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Déménagement Hôpital Le Dantec: une polémique, des failles, des intérêts et beaucoup de manipulations



"Bonjour, des gens vont mourir parce qu'on ferme un hôpital, mourir gratuitement comme ça", a balancé un Twitto sénégalais ce jeudi matin. Le post parait violent, mais il traduit le sentiment de plusieurs internautes sénégalais qui ont vigoureusement dénoncé la manière dont les malades qui étaient internés à l'Hôpital Aristide Le Dantec ont été sortis de là-bas. Tout est parti de cette vidéo de près de 2 minutes postée sur les Réseaux sociaux dans laquelle un agent de l'Hôpital Aristide Le Dantec déplore la manière dont les malades de cet établissement public de santé sont "jetés" à la rue pour des raisons de fermeture annoncée pour le 15 août 2022. A la fin de son intervention, il parle d'un "Plan de liquidation" de l'Hôpital Aristide Le Dantec. Le monsieur qui s'exprime dans cet élément vidéo, c'est Abdoulaye Dione, Coordonnateur du collectif pour la défense et la sauvegarde de l'hôpital Le Dantec (CDSD). Il n'est pas médecin. Son discours est musclé et visiblement destiné à choquer l'opinion. "C'est du jamais vu ! Personne n'a jamais vu ça dans ce pays. Des malades qu'on prend et qu'on jette dans la rue. Je viens d'une intervention (il faudra qu'il précise la nature de son intervention puisqu'il n'est pas médecin, Ndlr) près d'un malade. Elle m'a appelé pour me poser un problème. On lui a intimé l'ordre de quitter l'hôpital aujourd'hui (avant-hier, mardi) parce que le 15, le 16 on doit fermer. Mais nous sommes dans quel pays ! (il se répète plusieurs fois). Un pays où on expulse des patients souffrant de maladies chroniques, de cancer, des enfants avec un cancer qu'on expulse. C'est comme ça qu'on déménage un hôpital ?", s'exclame Dione. Son intervention a eu le don d'émouvoir et d'enflammer la toile. Même le Docteur Bacar Dia, ancien ministre, s'y est mis. Mais attention, il y a beaucoup de désinformation visant à manipuler l'opinion nationale dans cette histoire. Et certains Twittos comme Wagaan, ont sonné l'alerte
Retour sur les tenants et les aboutissants du problème !
Le 21 juillet, lors d'une conférence de presse du personnel dudit établissement sanitaire, le même Abdoulaye Dione, coordonnateur du CDSD, révélait que depuis 2012, il y a "un projet d'établissement" de l'Hôpital Aristide Le Dantec "réalisé par un architecte sénégalais, reconnu mondialement et maintenant" 

"Sur cette base, si on devait reconstruire l’hôpital, ce plan de 2012, il faudrait occuper plus de trois hectares mais le plan que l’État nous a présenté n’est pas conforme, nous sommes allés en séminaire de 48 heures et sommes rendus compte que les trois hectares ne suffissent pas pour la construction de l’ensemble des services de l’hôpital. Il y’a déjà un promoteur sénégalais, qui avait fait des études, en collaboration avec l’ex-directeur de l’hôpital en 2020 et que ce projet est encore valable, le financement est déjà disponible et les fonds sont déjà mobilisés. On peut reconstruire sans que l’État ne débourse aucun sous", poursuivait-il.

Dans cette vidéo mise ne ligne par le site Kewoulo le 29 juillet dernier, Monsieur Dione indique clairement qu'ils ne sont pas contre la reconstruction de l'Hôpital Aristide Le Dantec. Qu'au contraire, ils approuvent le projet. Ce que le syndicaliste et ses camarades ne cautionnent pas, cependant, c'est le choix porté sur une entreprise espagnole, alors qu'ils avaient déjà tout finalisé avec un architecte sénégalais et une entreprise de construction sénégalaise. Le fond du problème n'est donc pas "une expulsion des malades" de l'hôpital, mais le choix porté sur une entreprise étrangère au détriment d'une autre sénégalaise, sur qui, le personnel avait porté son choix.

 

 Abdoulaye Dione, ses combats et les intérêts de ses souteneurs
Le Coordonnateur du Collectif pour la défense et la sauvegarde de l'hôpital Le Dantec (CDSD), qui pilote depuis plusieurs mois les actions syndicales visant à mettre la pression aux autorités pour que le marché de la reconstruction soit confié au Sénégalais Malick Mbow, a donc profité du désarroi de plusieurs malades qui ne sont pas encore transportés vers d'autres établissements sanitaires, pour orienter l'opinion. Il a abusé du degré élevé d'empathie des Sénégalais à l'endroit des malades et joué sur les failles notées dans les dispositions de redéploiement.
  A souligner surtout que la situation des nombreux contractuels et prestataires, qui étaient engagés et payés par l'administration de l'hôpital Le Dantec et qui craignent de se retrouver au chômage après la fermeture temporaire de cet établissement fait partie de ses préoccupations majeures. D'après Dione toujours, ces contractuels représentent 90% du personnel de l'hôpital. 

Une anomalie, selon le Docteur Mohamadou Mansour Diouf. "Un hôpital dont 90% du personnel est composé de contractuels et de prestataires (certains totalisant une quinzaine d’années parfois) dont les salaires sont supportés par l’hôpital : cherchez l’erreur ! Voilà une anomalie inadmissible qui dure depuis trop longtemps et naturellement lorsque l’occasion se présente d’en finir définitivement vous comprendrez les vociférations de certains", a déclaré le Médecin Anesthésiste-Réanimateur qui exerce actuellement à Bordeaux, mais qui a fait tout son cursus de formation à Dantec comme étudiant et Interne des hôpitaux.
"Certains ont traîné les pieds dans une mauvaise volonté manifeste pour faire obstruction au déménagement"
Le Pr Mouhamadou Mansour Diouf donne les détails d'une rencontre qui s'est tenue le 19 avril 2022, au Palais de la République entre le Président Macky Sall et les acteurs qui tournent autour du projet de reconstruction. Il s'agissait de "​la réunion de présentation du projet de reconstruction du Centre Hospitalier À. Le Dantec dont les acteurs ne cessaient de décrier la vétusté et l’obsolescence du plateau technique".

Monsieur Diouf d'affirmer que le ministre de la Santé et de l’Action sociale et ses services, le PCA et le Directeur de l’hôpital de le Dantec, le Président de la Commission Médicale d’Etablissement (CME), le Directeur général du FONSIS étaient présents à ladite réunion. Le chef de l'Etat qui présidait la rencontre avait instruit de finaliser les études techniques et financières en Septembre 2022, de démarrer immédiatement les travaux de construction à cette date et respecter scrupuleusement les délais de construction d’une durée maximale de 20 mois.

Selon le Dr Diouf, un plan de déménagement avec les différentes structures sanitaires d’accueil retenues a été présenté par la Directrice générale des Établissements de santé et approuvé, lors de cette réunion du 19 avril 2022.

Le Médecin Anesthésiste-Réanimateur va jusqu'à accuser certains de ses collègues d'avoir sciemment traîné le pied pour saboter le plan de redéploiement des malades. "Pourquoi certains ont traîné les pieds dans une mauvaise volonté manifeste pour faire obstruction au déménagement qui a été parfaitement bien planifié ? La vérité, c’est qu’il y a une volonté de sabotage qui ne dit pas son nom avec des desseins inavoués. Il faut savoir qu’il existe un projet de reconstruction antérieur à celui-ci. Lorsque des syndicalistes soutenus par des médecins qui se réfugient derrière les écrans réclament la « reconstruction de l’hôpital sur la base de l’ancien projet », on comprend aisément la volonté de sabotage et les desseins inavoués".

Des failles énormes dans la la communication et la mise en exécution des dispositions prises pour déployer les malades 
Une source très proche du dossier assure qu'il y a bel et bien un plan de redéploiement des malades, avec une continuité des soins. "La communication sera faite dans les détails aux intéressés afin qu'ils ne soient pas déboussolés. Ensuite, une régulation des Urgences sera faite et gérée par le SAMU National avec les sapeurs-pompiers et les différentes structures sanitaires. L'unité de Dialyse a été déjà désinstallée et réinstallée au hangar des Pèlerins. Elle est fonctionnelle. Enfin, un Numéro Vert sera mis en place pour informer tous les patients et les rediriger où les spécialistes ont été déployés", confie notre source.

Mais le fait est que pour un hôpital de la capacité d'accueil de Le Dantec, qui doit être fermé le 15 août, c'est-à-dire, dans moins de 5 jours, un plan de déménagement des malades et services devait être opérationnel depuis plusieurs semaines pour permettre aux principaux impactés d'être réorientés à temps. "C'est très compliqué. On parle de réunions. Mais on peut faire mille et une réunions, si les choses ne sont pas bien planifiées... avec mes collègues médecins, nous avons proposé des sites pour accueillir la chimiothérapie, mais pour qu'il y ait une continuité, comme je l'ai dit, nous faisons entre 40 et 60 chimiothérapies par jour. Donc, si on les éclate... Vous avez posé le problème des dossiers. Le dossier médical est très important. Si on avait bien préparé les choses, on aurait archivé numériquement les dossiers. C'est des dossiers partagés où on marque les protocoles, les effets secondaires, le compte-rendu opératoire... Tout ceci devait être préparé", a déploré le Professeur Diop de l'Institut Joliot Curie de l'Hôpital Le Dantec.

Qui ajoute: "Ce que je ne comprends pas, c'est cette précipitation dans le déménagement. Nous ne sommes pas contre la reconstruction. L'Etat a décidé de reconstruire, nous sommes les premiers à applaudir. Je me suis réuni avec les Chirurgiens séniors. On est en train d'identifier les meilleurs sites. Mais le problème, c'est les malades qui sont déjà programmés dans le temps. Il faut pouvoir les recontacter, les expliquer. Prenez la Radiothérapie, par exemple, j'ai discuté avec le Pr Moustapha Dieng de l'Hôpital Dalal Jamm avec ses machines qui tombent en panne. Et si ces machines fonctionnaient même, il y aurait un problème pour absorber l'ensemble des malades venus de Dantec. Et c'est un problème aussi au niveau de Touba (Hôpital) qui ne sera fonctionnel qu'en octobre. Pour contenir cela, il va falloir mettre en place une unité pour centraliser tout ça".

Selon le Pr Diouf qui dit ne pas être contre le déménagement et la reconstruction, "si on veut vraiment réussir cette reconstruction de l'Hôpital Le Dantec, il fallait (Sic) laisser Le Dantec continuer à fonctionner tel qu'il est, construire un hôpital beaucoup plus proche des populations, parce que tout le monde sait que Le Dantec, à la pointe de Cap Manuel est inaccessible. Comme ça il n'y aurait pas tous ces problèmes de déménagement et l'entreprise de construction n'aurait pas de problème d'espace".

C'est seulement hier dans la soirée de mercredi qu'un communiqué a été publié par le ministère de la Santé sur le schéma de redéploiement des services et du personnel
  Oui, il y a également lieu de signaler qu'il y a eu un énorme déficit dans la communication de ce projet de reconstruction de l'hôpital. Pourtant annoncé depuis le 20 avril 2022 dans le communiqué du Conseil des ministres. L'opinion ne connaissant pas tous les détails, les pourfendeurs du projet ont engagé une bataille médiatique axée sur le "bradage foncier". Un domaine qui attire particulièrement l'attention des Sénégalais. Compte tenu des nombreux scandales enregistrés sous ce régime.

De plus, il n'y a pas assez de transparence dans le processus de mise en vente des 3 hectares de terrain restants de la surface de l'hôpital Le Dantec.

Le Président Macky Sall et les services du ministère de la Santé le 19 avril 2022, lors de la réunion de présentation du projet de reconstruction de l'hôpital Le Dantec
Le Président Macky Sall et les services du ministère de la Santé le 19 avril 2022, lors de la réunion de présentation du projet de reconstruction de l'hôpital Le Dantec
Les raisons d'une reconstruction
Pour avoir les tenants et les aboutissants du projet de reconstruction de l'Hôpital Aristide Le Dantec, PressAfrik s'est entretenu avec un technicien sénégalais du bâtiment, qui a été présent tout au long du processus. Il a assisté à toutes les réunions et séances de travail effectuées avec les autorités pour la mise en oeuvre du projet. "Il y a beaucoup d'intérêts en jeu pour ceux qui s'activent dans ce dossier et qui ne sont pas forcément du corps de la Santé. Leur discours c'est, 'on veut que ce soit fait par un entrepreneur sénégalais. On a fait notre projet réalisé par un architecte sénégalais etc.' Effectivement, il y a un architecte sénégalais qui a travaillé pendant plusieurs années, fait de son propre chef, un projet dans le but de le vendre à l'Etat. Sauf qu'il n'y a pas eu de validation de son projet. L'Etat a validé le projet avec les Espagnols parce qu'ils ont emmené l'argent et tout. Pour moi, derrière le discours nationaliste, se cachent des intérêts personnels. L'un de ceux qui ont annoncé la mise en place d'un Comité de défense de l'Hôpital Dantec est un ami proche dudit architecte sénégalais", affirme notre source.
Qui ajoute que l'entreprise espagnole "est un groupe composé de 1500 ingénieurs. C'est l'une des meilleures boîtes d'ingénierie que je n'ai jamais vue, en termes de rapidité d'exécution et de qualité de travail. Le boulot est fait normalement avec la déontologie qu'il faut. Personne n'est lésé. Forcément, il y a des gens qui travaillent aux alentours et avec l'hôpital. Mais il y a l'étude d'impact environnemental qui est en train d'être fait. Et elle prendra en charge tous ces aspects"

Le terrain vendu pour absorber la dette 
Le coût de la construction du nouveau Dantec mobilisera un budget prévisionnel de 60 milliards FCFA. Pour le choix des Espagnols, notre interlocuteur qui ne souhaite pas dévoiler son identité, révèle: "En toute transparence, il y a des offres qui ont été présentées et des modèles de projets. Et le Président (Macky Sall) a confié le projet du Dantec aux Espagnols. Il a demande à ce qu'on réfléchisse sur la vente d'une partie du terrain. Aujourd'hui, cette vente n'est pas actée. Il n' y a rien qui a été encore fait à ce stade, à ce propos. Il n'y a même pas un début de soupçon de négociation. On ne sait même pas qui est intéressé ou pas. Il n'y a que la volonté de l'Etat de vendre pour absorber la dette. Le prix avancé est 30 milliards FCFA. Et l'entreprise espagnole n'a même pas fait d'offre".

La pertinence du modèle Monobloc
Le Collectif de défense et de sauvegarde de l'hôpital Le Dantec voulait que son projet initial de 2012 de construire des pavillons sur 6 hectares soit validé par l'Etat du Sénégal. Ce qui, d'après notre expert en ingénierie bâtiment, n'est pas souhaitable. "Dans la norme de construction hospitalière aujourd'hui, construire un hôpital en mode pavillonnaire n'est pas recommandé. Parce que tu doubles ou triples tes effectifs, ce n'est pas efficient. Tu ne mutualises pas les ressources, tu ne mutualises pas les équipements. Aujourd'hui, pour construire un hôpital, tu le construis en Monobloc. C'est-à-dire, tu fais un ou plusieurs immeubles qui sont reliés. De ce fait, tu peux avoir une gestion plus efficiente des ressources et tu mutualises le partage des équipes, la gestion et la maintenance de l'édifice", explique-t-il.

Le nouveau Dantec sera construit sur 70 mille m2 avec une capacité de 660 lits, 15 blocs opératoires. C'est un projet où le constructeur espagnol, Ghesa Ingénierie et Technologies est venu avec sa propre banque qui finance avec un crédit export.

 


Jeudi 11 Août 2022 - 17:28


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