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Idriss Déby Itno, président seigneur de guerre

Militaire de carrière, redoutable tacticien, le président tchadien muselle toute opposition depuis des décennies. Il se représente le 24 avril à la présidentielle déjà boycottée par trois candidats.



Arrivé au pouvoir en 1990 par les armes, le président tchadien Idriss Déby Itno, que certains appellent encore «IDI» de ses initiales, s’est reconverti à la conquête du pouvoir par les urnes. Sans que les armes cessent pour autant de tonner chez lui.

La présidentielle du 24 avril 2011 censée mettre un terme aux nombreuses guerres cycliques au Tchad risque de ne pas atteindre cet objectif. Les trois principaux candidats de l’opposition ont dénoncé une «mascarade électorale» au vu des législatives de février avant de se retirer de la compétition. Et de prendre «à témoin l’opinion nationale et internationale qu’ils sont uniquement soucieux d’une élection organisée dans un minimum de règles de l’art pour que le processus démocratique se poursuive, dans l’esprit de l’accord du 13 août 2007» signé entre le pouvoir et l’opposition (PDF). Et si la présidentielle se tient sans l'opposition civile représentative, il y a fort à parier que le pays pourrait bien renouer avec les vieux démons de la guerre.

Fils de berger, entre guerre et paix

Né en 1952 à Berdoba, non loin de Fada dans le nord-est du Tchad, ce fils de berger a une trajectoire et une carrière militaire et politique qui ont fait de lui un homme à poigne. Il ne pouvait en être autrement dans le contexte particulièrement tourmenté que le Tchad a vécu depuis 1960. Entre guerre et paix.

C’est après le baccalauréat qu’il entame sa formation à l’Ecole des officiers à N’Djamena. Puis il se rend en France d’où il rentre nanti de sa licence de pilote professionnel (spécialité transport des troupes). D’ethnie Zaghawa de tradition guerrière et dans un pays où la guerre est devenue un sport national, son destin va vite se dessiner.

Idriss Déby Itno gravit les échelons. Quand la guerre civile éclate en 1979, il est avec Hissène Habré. Commandant en chef des Forces armées du nord (FAN) pendant la rébellion contre le président Goukouni Weddeye, qui dirige le Gouvernement d’union nationale de transition (GUNT) en 1980. «Pendant que nous étions en pleine guerre contre Goukouni Weddeye, Hissène Habré nous a envoyés consulter un marabout sur la suite des opérations. Et au cours de cette consultation, le marabout nous a dit curieusement qu’Idriss Déby Itno deviendrait un jour le président de la République du Tchad», confie le général Gouara Lassou, ancien compagnon d’armes d'Hissène Habré, prédécesseur d’Idriss Déby Itno à la tête des FAN et ancien ministre des Affaires étrangères du Tchad.

Deux ans après, en 1982, Déby est le premier à entrer à N’Djamena à la tête de la colonne rebelle qui chasse Goukouni Weddeye du pouvoir pour installer Hissène Habré. Il est alors promu colonel. Idriss Déby Itno repart en France à l’Ecole de guerre interarmées en 1986. De retour l’année d’après, le président Hissène Habré lui confie le poste de conseiller à la Défense et la sécurité.

Massacres d'opposants

Sous le régime dictatorial du président Hissène Habré, la tristement célèbre police politique dénommée Direction de la documentation et de la sécurité (DDS) s’illustre par des arrestations, des tortures et des exécutions sommaires d’opposants et autres citoyens soupçonnés comme tels. Les victimes sont parfois enterrées dans des fosses communes. On estime à plusieurs milliers le nombre de Tchadiens ayant ainsi subi ce triste sort à cause de leurs opinions. Un tas de cadavres dont beaucoup de Tchadiens estiment qu'Idriss Déby Itno est aussi comptable.

Il en est de même du fameux «septembre noir», un massacre de populations du sud du pays en 1984. Pour son principal opposant, l’ancien journaliste Saleh Kebzabo, Idriss Déby Itno en est tout à fait responsable:

«Dès la prise du pouvoir [par Hissène Habré, ndlr] en 1982, Déby va connaître une ascension fulgurante: commissaire aux armées et à la sécurité du parti-Etat et, surtout, "comchef" des FANT. C’est à ce poste qu’il va s’illustrer et marquer la mémoire des sudistes qui l’ont subi de la manière la plus tragique qui soit. Les milliers de familles endeuillées dans la répression aveugle et sanglante de 1984 qui a généré le "septembre noir", c’est lui; la liquidation de centaines de cadres sudistes, c’est encore lui, jusqu’à la pacification totale du sud. Ces années noires lui colleront à jamais à la peau et il en éprouvera un complexe qui va marquer ses relations avec les sudistes.»

IDI se défend en affirmant n'avoir été à l’époque qu'un simple exécutant, recevant des ordres comme tout militaire. Pour Amnesty International, «nombre d’agents de l’Etat ayant ordonné des exécutions sommaires sous Hissène Habré ont été maintenus ou intégrés à des postes de responsabilité. Idriss Déby lui-même a été, jusqu’en 1989, l’un des piliers du régime».

Entre Hissène Habré et lui, les relations finissent par se détériorer. Et, le 1er avril 1989, il décide de quitter N’Djamena avec un certain nombre de compagnons pour le maquis, dans une opposition qui se transformera en Mouvement patriotique du salut (MPS). Le régime Habré ne se prive pas de taxer le colonel des Forces armées nationales du Tchad (FANT) devenu rebelle d’être à la solde de la Légion islamique de Kadhafi. Il l'accuse de tentative de coup d’Etat.

Hissène Habré chassé du pouvoir

De fait, le 1er décembre 1990, Déby chasse Hissène Habré pour s’installer lui-même au palais présidentiel. Un palais flambant neuf dont le dictateur déchu n’a pas eu le temps de prendre possession avant de s’enfuir au Sénégal avec plusieurs milliards de francs CFA. Non sans avoir tué de sang froid son cousin, le commandant Hassan Djamouss (héros de la guerre contre la Libye) gardé dans les geôles du palais après sa capture au cours des batailles ayant précédé la sortie du Tchad du mouvement du 1er avril 1989.

L’homme fort de N’Djamena déclare aux Tchadiens le 4 décembre 1990 au siège actuel de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT): «Je ne vous ai apporté ni or, ni argent mais la liberté…» En dépit de l’avènement du processus démocratique consécutif à l’arrivée du MPS au pouvoir, le Tchad n’a pas définitivement retrouvé la paix. Mais Idriss Déby Itno a pu se maintenir au pouvoir.

Des élections... et des fraudes?

Il remporte les élections présidentielles de 1996, 2001 et 2006. Mais toutes ses victoires sont contestées par l'opposition qui dénonce vainement des fraudes électorales. La guerre est permanente entre l'opposition civile, ainsi que ceux qu'on appelle communément au Tchad les politico-militaires, et le régime Déby Itno.

En 1993, en pleine préparation de la Conférence nationale souveraine du Tchad, il fait face à de vives critiques au sujet d'exactions commises par sa Garde républicaine au Sud. En 1996, la rébellion des Forces armées pour la République fédérale (FARF) de Laokein Bardé tient la région de Doba au Sud. Elle menace même d'empêcher l'exploitation du pétrole tchadien. IDI utilise la carotte et le bâton —négociation et opposition armée— et finit par réduire la rébellion.

Pour faire face aux mouvements rebelles qui se multiplient, il s’achète des armes. Avec l’argent du pétrole que le Tchad commence à exploiter. Mais les rébellions soutenues par le Soudan du président Omar El Béchir avec lequel il entretient des relations tumultueuses continuent de menacer son régime.

En 2008, c’est de peu que les rébellions rassemblées au sein de l’Union des forces de la résistance (UFR) manquent de le renverser aux portes du palais présidentiel à N’Djamena. Des opposants soupçonnés d’être de collusion avec les rebelles, comme Ngarlejy Yorongar, Lol Mahamat Choua et Ibni Oumar Mahamat Saleh, sont arrêtés et torturés, et ce dernier est toujours porté disparu. Au plus fort des combats, la France lui propose de l’exfiltrer. Mais Idriss Déby Itno refuse. La guerre se termine finalement en sa faveur.

L'as du pilotage

Derrière sa carapace de guerrier impitoyable, l’homme est un peu timide mais pas introverti. Bien au contraire. Fidèle a ses amitiés, il est tout aussi généreux. Mais ne touchez pas à son pouvoir. Le président tchadien, qui est pilote professionnel, prend parfois les commandes de son avion. Son métier lui permet aussi de bien lire les cartes. Et avoir été un soldat de terrain lui confère l’avantage de connaître les routes et pistes de son pays. IDI est capable d'aller d’un point du Tchad à un autre sans passer par les chemins connus. C’est d’ailleurs grâce à cela que ses compagnons et lui ont pu atteindre le Soudan en semant les troupes de Hissène Habré qui se sont lancées à leurs tousses en avril 1989.

Le président tchadien a en effet laissé entendre à plus d’un qu’il n’est pas arrivé au pouvoir en empruntant un avion d’Air Afrique et qu’il résistera à toutes les rébellions armées. IDI est un guerrier au sens propre du mot. A son avantage, il dispose en tant que militaire de carrière de l’expérience des combats et des moyens militaires et diplomatiques de chef d’Etat. Autant d'atouts qui laissent penser que c’est par les urnes qu’il faut espérer le faire partir du pouvoir et non par les armes.

Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, on est obligé de reconnaître qu’Idriss Deby Itno est un homme très courageux et intelligent aussi. Tout ce qu’il faut donc pour gagner des guerres auxquelles son régime est confronté depuis bien des années.

Slateafrique

Mercredi 27 Avril 2011 - 11:00


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