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Les auteurs africains, grands oubliés du Nobel de littérature

​Avec seulement quatre écrivains issus du continent depuis 1901, l'Afrique reste sous-représentée parmi les lauréats du prix Nobel de littérature, dominé par l'Europe et le monde anglo-saxon. Et pourtant les auteurs de premier rang ne manquent pas, à commencer par le Kenyan Ngugi Wa Thiongo, qui fait partie depuis des années des favoris.



Ses admirateurs l’espéraient depuis longtemps. C’est chose faite. Le 13 octobre, l’Américain Bob Dylan s’est vu décerner le prix Nobel de littérature. La distinction du chanteur a créé la surprise et provoqué un débat qui ne cesse d’enfler : un prix littéraire doit-il prendre en compte les paroles de chansons ? Amère, la romancière américaine Anna North a estimé dans une tribune au New York Times qu’« en récompensant un musicien, le jury d’Oslo manque une occasion d’honorer un écrivain ». Elle a aussi évoqué en filigrane des craintes que le prix ne finisse par perdre de son prestige.
Mais le prestige et, peut-être, la crédibilité du prix Nobel de littérature ne seraient-ils pas aussi menacés par la trop faible présence de l’Afrique dans le « saint des saints » ? L’auteur nigérian Wole Soyinka est le premier Africain à avoir reçu la distinction, en 1986. Trois autres ont suivi : l’Egyptien Naguib Mahfouz en 1988, les Sud-Africains Nadine Gordimer, en 1991, et John Maxwell Coetzee, en 2003. Seulement quatre lauréats issus du continent depuis 1901, cela est bien peu.
“Le Nobel de littérature est un prix européen qui a très largement primé les écrivains issus de ce continent” Philip Whyte, universaitaire
La situation est vécue comme une injustice par les passionnés de lettres africaines. « Si l’on ne prend en compte que des critères géographiques, le Nobel de littérature est un prix européen qui a très largement primé les écrivains issus de ce continent », regrette Philip Whyte, professeur à l’université de Tours et spécialiste des littératures anglo-saxonnes et des théories post-coloniales en Afrique de l’Ouest. Or, « selon le testament d'Alfred Nobel lui-même, le prix a pour but de consacrer les œuvres véhiculant une pensée à la fois humaniste et universelle. Rien ne devrait donc exclure les auteurs africains », ajoute le chercheur.
Le Kenyan Ngugi Wa Thiongo, éternel favori
De fait, les talents ne manquent pas et n’ont jamais manqué. Du Nigérian Chinua Achebe, considéré comme le « père » du roman africain moderne dès la sortie de Things Fall Apart en 1958 (traduction française : Tout s’effondre , éd. Actes Sud, 2013), jusqu’aux auteurs de la génération d’Alain Mabanckou (Petit piment, éd. Seuil, 2015) et Léonora Miano (Crépuscule du tourment, éd. Grasset, 2016). Tous demeurent des oubliés du comité Nobel malgré leur œuvre prolifique.
Un Africain faisait pourtant partie cette année des favoris. Le romancier et dramaturge kenyan Ngugi Wa Thiongo, 78 ans, est l’un des très rares auteurs subsahariens à avoir eu les faveurs des parieurs britanniques (notamment du site Ladbrokes) ces dix dernières années. En 2013, son nom était revenu avec tellement d’insistance que certains avaient craint des fuites. Célèbre dans le monde anglo-saxon, Ngugi Wa Thiongo est peu connu en France et dans l’espace francophone : seuls cinq de ses ouvrages sont traduits en français sur la trentaine de romans et d’essais qu’il a publiés depuis Weep not, child, en 1964 (Enfant, ne pleure pas, éd. Hatier, 1994).
Son œuvre retrace l’histoire de son pays depuis la colonisation britannique jusqu’aux dictatures contemporaines, en passant par le sentiment de désenchantement qui a suivi les indépendances africaines, au début des années 1960. Romancier inventif, il est aussi un intellectuel brillant et un homme politique visionnaire. « Ngugi est une sorte de “nationaliste culturel” avec une conception en grande partie utilitariste de la littérature ainsi qu’elle est proclamée par le jury Nobel », souligne Philip Whyte pour expliquer le choix de l’auteur de renoncer à écrire en anglais, dès 1968, au profit du kikuyu, la langue de l’ethnie majoritaire au Kenya.
Un auteur traduit dans une vingtaine de langues
Qu’est-ce qui explique que Ngugi Wa Thiongo revienne régulièrement dans les pronostics avant d’être coiffé au poteau par d’autres ? « Il est l’un des rares à vivre en fonction de ce qu’il écrit. Mais décider d’écrire en kikuyu, et donc limiter son audience aux seuls kikuyuphones, pourrait ressembler à un suicide commercial », estime Zoe Norridge, spécialiste de littérature africaine au King’s College de Londres. Frédéric Mistral, lauréat en 1904, écrivait non pas en français, mais en provençal. En fait, le choix d’utiliser le kikuyu – en plus de son talent de romancier – a permis à Ngugi Wa Thiongo d’accéder à la notoriété et d’être traduit dans une vingtaine de langues.
“Reprendre l’initiative de sa propre histoire est un long processus qui implique de se réapproprier tous les moyens par lesquels un peuple se définit.” Ngugi Wa Thiongo
Dans le même temps, cela a autorisé l’Afrique à se réconcilier avec ses cultures et ses identités, mais aussi avec le monde. « Reprendre l’initiative de sa propre histoire est un long processus qui implique de se réapproprier tous les moyens par lesquels un peuple se définit », écrit le Kenyan dans son essai Décoloniser l’esprit (éd. La Fabrique, 2011). Cette conviction lui a valu la prison dans son pays, puis l’exil aux Etats-Unis.
Malgré leur démarche universaliste, les auteurs africains continuent donc de souffrir d’une certaine indifférence. Pour Philip Whyte, cela est dû à « des considérations géo-culturelles enracinées dans le contexte historique à partir duquel le prix a été créé. L’ouverture de la sélection aux autres aires géographiques a mis du temps et s’est clairement faite au détriment des parties du monde les plus éloignées ».


Mardi 18 Octobre 2016 - 21:48


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