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Dakar : entre rivalité, lutte pour la survie, le destin funeste des vendeuses de sachets d'eau




Pratiques, économiques et accessibles, les petits sachets d'eau jetables sont devenus une partie essentielle du quotidien au Sénégal. Leur consommation à grande échelle est accompagnée par la présence constante de vendeuses, souvent des enfants, qui sillonnent la ville de Dakar. Il est 15 heures, le soleil s'écrase sur la capitale sénégalaise, balayant ses rues bruyantes de bruits de moteurs de voiture et d'une chaleur étouffante. Au cœur de cette fournaise urbaine, les sachets d'eau plastique deviennent le souffle rafraîchissant que tout le monde recherche, mais derrière cette scène quotidienne se cachent des récits d'enfants, d'efforts et de luttes.

Dans les ruelles de nombreux enfants, principalement âgés de 13 ans, passent leurs journées à vendre ces précieux sachets d'eau à 50 francs. Un sacrifice choisi par nécessité, car ces jeunes ont renoncé à l'éducation pour contribuer financièrement à la survie de leurs familles. Les rues résonnent de leurs appels enjoués : « Il y a de l'eau ici ! De l'eau ! », un refrain quotidien évoquant la fraîcheur bienvenue de ces sachets d'eau glacée.

Sous la chaleur implacable, ces petites vendeuses transportent des plateaux et des bassines de sachets d'eau, rivalisant entre elles pour satisfaire une clientèle pressée. Elles s'engagent dans une course effrénée entre les bus. Leur quotidien ? Vendre des sachets d'eau pour leur familles.
 

Concurrence déloyale

À l'arrêt de bus face à la Cité des eaux à Castor , l'agitation règne parmi les jeunes vendeuses d'eau qui se disputent les clients entre les bus. Parmi elles, Aissatou, une fillette de 13 ans au sourire espiègle, se distingue en récoltant 50 francs qu'elle range soigneusement dans une petite pochette beige désormais teintée de marron. La compétition est féroce, et Aissatou s'adresse triomphalement à ses petites camarades, affirmant fièrement qu'elle est arrivée en première.

Cependant, une de ses camarades l'accuse de pratiquer une concurrence déloyale en étant toujours la première à s'approcher des bus à chaque arrêt. Indifférente aux reproches, Aissatou se précipite vers un bus qui vient de s'arrêter, arborant une tenue composée d'une jupe longue bleue, d'un body jaune et blanc, et de sandales vertes. Elle porte un bol sur la tête, maintenu par un foulard qui atténue le poids de sa précieuse marchandise.

Approchée, Aissatou confie qu'elle a commencé à vendre des sachets d'eau il y a presque un an, ayant abandonné l'école car elle ne se sentait pas assez intelligente pour réussir dans les études. Malgré son visage triste, elle affirme avoir développé un amour pour ce métier, qui lui permet de soutenir sa mère et de payer les études de son petit frère de 8 ans.

Résidant à Niary Tally, Aissatou se rend chaque jour à l'arrêt de bus, où elle peut réaliser un chiffre d'affaires variant entre 3000 et 3500 francs CFA. Se levant à l'aube et rentrant chez elle après le coucher du soleil, cette aînée d'une fratrie de cinq enfants fait partie d'un groupe de jeunes filles déscolarisées qui, comme elle, ont choisi de vendre des sachets d'eau pour contribuer aux dépenses familiales.

Dakar : entre rivalité, lutte pour la survie, le destin funeste des vendeuses de sachets d'eau
Des soutiens familiaux 

Les petites vendeuses, équipées de sacoches et de pochettes attachées à leur taille, font face à une concurrence. Ruisselant de sueur, elles s'épongent le visage avec leurs habits, démontrant ainsi le dur labeur qu'elles accomplissent au quotidien. Aissatou, loin d'être la seule dans cette situation, incarne la réalité de nombreuses jeunes filles déscolarisées, qui voient dans la vente de sachets d'eau une nécessité pour assurer leur survie et aider leur famille.

Au cœur du quartier Castor, les petites vendeuses de sachets d'eau ne sont pas seules dans leur besogne quotidien. Souvent, elles sont accompagnées de leurs mères, qui tiennent divers commerces, tels que la vente d'arachides ou de fruits, notamment des pommes, des clémentines et des oranges. C'est dans ce contexte que Madjiguéne, une fillette de huit ans, a fait le choix difficile d'abandonner l'école pour se joindre à sa mère et contribuer à la gestion de la vente de sachets d'eau. Le visage juvénile orné de grands yeux, les lèvres gercées et les bras frêles, Madjiguéne porte une robe verte ornée de froufrous. Assise sur un bidon vide d'huile de 20 litres, elle s'active à griller des arachides pendant que sa mère allaite son petit frère âgé d'un an et demi. Malgré sa petite taille, la fillette démontre déjà une compréhension impressionnante des transactions financières liées à la vente. « Pose les 1000 francs et prends 800 francs », lance-t-elle à un client qui vient d'acheter 200 francs d'arachides.

La mère de Madjiguéne, prenant la parole à sa place, explique que ses maigres moyens ne lui permettaient plus de maintenir sa fille à l'école depuis le décès de son mari. Madjiguéne a ainsi été déscolarisée en classe de CP en 2022. Malgré cette réalité, la fillette est devenue une ressource précieuse et d'une grande aide pour sa mère. Chaque jour, elle l'accompagne dans ses activités et prend en charge les transactions avec les clients.

Elles sont nombreuses les jeunes filles qui ont quitté les bancs de l'école pour soutenir leur famille. À Thiaroye, sur l'autoroute à péage, les vendeuses bravent les voitures en mouvement, risquant leur sécurité pour vendre leurs sachets d'eau. Cette pratique dangereuse est parfois interdite par la police, consciente des risques encourus.

À l’arrêt de bus de Poste Thiaroye sur l'autoroute à péage, les vendeuses défient les voitures, criant « le sachet à 50 francs, c'est glacé et c'est frais ! » Une technique risquée, selon Nabou, une vendeuse de fruits. « Des voitures roulent à vive allure et renversent parfois des vendeuses de sachets d'eau. » Selon elle, la police intervient souvent, mais la détermination persiste.
 

Quotidien mouvementé

À quelques mètres de là, se dessine le quotidien difficile d'Ousmane, un garçon de seulement 10 ans, portant sur ses épaules chétives les responsabilités d'un vendeur d'eau ambulant. Armé d'un seau rempli de sachets d'eau, son regard scrutateur recherche désespérément des clients potentiels. Vêtu de plastiques récupérés, d'un grand t-shirt qui lui tombe presque sur les épaules frêles et d'un short en jean usé, Ousmane attend patiemment le passage d'un bus, espérant pouvoir vendre ses modestes sachets d'eau pour subvenir à ses besoins. Ce petit garçon, au destin déjà marqué par la perte tragique de sa mère, se nomme Ousmane et partage son quotidien entre les ruelles poussiéreuses de Thiaroye sur Mer.

« Je vends de l'eau pour ma tante. Je suis obligé de le faire, sinon elle ne me donne rien à manger », déclare-t-il avec une voix empreinte de résignation, tandis que des larmes coulent discrètement sur ses joues. D'un geste rapide, il essuie le coin de ses yeux du revers de sa main droite, révélant ainsi la dure réalité qui pèse sur ses épaules d'enfant.

Ousmane confie que sa mère est décédée, laissant derrière elle un fils vulnérable, pris en charge par une belle-mère peu compréhensive. « Mon père est souvent absent, il est maçon. En conséquence, je reste le plus souvent avec ma marâtre. Elle m'a demandé de vendre de l'eau, arguant que je serais un homme et que cela contribuerait aux dépenses de la maison. La journée, je suis obligé d'amener 3000 francs CFA, sinon je ne mange pas. Parfois, je n'y arrive pas car beaucoup de personnes vendent de l'eau maintenant... », narre-t-il avec un visage empreint de tristesse et de désespoir.
 

Dakar : entre rivalité, lutte pour la survie, le destin funeste des vendeuses de sachets d'eau
Les petites vendeuses à rude épreuve...

À Fass Mbao, c'est le chaos et une féroce compétition qui règnent parmi les petites vendeuses d'eau. Se bousculant bruyamment, se disputant chaque client avec une détermination palpable, l'atmosphère est tendue. Binetou, au teint noir et au visage fatigué par les aléas de la vie, se retrouve au cœur d'une querelle avec une de ses camarades.
Alors qu'elle remet un sachet d'eau à un client, Binetou s'engage dans une lutte verbale avec sa camarade qui tente de servir un autre client à son insu. « Monsieur, ne prenez pas l'eau, c'est moi qui suis la première », lance-t-elle avec fermeté, avant de se tourner vers sa camarade pour lui donner une leçon morale. « Tu dois arrêter cette concurrence déloyale. Tu as l'habitude d'essayer de me voler mes clients, alors que moi, quand quelqu'un demande de l'eau glacée et que je n'en ai pas, je t'appelle pour vendre. Je n'aime pas ce comportement », reproche-t-elle avec une pointe de frustration.

Les reproches de Binetou ne trouvent cependant pas d'écho chez son amie, qui réplique avec un certain détachement : « Les lieux ne t'appartiennent pas, je vends comme toi, chacun gagne ce qui lui est destiné. » Une réponse qui souligne la rude réalité de la concurrence quotidienne entre ces petites vendeuses, chacune cherchant à assurer sa propre subsistance dans un environnement où chaque client compte.

Cependant, la vie de ces jeunes filles ne se limite pas à la compétition commerciale. Elles font face au harcèlement et aux attouchements sexuels de la part de clients, jeunes et moins jeunes. Ces défis, souvent passés sous silence, ajoutent une couche de difficulté à leur quotidien déjà exigeant.

Derrière chaque goutte de sueur et chaque cri de vente de ces jeunes vendeuses, se cache une histoire humaine, une lutte acharnée pour la survie. Les artères de Dakar sont jonchées de sachets vides, une conséquence visible d'un commerce prospère mais aux conséquences environnementales négligées. La vie palpite dans ces ruelles, où chaque sachet d'eau raconte un fragment de dignité et de résilience dans le tourbillon chaotique de Dakar. Les rues de la ville sont le ring de ces jeunes filles, qui jonglent entre la nécessité de survie, la concurrence féroce, et les défis invisibles auxquels elles font face quotidiennement.

Ndeye Fatou Touré

Jeudi 29 Février 2024 - 13:50


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