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Reportage - Voyage à la plaine des morts : Des "charniers" perdus dans les maisons

La plaine des morts ne peut se dissiper dans la mémoire des Tchadiens. Elle a longtemps symbolisé la peur, la terreur et le cauchemar du règne de Habré. Dans ce quartier qui porte le nom de Hamralgoz, trente crânes humains ont été exhumés par la commission nationale d’enquête qui a établie les 40.000 morts durant le régime de Hissein Habré. Aujourd’hui, la plaine des morts n’existe plus. A la place, il ya des habitations. Ce qui a créé la révolte des associations de défense des victimes, des droits de l’homme. Malgré ces indignations, ce lieu de mémoire est en train d’être rayé définitivement. Reportage texte + VIDEOS & PHOTOS !



Abaifouta, l'homme de la plaine des morts

les fosses communes englouties par les maisons
les fosses communes englouties par les maisons
La plaine des morts. C’est l’une des pièces maitresses de l’affaire Habré. Elle est dans une bourgade située à la sortie nord de la capitale Tchadienne à moins de quatre kilomètres du centre ville.
 
14h 38 minutes pétantes. Plus d’une dizaine de journalistes s’ébranlent du CEFOD (Centre de Formation pour le développement) à la suite d’un atelier de sensibilisation de trois jours pour une visite à la plaine des morts. La rencontre a regroupé vingt journalistes venant des divers coins du Tchad. Mais cette fameuse plaine suscite tellement la curiosité que l’équipe du consortium qui travaille sur la sensibilisation autour des chambres Africaines Extraordinaires (CAE) a supplié certains participants afin d’avoir au moins trois à cinq personnes pour les deux autres destinations prévues dans le programme.
 
Le minicar et la 4 X 4 Prado du patron de Magi Communication, entité membre du consortium avaient du mal à contenir tout ce beau monde. Après quelques petits réglages, le cortège s’engouffre dans les rues sinueuses et poussiéreuses de Ndjamena avant d’être sur le bitume. Près de dix minutes de course, nous pensions apercevoir enfin la plaine tant entendue. Stop juste après l’échangeur. Le siège de l’Association des Victimes du Régime de Hissein Habré (AVRHH) est un passage obligé. Le leader Clément Abaifouta est à la fois victime et témoin clé. Arrêté à l’âge de 23 ans alors qu’il venait de décrocher une bourse allemande, Clément était cuisinier et fossoyeur pour les membres de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS) la police politique. Svelte et bien bâti, M. Abaifouta dépasse aujourd’hui la cinquantaine. Emmitouflé dans un costume de couleur grise qui contraste un peu avec la chemise violet clair, Clément est monté avec Gilbert de Magi Communication. Une demi-dizaine de supposés victimes viennent s’entasser avec nous dans le minicar.

La canicule, l’une des matières premières du Tchad

l'arbre fétiche de Clément
l'arbre fétiche de Clément
14h 43mn. Le cortège reprend le chemin inverse et traverse toute la ville. Direction, plaine des morts. Le plus frappant, ce sont des camps militaires à des intervalles assez rapprochés. Même le palais présidentiel abrite un camp militaire sans oublier derrière l’aéroport qui en compte deux en plus de celui des militaires français. Comme s’ils venaient de sortir juste d’un conflit, des tranchées sont bien visibles. Il n’y a quasiment pas de mur. Les mottes de sable issues des tranchées se sont tellement empilées qu’elles forment un mur de près de deux mètres assez abrupts. Pendant que nous sommes impressionnés par ce dispositif qu’on ne voit que dans les champs de bataille, le cortège bifurque à gauche. Nous sommes en pleine banlieue. Alors que la 4 X 4 se fraie facilement du chemin, le minicar zigzague à cause de l’état sablonneux du trajet.
 
15h 10mn. Le cortège est au quartier de Hamralgoz. Le bled qui abrite l’une des pièces maitresses de l’affaire Habré. A la place d’une plaine, c’est une vaste étendue clairsemée par les habitations. Dès que nous mettons les pieds à terre, la canicule qui est l’une des matières premières de ce pays se transforme en fournaise. On se croirait en enfer. N’empêche, les gamins qui jouaient dans les alentours ont cessé toute activité et entourent la délégation par pure curiosité.

L'histoire affreusement dramatique de la plaine des morts

Le «fossoyeur» ne perd pas de temps. Du haut de ces 1,86m, il se dirige tout droit vers un arbre à sa descente de la 4 X 4. Entre ce tronc et Clément Abaifouta, c’est toute une histoire. «Cet arbre fait partie de moi. C’est un culte», a-t-il lâché avant de commencer son témoignage : «j’ai été arrêté à l’âge de 23-24 ans et j’ai été détenu pendant quatre ans». Cuisinier en même temps servait de fossoyeur pour ses codétenus morts en détention, le sieur a même enterré son propre oncle. A force de conter son histoire devant les autorités étatiques, les responsables de Human Rights Watch, les magistrats des Chambres Africaines Extraordinaires (CAE) et tous ceux qui s’intéressent à cette affaire, il explique de manière détendue et avec aisance ce «cauchemar» avec toute la gestuelle qui sied.
 
Encerclé par les journalistes et la horde de badauds, le patron de l’Association des Victimes du Régime de Hissein Habré relate son baptême de feu. «Lorsque j’ai été enrôlé dans l’équipe de fossoyeur, mon premier cadavre je l’ai juste enterré là (cf vidéo)».
 
Malgré les cris des enfants et leur distraction perturbante, Clément reste concentré sur sa matière. «En son temps, il n’y avait aucune maison ici. Il n’avait que de la broussaille de la descente du goudron jusqu’ici». De l’autre côté vers la poubelle, on a enterré un prisonnier de guerre.
 
Une autre histoire affreusement dramatique. «A moins d’un km d’ici, nous étions venus avec trente sept cadavres un jour. Et lorsque nous les balancions dans la fosse commune, il y a un qui s’écria : «moi je ne suis pas encore mort». Nous l’avons ramené à la prison mais malheureusement, il est décédé la nuit. C’était un prisonnier de guerre. C’est lui en fait qu’on a enterré à côté des poubelles que vous voyez là», pointant du doigt (cf. vidéo).

Quand l'urbanisation brouille les repères et les pistes de preuve

La plaine des morts est devenue un véritable quartier bien peuplé. Avec ces grands boulevards poussiéreux et sablonneux, de vastes maisons y sont érigées. Si certaines ont fini d’être dressées, d’autres sortent encore de terre. Elles sont en phase de fondation tandis que pour certaines on ne voit que des concessions des toilettes et cuisines sans murs de clôture. L’air chaud et sec est parfois déchiré par les bruits de moteur des bécanes qui sont presque de la taille de la population du Ndjaména.
 
C’est dans cette ambiance que nous avons repris les voitures. Mais à quelques pâtés de maisons, nous avons fait demi-tour. M. Abaifouta ne se retrouve plus. Il descend et cherche ses repères. Comble de malheur, le minicar s’embourbe et la meute de journalistes se met à suivre Clément. Tout d’un coup, il s’arrête et se plante sur la pierre tombale tel un piquet. De ce pieu, il est dépité après avoir balayé du regard le paysage recouvert de béton et de fer. «Il y a une volonté de faire disparaître des preuves. Les gens ont vendu les espaces où se trouvent les éléments de preuve», tonne-t-il. Et de fulminer: «je suis venu deux fois ici avec des membres du gouvernement Tchadien. Je ne cesse de leur expliquer comment l’histoire est en train d’être menacée avec l’urbanisation galopante».

Confusion entre les cimetières et les fosses communes

Ses explications ainsi que l’affluence des journalistes, quelques victimes et responsables de la délégation ont ameuté une poignée d’habitants du quartier qui à première vue semble désert. Alors qu’il n’a pas fini sa relation des faits, un vieil homme en tunique blanchâtre et un peu enturbanné se pointe. Frêle avec un teint un peu halé, Issa Ibrahim Mahamat de soutenir : «du temps de Ngarta Tombalmbaye (premier président du Tchad après indépendance), il y avait des cimetières ici. Quand Hussein Habré est arrivé au pouvoir, je me suis exilé. Je ne peux donner aucune information sur ce qui s’était passé ici en son temps».
 
Des allégations confirmées par le rapport de la commission nationale d’enquête qui a établi les 40.000 morts. Il a indiqué que Hamralgoz était bien avant l’arrivée de Habré au pouvoir un cimetière civil. Ledit rapport a révélé qu’une trentaine de cranes avaient été exhumés de la plaine des morts.

Qui a intérêt à brouiller les pistes à la plaine des morts?

les stigmates d'un cimetière en pleine rue
les stigmates d'un cimetière en pleine rue
Sur le terrain, cela a pu être attesté (cf. photo et vidéo). En plein rue, une tombe avec les inscriptions et le ciment sont bien visibles. D’ailleurs, elle a fait l’objet de polémique parce que Clément Abaifouta qui s’est tenu sur le pieu pour parler aux journalistes a offusqué un jeune. De vives empoignades en langue locale s’en est suivi. Il a fallu ainsi l’intervention du vieux et de quelques journalistes pour que le calme revienne.
 
L’avocate des victimes, Jacqueline Moudeina a elle aussi tout le temps protesté contre l’urbanisation galopante à Hamralgoz qui abritait la plaine des morts. Il y avait beaucoup de démarches pour une préservation de ce quartier de l’urbanisation afin que les preuves ne disparaissent pas. Finalement cela avait poussé l’Etat à procéder à une pause de la première pierre mais qui a disparu aussitôt après.
 
La chaleur suffocante et les chaudes empoignades n’ont pas émoussé l’ardeur des visiteurs à connaitre ce qui s’est passé sur les lieux. Dégoulinant de sueurs, Clément ôte sa veste sous l’effet de la fournaise. Tout de même, il est toujours assailli de questions.
 
Au bout de plus d’une heure de visite et de témoignages et de recoupement auprès de passant et d'habitants de la bourgade, la visite de la plaine des morts s’est achevée alors que la pluie sous l’effet de la forte canicule menaçait déjà. Les journalistes sont retournés avec tout de même des questions, des interrogations sur les hésitations de Clément Abaifouta, le cimetière et les fosses communes, entre autres.




Samedi 29 Mars 2014 - 07:46


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