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Sénégal: de la nécessité d'une infrastructure publique numérique à une inclusion financière sécurisée

L’inclusion financière par la téléphonie mobile que l’on appelle parfois mobile-banking a connu une expansion remarquable dans les pays en développement ces dernières années. En complément des services bancaires classiques disponibles pour une frange très limitée de la population et des services de microfinance destinés à une partie considérable des populations défavorisées, le m-banking constitue une innovation technique majeure pour l’élargissement de l’accès aux services financiers. Aujourd'hui la digitalisation représente un facteur essentiel pour rendre universel l’accès aux services sociaux de base. Alors comment mettre à profit cette avancée technologique pour une opportunité tant en termes de développement commercial et social au Sénégal.



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« En 2019, j’étais conseillère commerciale dans une société agroalimentaire, je me rappelle on m’avait payé 75.000FCFA le mois. C’est dans le bus que je me suis rendue compte que l’argent a disparu », raconte Amy Sarr devenue aujourd’hui gérante d’une agence de voyage aux Parcelles Assainies, dans la banlieue dakaroise. 

Ce qui pouvait être évité «si l’argent m’avait été envoyé par les moyens de transfert d’argent parce qu’à ce moment-là je ne disposais pas de compte bancaire. Ce sont tous des voleurs », accuse- t-elle avec mépris. 

Madame Sarr n’est pas la seule à ne pas faire confiance aux banques. Ibrahima Mansaly, journaliste dans un site d’informations de la place, dit avoir fermé son compte bancaire pour d’autres raisons. « Non seulement mon revenu était faible mais les frais du compte et l’inaccessibilité du service, je n’en pouvais plus », a-t-il fait savoir. 

Quant à Salif Sakhanokho, il raconte une histoire désagréable qu’il a vécue avec son ancien employeur. Le paiement en espèce en cause. 

« Une fois, notre comptable m’avait payé en espèce. L'agent était dans une enveloppe et je n'avais pas compter. Quelques heures après, il m'a appelé pour me demander s’il n' y avait pas un billet de plus. Chose que je ne pouvais pas confirmer. Des choses qui pouvaient mettre le doute sur ma personne », se souvient l'entrepreneur social. Alors il ne manquera pas de soulever les problèmes qu’il raconte depuis qu’il est détenteur de compte bancaire. « Les problèmes avec les banques c’est surtout le retard des virements et la fluidité dans le service. Un versement qui doit prendre quelques minutes, fait perdre aux clients une journée ». 

De l’argent mobile ? Non, réplique l’entrepreneur social. « Je ne préfère pas parce que si je prends l’exemple de Wave ou de Orange Money c’est toujours des appels d’arnaques. Moi qui ai, un niveau d’études élevé je peux ne pas tomber dans le piège. Ce qui n’est pas la cas pour d'autres personnes. Je préfère recevoir mon salaire uniquement par virement bancaire ». 

Toutefois, admet-il : « circuler avec de l’argent dans les portefeuilles devraient être révolus. Parce que dans les autres pays, les transactions se font de façon électronique.»
 
Trois raisons expliquent l'absence de compte chez les Sénégalais, selon ACSIF 

Le taux de bancarisation élargie c’est-à-dire le nombre de personnes physiques titulaires de comptes de dépôt ou de crédit dans les banques, les services postaux, les caisses d’épargne, le trésor et le système financier décentralisé (SFD)/ la population s’affiche 54,98% en fin 2021. Et c'est sur la base de la population âgée de 15 ans et plus, précise Moussa Dieng, secrétaire permanent du Comité national de coordination des activités de microfinance/ cabinet du ministre de la microfinance et de l'Economie sociale et solidaire. 

Mais selon Ibrahima Famara Cissé, Président de l'association des clients et sociétaires des institutions financières (ACSIF), les raisons qui expliquent l’absence de compte sont les coûts facturés par les banques, l’éloignement des établissements et la qualité des services.  

« La première est liée à l'accès et aux coûts. C'est à dire que le compte bancaire requiert beaucoup de frais liés aux agios, aux frais de virement,  aux relevés et services, les taux d'intérêt exorbitants. Pour certaines institutions de microfinances l'ouverture du compte est facturée à 15 000 fcfa. La deuxième raisons est liée à l'absence de transparence et de sécurité. C'est ainsi qu'avec le numérique on note la cyberfraude et la cybercriminalité qui font perdre des sommes astronomiques aux usages. La troisième raison est liée à l'absence de qualité de service qui fait de longues files d'attente dans les agences,  les GAB en panne ou hors service. »

Toutefois, il soutient que l'inclusion financière portée par la digitalisation est une des solutions mais pas la solution. « La solution est la baisse des coûts des services,  l'amélioration de l'accès et de la qualité ainsi que la sécurisation des comptes.  Et, ceci doit nécessairement passer par une nouvelle législation et plus de régulation avec des mesures de coercition pour de meilleures pratiques bancaires», suggère-t-il. 
 

Ibrahima Famara Cissé, Président de l'ACSIF
Ibrahima Famara Cissé, Président de l'ACSIF
Les salaires numériques procurent une plus grande sécurité 

S’agissant de l’aspect sécurité, une enquête menée par Better Than Cash Alliance, révèle que sur 343 entreprises sénégalaises   interrogées dans 19 secteurs d’activité différents, 82 % ont estimé que les salaires numériques leur procuraient une plus grande sécurité, car elles n’avaient pas à se déplacer avec leurs chèques de paie. En outre, 57 % des travailleurs ont déclaré avoir un meilleur accès aux services financiers après la numérisation de leur salaire. 

La sécurité numérique reste cependant incontournable car pouvant entrainer de lourdes conséquences tels que : « intrusions, pertes d’informations, attaque virale, etc. Au-delà des enjeux internes, la sécurité numérique doit être prise en compte pour renforcer la confiance des usagers et partenaires », nous  explique Habib Ndao, le Secrétaire exécutif de l’Observatoire de la qualité des services financiers (OQSF).

Et pour ce qui est de l’identité numérique, de l'avis de M. Ndao elle « doit contribuer à rendre les transactions automatisées plus sûres et fiables qu’une authentification manuelle et à limiter la quantité d’informations fournies lors d’une transaction. Parce que des enjeux sont liés à l’identité nationale numérique (INN), notamment pour la délivrance des services adéquats en matière de santé, de couverture sociale, d’éducation, d’information et d’inclusion financière. L’identité numérique pourrait représenter une étape fondamentale pour d’autres chantiers d’avenir, tels que le vote électronique.»

Une infrastructure publique numérique de qualité pour favoriser une inclusion financière 

Celle-ci peut-on le définir, selon la banque mondiale « comme étant la possibilité pour les individus et les entreprises d’accéder à toute une gamme de produits et de services financiers (transactions, paiements, épargne, crédit, assurance) qui soient d’un coût abordable, utiles, adaptés à leurs besoins et proposés par des prestataires fiables et responsables ». Alors, est ce que les gouvernements adoptent-ils les Infrastructures publiques numériques  de manière à ce qu’elles soient inclusives afin de réduire les disparités ? 

Pour Habib Ndao qui cite une Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages au Sénégal, menée en 2021 par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), seuls 31,7 % des ménages avaient accès à internet en 2018-2019 (l’accès individuel étant de 43 % d’après l’Union internationale des télécommunications, en 2020), à comparer avec les taux de 26 % en Guinée, 27 % au Mali, 36 % en Côte d’Ivoire et 58 % au Ghana.

De cette étude, l'ANSD dévoile, une fracture numérique existant entre les populations selon leur milieu de résidence, le niveau de pauvreté et la région. En effet, 15,9 % des populations rurales ont accès à internet contre plus d’une personne sur deux (56,9 %) dans la zone urbaine de Dakar et un peu plus du tiers dans les autres milieux urbains. 

L’enjeu est donc de taille car dans "les zones où l’internet mobile est disponible, le niveau de consommation des ménages augmenterait de 14% et l’extrême pauvreté devrait diminuer de 10 %. "

Ces adoptions augmentent-elles ou réduisent-elles les disparités en matière de connaissances et de pauvreté au sein de la société ? 

Dans l’absolu, des services numériques inclusifs pourraient doter les ménages à faible revenu d’outils de résilience leur permettant de mieux résister aux situations d’urgence et aux baisses de rémunération, grâce à des produits tels que les transferts de fonds, la protection sociale et le nano- crédit.

Alors Habib Ndao se réjouit que pendant la pandémie COVID-19, l’infrastructure publique numérique a permis « l’expansion rapide des programmes de protection sociale pour les ménages à faibles revenus et a facilité l’accès aux services de santé et l’accès d’urgence au financement pour les petites entreprises. »

A titre illustratif, en 2022, rappelle-t-il « l’Etat du Sénégal a réalisé un programme de cash transfert d’un montant unitaire de 80 000 FCFA à 543 000 familles vulnérables répertoriées. L’opération visait à soulager les plus démunis face à la hausse des prix, dans le contexte de la guerre en Ukraine et de la pandémie de Covid. Il y a aussi le Nano le nano-crédit est un produit s'inscrivant dans la politique d'inclusion financière du Sénégal visant l'octroi de crédits allant de 25.000 à 300.000 FCFA. Il s'adresse aux cibles les plus vulnérables et exerçant principalement des activités dans la pêche et au sein des marchés. De même, le système intégré de gestion de l’information pour la couverture sanitaire universelle a permis de numériser et d’enrôler 2,8 millions de personnes entre 2019 et fin 2020. »

Comment faciliter l'accès aux services financiers  ?

Concernant le ministère en charge de la microfinance, « le Fonds national de la Microfinance (FONAMIF) est créé pour jouer un rôle majeur dans la facilitation de l’accès au crédit des populations défavorisées à travers ses mécanismes comme le fonds de garantie et le fonds de bonification qui accompagne les fonds de crédit », a fait savoir Moussa Dieng, secrétaire permanent du Comité national de coordination des activités de microfinance/ cabinet du ministre de la microfinance et de l'Economie sociale et solidaire. 

En outre, il ajoute que « le Fonds d’impulsion de la Microfinance constitue également un outil important au sein du Ministère qui est dédié à l’accompagnement des SFD de petite taille en vue de leur permettre de prendre en charge les besoins d’accès des populations en milieu rural notamment ».
 
D’autres dispositifs tels que le FONGIP et la DER/FJ, etc., contribuent également, via les SFD, à accompagner le financement des PME et de TPE.
 

Les défis à relever 

Les défis du Sénégal pour réduire la dépendance du cash (assurée et sécurité) sont surtout d’ordre organisationnel et réglementaire. A ce titre, renseigne le Secrétaire exécutif de l’Observatoire de la qualité des services financiers (OQSF)  c'est d'abord : « a création de l’identité numérique et la mise en place d’une plateforme ouverte pour assurer le partage des données aussi bien sur les personnes physiques que sur les personnes morales. Pour assurer un système d’identification efficace à l’ère numérique, il est impératif de garantir la protection des données et les droits des usagers. »

Un autre défi majeur, « c’est le renforcement du cadre réglementaire qui reste un préalable pour le développement du numérique. Cela devrait être couplé à la vulgarisation des initiatives et services existants auprès du grand public »

Ainsi, le développement des compétences numériques pourrait être un défi important compte tenu de l’évolution constante de l’écosystème du secteur du numérique, avec notamment l’apparition des nouveaux métiers liés à l'IA, Cloud, Big Data et autres technologies.

*Ce reportage à été produit dans le cadre de la bourse de journalisme sur les IPN organisée par la fondation des médias pour l’Afrique de l’ouest et Co-Develop.*


Fana CiSSE

Lundi 27 Novembre 2023 - 11:12


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