épreuve de la quête d’un second mandat

A la survenue de la seconde alternance, malgré le diagnostic opéré, la nécessité de refonder la république proclamée et les solutions préconisées, la rupture tarde à s’opérer et les Sénégalais ne sentent pas réellement la transition souhaitée et promise par les Assises et le Bennoo Siggil Sénégal authentique…Le Président s’attela en premier lieu à l’organisation d’élections, législatives puis  locales. Entre temps, il engage, de manière séquentielle, des réformes parfois controversées à cause de l’absence de dignes concertations devant mener au consensus (Acte 3 de la décentralisation, Code général des Collectivités locales, Code électoral). Et des institutions et organes voyaient le jour alors que la CNRI bouclait ses travaux. 


Pourtant, le décret n°2013-730 du 28 mai 2013 instituant la CNRI s’inscrit dans la dynamique pour : «mener selon une méthode inclusive et participative la concertation nationale sur la réforme des institutions; et de formuler toutes propositions visant à améliorer le fonctionnement des institutions, à consolider la démocratie, à approfondir l’Etat de droit et à moderniser le régime politique". Nous avons été ravis d’entendre le Président A. M. MBOW, abordant la démarche et la méthodologie de cette nouvelle structure dont le pilotage[7] lui est à nouveau confié, déclarer au cours de la première conférence de presse qu’il s’agirait de retourner vers les citoyens pour leur donner l’occasion de confirmer ou d’infirmer le contenu de la charte de gouvernance démocratique. 


Après que celle-ci est confirmée dans une large mesure par les Sénégalais de diverses couches sociales, les réformes institutionnelles, différées jusqu’après les élections locales, seront encore renvoyées en fin de mandat. La seule certitude qu’on a actuellement est l’option de la voie référendaire sans qu’on ne soit précisément fixé sur le changement ou non de constitution. Pendant ce temps, j’ai noté le discrédit que de proches collaborateurs du Président de la République ont tenté de jeter sur le travail de la CNRI ; j’ai relevé le silence de certaines composantes des Assises Nationales en particulier les initiateurs ; j’ai remarqué qu’au lieu d’aller vers une résolution ferme pour la mise en œuvre des conclusions de la CNRI, certains membres du CNP se sont mis à trouver des justificatifs au Président de la République.

 
Dans le même temps, je perçois que le Président, lui, entreprend de manière « ses réformes » quelquefois salutaires mais pas dans un cadre globalisant  et crée les organes qu’il juge utiles. Il fidélise ses alliés et reporte la réforme en fin de mandat comme si l’actuelle constitution n’a pas été à l’origine de toutes les dérives enregistrées sous le règne des Wade au point de motiver la tenue des Assises nationales. Alors qu’il se devait de tenir un langage de vérité à ses compatriotes - j’ai tenté, dans une récente contribution[8], de maîtriser sa logique discursive et d’énoncer sous la forme d’une adresse au peuple en usant de l’ironie bergsonienne pour dire les choses telles quelles devraient être en feignant de croire que c’est précisément ce qui est - : faire comprendre au peuple que l’on est effectivement dans une phase de transition démocratique ; ce qui justifierait la situation économique peu reluisante que décrit le Doyen M. TOURE. Hélas, la famille Wade, avec quelques œuvres encore visibles et des moyens colossaux, perturbe la sérénité habituelle de Macky qui veut coûte que coûte prouver que  le lion sait bien tenir la jungle quoique somnolant…


Nous avons hâte d’en finir avec la réforme des institutions qui n’est  qu’une étape dans le processus de  refondation qu’il fallait boucler en début de mandat eu égard à toutes les réflexions et les pertinentes conclusions auxquelles antérieurement avaient abouti des citoyens debout dans le but de redresser le « Gaal ». Aujourd’hui, au lieu de s’orienter dans la logique d’une véritable réconciliation avec le peuple des assises ou le peuple tout court, le Président s’évertue à consolider son parti et ses alliés politiques. C'est inacceptable de l’entendre annoncer les réformes en fin de mandat !
Fort de tout cela, et devant les tergiversations du Président qui sont assimilables à un refus de s’orienter dans la perspective initialement tracée avec le peuple des assises, et face à la passivité de nombre de parties prenantes, nous devons nous assumer en trouvant une autre alternative pour imposer la refondation de notre république. Voilà le sens qu’il faut donner à notre cri de cœur !


Maintenant qu’est-ce qui freine ce processus ? Le Peuple de Assises n’est-il pas devenu trop mou ? Les alliés auraient-ils renoncé à leurs engagements ? Le Président est-il fondé à croire que son Plan Sénégal Emergent est pour l’heure plus essentiel que la refondation de nos institutions ? Serait-il logique de vouloir suivre son propre agenda et d’entrevoir demain le soutien du peuple des assises ? Il va sans dire qu’au vu de l’ampleur des réformes préconisées, un Président de la république en quête d’un second mandat y arriverait péniblement. Dès lors, cela révèle toute la pertinence de la question du mandat unique pour le Président de la république, dont Nelson MANDELA constitue l’incarnation la plus parfaite.  En effet MADIBA, au contraire de bien d’autres chefs d’Etat, a très tôt compris qu’il n’allait pas avoir le temps de construire son pays, toutefois il s’est lancé dans la dynamique de  réconcilier le peuple sud-africain et a jeté les bases d’un développement durable. Et pourtant cela lui valut incontestablement la reconnaissance de l’humanité entière. Il y’ a bien lieu de regretter ici que le Président Wade ne se soit pas conformé à l’exemple.    


Dans cette perspective, je m’autorise à partager avec les lecteurs ces quelques lignes de la thèse soutenue par le Professeur Babacar GUEYE de l’UCAD, dans une belle contribution[9] :« Le mandat unique est sous-tendu par l’impératif de la bonne gouvernance et porte les finalités suivantes : la prévention de la corruption des élus, de la tyrannie du gouvernement, la garantie des libertés, le renouvellement de la classe politique, l’amélioration de la qualité de la représentation politique et du gouvernement de la cité. Il promeut aussi la citoyenneté démocratique, offre l’opportunité à tous les citoyens d’exercer des fonctions dirigeantes et permet de les initier à la gestion des affaires publiques. Il est non seulement bénéfique pour le développement de la citoyenneté mais aussi pour l’Etat. Il constitue un excellent contre-pouvoir et de plus, empêche que des individus n’utilisent leur position de gouvernant à des fins personnelles. Avec le mandat unique, les présidents ne sont plus obligés de tisser des relations particulières avec les coalitions prédatrices qui les soutiennent et sont libres de tout chantage des entrepreneurs politiques. Ils n’ont pas besoin de ces derniers pour une réélection impossible. Le mandat unique permet enfin de réduire le coût exorbitant des élections en diminuant la fréquence des scrutins. Un mandat assez long de sept ans est incontestablement plus économique en termes de dépenses électorales. Avec une telle institution, les dérives patrimonialistes et clientélistes ne peuvent pas prospérer parce qu’elles ne peuvent pas s’inscrire dans la durée".

 
En tout état de cause, nous devons progresser ! C’est à cela que j’invite mes amis politiques puisque nous restons dans une posture de sentinelle de l’alternance. Sauver le peuple des Assises nationales de l’effondrement, est devenu un impératif pour consolider notre système démocratique. L'application des conclusions de la CNRI ne se négocie pas ! L’heure de vérité a sonné mais étant donné que l'aile politique des Assises semble renoncer au combat de principe, il revient aux forces vives de faire face. Il serait salutaire que le M.23 se mobilise avec ce qui reste du peuple des Assises pour exiger la refondation des institutions.

Ndiaga Sylla

Mardi 7 Octobre 2014 - 15:41


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