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Les relations France-Rwanda en six questions

Après un début de rapprochement entre Paris et Kigali à partir de 2009, on assiste à un regain de tension à l'occasion du 20e anniversaire du génocide. Retour sur les questions clés que pose la difficile relation entre la France et le Rwanda depuis le génocide tutsi de 1994.



Des réfugiés hutu, le 3 juillet 1994, accueillent l'armée française dans leur camp près de Butare. AFP/HOCINE ZAOURAR
Des réfugiés hutu, le 3 juillet 1994, accueillent l'armée française dans leur camp près de Butare. AFP/HOCINE ZAOURAR

1. Pourquoi la France était-elle absente des cérémonies de commémoration du génocide rwandais ?

La participation française aux commémorations du lundi 7 avril 2014 était programmée depuis de longue date. C’est la Garde des Sceaux Christiane Taubira qui devait diriger la délégation française à Kigali. La participation de la ministre a été annulée à l’avant veille des cérémonies, suite à la publication dans l’hebdomadaire Jeune Afrique d’une interview du président rwandais Paul Kagame mettant en cause le rôle de la France  dans les massacres de 1994. Cette dernière devait finalement être représentée par son ambassadeur qui n'a pas été accrédité pour les cérémonies.

L’homme fort de Kigali cite nommément la Belgique et la France qui auraient joué, selon lui, un « rôle direct (…) dans la préparation du génocide ». Il va jusqu’à accuser Paris d’avoir participé à « son exécution même ». Il accuse les soldats français de l’opération militaro-humanitaire Turquoise, déployée en juin 1994 sous mandat de l’ONU dans le sud du pays, d’avoir été pas seulement « complices », mais aussi « acteurs » des massacres.

Ce n’est certes pas la première fois que le président rwandais met ainsi en cause la France. Il l’avait déjà fait une première fois lors du 10e anniversaire du génocide, poussant la délégation française à quitter les cérémonies. Pour Paris, les déclarations de Paul Kagame « ne vont pas dans le sens de l’apaisement » des tensions entre les deux pays. Edouard Balladur et Alain Juppé qui étaient en 1994 respectivement  Premier ministre et ministre des Affaires étrangères dans un gouvernement de cohabitation présidé par François Mitterrand, ont pour leur part vigoureusement démenti les accusations de Paul Kagame.

2. Ces accusations sont-elles fondées ?

Le rôle exact de la France qui était l’allié du régime ethniste hutu reste très controversé. Paul Kagame accuse la France d’avoir notamment entraîné les milices qui ont perpétré les massacres et aussi d’avoir continué à livrer des armes et munitions aux hutu après le début du génocide en avril 1994. Si ces deux accusations ont été confirmées, encore récemment, par l’ancien ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner sur les antennes de RFI, il n’existe aucune preuve formelle de l’implication directe des soldats français dans les tueries. La France n’était nullement impliquée dans le génocide contre les tutsi, ont affirmé pour leur part les auteurs du rapport d'une Mission d’information parlementaire français (MIP) en 1998.  Les deux rapporteurs de cette mission aux pouvoirs limités, Pierre Brana et Bernard Cazeneuve (l’actuel ministre de l’Intérieur) ont toutefois admis « de graves erreurs d’appréciation » des autorités françaises.

3. En quoi consistaient ces erreurs ?

Selon les rapporteurs de la MIP, la France a commis une première grave erreur de stratégie en soutenant militairement le régime de Juvénal Habyarimana, qui avait partie liée avec la mouvance extrémiste hutu. Elle a sous-estimé, disent-ils, le « caractère autoritaire, ethnique et raciste » du régime qu’elle soutenait à bout de bras.

Sa deuxième erreur consistait à présenter son intervention comme un secours apporté à un pays victime d’une agression extérieure, alors que le combat qui opposait les Forces armées rwandaises (FAR) aux rebelles tutsis du Front patriotique rwandais (FPR) dirigé par Paul Kagame, relevait bien plus d’une guerre civile que d’une agression extérieure. Ces rebelles étaient des descendants des tutsi rwandais qui s’étaient réfugiés en Ouganda pour fuir les exactions perpétrées par les hutu.

Enfin, les rédacteurs du rapport de la MIP soutiennent que l’aide militaire de la France au régime Habyarimana est allée jusqu’aux limites de l’engagement direct, puisqu’elle allait du conseil opérationnel à tous les échelons fournis par la France aux Forces armées rwandaises (FAR). Plusieurs ouvrages de témoignages et d'enquête ont néanmoins révélé que les Forces spéciales ont directement combattu le FPR. 

4. Pourquoi un soutien aussi appuyé ?

La responsabilité à cet égard incombe à François Mitterrand, chef de l’Etat entre 1981 et 1995 et chef des armées. C’est à son initiative que la France a déployé entre 1990-1993 l’opération Noroît pour secourir le régime rwandais menacé par les rebelles du FPR. Ce faisant, la France a apporté son soutien à un pays de sa zone d’influence traditionnelle sur le continent africain. Le président français aurait été sensible, raconte-t-on, à la thèse d’un complot anti-français ourdi à partir de l’Ouganda anglophone.

Il s’agirait, une fois le pouvoir d’Habyarimana tombé, de créer dans l’Afrique orientale un vaste territoire tutsi («Tutsi land ») incluant l’Ouganda, la province zaïroise du Kivu, le Rwanda et le Burundi et soumis aux intérêts anglo-américains. C’est ce que sans doute les historiens appellent « le complexe de Fachoda », en mémoire d’une crise diplomatique entre la France et la Grande-Bretagne au Soudan (actuel Soudan du Sud) au XIXe siècle. Enfin, des enquêtes de presse ont  révélé le tropisme rwandais de Mitterrand par les liens d’amitié qu’entretenait son fils Jean-Christophe, patron de la cellule africaine de l’Elysée entre 1986 et 1992, avec Jean-Pierre Habyariamana, fils du président rwandais. Le fils Mitterrand était considéré comme l’un des chefs de file du lobby pro-Kigali à l’Elysée.

Pour les proches conseillers de Mitterrand, la position du président par rapport au Rwanda s’expliquait par un double souci : celui d’empêcher qu’un gouvernement auquel la France était liée par un accord de coopération militaire soit renversé par la force et celui d’accompagner le Rwanda dans un processus d’ouverture démocratique. Cette stratégie a abouti à la conclusion des accords d’Arusha en août 1993 qui devaient garantir le retour des réfugiés tutsi rwandais au bercail et le partage du pouvoir à Kigali entre la majorité hutu et les minorités tutsi et twa. La signature de ces accords marque le retrait du contingent Noroît et son remplacement par les casques bleus dans le cadre de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar)  chargée d’assurer l’application du compromis d’Arusha.

5. Pourquoi l’opération humanitaire Turquoise lancée pour sauver les tutsi ne trouve-t-elle pas grâce aux yeux de Paul Kagame ?

L’opération Turquoise, lancée fin juin 1994 par la France sous mandat de l’ONU, a effectivement permis de sauver une quinzaine de milliers de vies. « La France était de tous les pays au monde le seul qui ait pris l’initiative d’organiser une opération humanitaire pour éviter un massacre généralisé », a rappelé l’ancien Premier ministre français Edouard Balladur lorsque la polémique autour de l’implication française dans le génocide rwandais a de nouveau éclaté. La France s’était en effet retrouvée seule sur le terrain avec quelques contingents africains.

Or le génocide a commencé au Rwanda le 07 avril 1994, dès le lendemain de l’explosion qui a coûté la vie au président Juvénal Habyarimana. Les violences se sont arrêtées en juillet 1994 avec la prise de Kigali par les rebelles du FPR. En l’espace de trois mois, ces tueries de masse ont fait entre 800 000 et 1 million de victimes. 90% des massacres avaient déjà eu lieu lorsque les soldats français de l’opération Turquoise ont débarqué au Rwanda. Donc, une opération trop tardive.

Même si cette opération a eu des effets positifs, comme elle était engagée au moment où les adversaires du régime soutenu par la France entre 1990 et 1993 étaient en passe de gagner la guerre et prendre Kigali, elle était perçue par les tutsi comme une tentative par l’armée française de restaurer l’Etat hutu. D’autant que certains militaires faisant partie de cette opération humanitaire étaient des anciens de Noroît.

Le FPR de Paul Kagame a également reproché aux français de Turquoise d’avoir créé une « zone humanitaire sûre » à la frontière zaïroise uniquement dans le but d’exfiltrer les génocidaires hutus et pour faciliter leur fuite vers l’étranger. Il convient de rappeler que dès le 8 avril, la France avait déclenché la courte opération Amaryllis pour l'évacuation des ressortissants français, étrangers et l'entourage du défunt président Habyarimana. Etrangement, les employés tutsi de l'ambassade et du centre culturel français, qui étaient particulièrement en danger en raison de leur appartenance ethnique, n'ont pas eu la même chance.

L’autre point noir de l'opération Turquoise concerne l’attitude des militaires français à Biserero (à l’ouest du Rwanda) où ils ont tardé trois jours pour soutenir les survivants tutsi, délai qui a coûté la vie à un millier d’entre eux.

6. Ces derniers événements marquent-ils un coup d’arrêt dans le processus de réconciliation avec le Rwanda entamé sous la présidence de NicolasSarkozy ?

Les relations franco-rwandaises évoluent en dents de scie depuis le génocide. Les deux pays ont rompu leurs relations diplomatiques en 2006 suite à la mise en cause des proches de Paul Kagame par le juge français Jean-Louis Bruguière dans l’attentat contre Juvénal Habyarimana, qui donna le signal du déclenchement des massacres contre les tutsi. Depuis, l’enquête sur l'attentat s’est réorientée vers une autre piste, conduisant à un réchauffement des relations diplomatiques, avec la visite à Kigali de Nicolas Sarkozy en février 2010. C’était la première visite d’un président français au Rwanda depuis 1994.

Pour sceller la réconciliation politique entre les deux capitales, le président Sarkozy s’était engagé à faire aboutir les poursuites judiciaires lancées contre les présumés génocidaires résidant en France, comme le réclamait Paul Kagame. Chose promise, chose faite, la justice française vient de condamner en mars l’un des cerveaux du génocide tutsi réfugié sur le sol français. Une vingtaine d’autres dossiers sont en cours d’instruction par des magistrats parisiens, parmi lesquels celui de la veuve du président Habyarimana qui était favorable à l'idéologie de la suprématie hutu. Expatriée dans le cadre de l'opération Amaryllis, celle-ci s'est définitivement installée en France en 1998, sans pour autant bénéficier ni du droit d'asile ni d'une carte de séjour. 

Arrivée au pouvoir en 2012, François Hollande a poursuivi pour sa part la politique d’apaisement et d’amélioration des relations avec Kigali. Quelle meilleure preuve de ce dégel que la coopération en bonne intelligence des soldats français et rwandais au Mali et en Centrafrique. Dans ces conditions, le coup d’éclat de Paul Kagamé contre la France marque sinon une régression, du moins un temps d’arrêt dans le processus de réconciliation entre les deux pays. Pour beaucoup d’observateurs, compte tenu du lourd contentieux qui oppose la France et le Rwanda de Paul Kagame, leurs relations ne pourront s’améliorer tant que ce dernier restera à la tête de son pays.

Force est enfin de reconnaître qu’il y a aussi de nombreuses zones d’ombre dans l’histoire commune des deux pays. Comment peuvent-il  normaliser les relations sans avoir d'avord éclairé ces zones d'ombre ? Pour certains, le processus de la normalisation des relations franco-rwandaises passe par l’ouverture de leurs archives militaires et diplomatiques et  la création d'une commission d'enquête en France dotée de réels pouvoir d'investigation, comme ce fut le cas de la commissions sénatoriale belge en 1997.

Source : Rfi.fr
 



Jeudi 10 Avril 2014 - 10:27


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