Connectez-vous S'inscrire
PRESSAFRIK.COM , L'info dans toute sa diversité (Liberté - Professionnalisme - Crédibilité)

L'insurrection islamiste de Boko Haram déstabilise le Nigeria

Depuis 2009, le groupe islamiste nigérian Boko Haram, présumé responsable de l'enlèvement de la famille française Moulin-Fournier dont les sept membres ont été libérés le 19 avril, mène une insurrection sanglante dans le nord du Nigeria. Pays le plus peuplé d'Afrique, avec 160 millions d'habitants, et premier producteur de pétrole du continent, le Nigeria est divisé entre le Nord, à majorité musulmane, et le Sud, principalement chrétien. Les attaques du groupe et leur répression violente par les forces de l'ordre nigérianes ont fait quelques 3 000 morts dans le nord et le centre du Nigeria depuis 2009. Depuis le 19 avril, les affrontements des membres du groupe et les forces de sécurité nigérianes se sont concentrés autour de la localité de Baga, un village de pêcheurs sur les rives du Lac Tchad, faisant au moins 187 morts.



L'insurrection islamiste de Boko Haram déstabilise le Nigeria
LA SECTE DE MOHAMMED YUSUF

L'apparition du groupe Boko Haram est difficile à dater. Dès 2002, Mohammed Yusuf anime à Maiduguri, la capitale de l'Etat de Borno, dans le nord-est du pays, une secte religieuse appelée Boko Haram ("l'éducation occidentale est un pêché" en Haoussa, la langue la plus répandue dans le nord du Nigeria). "Le groupe avait alors un fonctionnement sectaire. Mohammed Yusuf prêchait tel un gourou dans une mosquée de Maiduguri un discours religieux radical de l'islam devant des personnes prêtes à le suivre n'importe où", indique Gilles Yabi, directeur du projet Afrique de l'ouest à l'International Crisis Group (ICG), à Dakar. Le gourou et ses 4 000 fidèles vivent alors ensemble dans une partie de la ville.

De 2002 à 2009, la secte de mouvance salafiste animée par Mohammed Yusuf prône un retour à la pureté de l'islam. "Mohammed Yusuf avait un discours violent contre le gouvernement corrompu et les autorités politiques et religieuses du nord du pays, perçues comme corrompues et considérées comme un obstacle à un vrai respect de la charia", analyse Gilles Yabi. Le gourou est alors une personnalité connue, qui ne se cache pas et entretient des relations plutôt bonnes avec les autorités de l'Etat de Borno. "Il n'y a pas eu jusqu'en 2009 de confrontation avec les autorités nigérianes, certainement du fait de ces liens avec les autorités locales et du fait que Mohammed Yusuf avait un poids politique tel que les autorités n'ont pas eu la volonté de réagir tout de suite", poursuit l'analyste.

L'INSURRECTION DE 2009

Les relations avec les autorités locales et les forces de l'ordre vont se détériorer en juillet 2009, à la suite d'arrestations au sein de Boko Haram. "Un incident est survenu alors que des membres de Boko Haram allaient enterrer l'un des leurs. Roulant sans casque sur une moto, ils ont été arrêtés mais ont refusé d'obtempérer. L'altercation avec les forces de l'ordre a fait plusieurs morts. Mohammed Yusuf a alors appelé à la vengeance et au djihad contre les forces de police", indique Gilles Yabi. Le groupe a lancé une série d'affrontements qui s'est achevé, au bout d'une semaine, par une intervention de l'armée qui a fait plus de 800 morts.

Les quartiers généraux de la secte ont été détruits et M. Yusuf a été capturé puis tué quand il a tenté de s'échapper, selon la police. "Selon toute vraisemblance, Mohammed Yusuf a été arrêté et exécuté de manière extrajudiciaire, ce qui explique que dès lors la volonté de vengeance au sein du groupe est devenue forte", estime Gilles Yabi. Le groupe disparaît alors et ses membres entrent dans la clandestinité. Ils pourraient s'être retranchés dans des pays voisins comme le Tchad et le Cameroun.

LA RADICALISATION DE BOKO HARAM

A Kano, le 20 janvier 2012, une série d'attaques revendiquées par la secte Boko Haram, avaient fait 185 morts. Elles visaient des bureaux de la police et des services de l'immigration ainsi que la résidence d'un responsable de la police. 

Boko Haram a émergé à nouveau en 2010 lors d'une série d'assassinats, dans différents points de l'Etat de Borno. Les attaques à la bombe et les attentats-suicides se sont depuis multipliés, devenant de plus en plus violents et sophistiqués. En 2011, un tournant est pris dans la stratégie du groupe. Boko Haram ne se cantonne plus à des attaques contre les autorités locales du nord-est du pays : des attentats-suicide visent alors à Abuja, la capitale fédérale située au centre du pays, le siège des Nations Unies, le QG de la police et les locaux d'un des grands quotidiens du pays. Ils ciblent également les églises, souvent le dimanche et à l'occasion de grandes fêtes religieuses comme Pâques et Noël.

Depuis la mort du chef Mohammed Yusuf, le groupe a muté en une sorte de monstre à plusieurs têtes, divisé en plusieurs factions aux revendications différentes, certains d'entre eux ayant des connexions politiques, et doté d'un noyau dur islamiste radical.

Abubakar Shekau, ancien adjoint de M. Yusuf, est perçu comme le chef actuel de la faction principale de Boko Haram, qui dit vouloir se faire appeler par un nom différent : "Peuple soumis aux enseignements du prophète pour la propagation du djihad". "Abubakar Shekau n'est pas nécessairement sur la même ligne que Yusuf, indique M. Yabi. Il est plus déterminé, plus violent et choisit des cibles plus larges, en donnant une dimension internationale à ses attaques. L'évolution des cibles peut aussi être le fait de factions différentes du groupe ayant des stratégies différenciées." 

BOKO HARAM ET LE DJIHAD GLOBAL

La revendication par Boko Haram de la prise d'otages de la famille Moulin-Fournier, le 19 février, au Cameroun — inédite dans la stratégie du groupe islamiste — a surpris les spécialistes. Une faction dissidente de Boko Haram, nommée Ansaru, a toutefois revendiqué par le passé plusieurs enlèvements d'étrangers, dont un ingénieur français, Francis Collomp, en décembre 2012, dont on est toujours sans nouvelles. "Jusqu'à aujourd'hui, il n'y a aucune certitude sur l'identité du groupe qui a procédé à la prise d'otages de la famille Moulin-Fournier. Ce peut-être le fait de groupes criminels ayant ensuite revendu les otages. Le Nigeria est marqué par une grande insécurité et connaît de nombreux cas d'enlèvements participant d'une logique criminelle ou politique", indique Gilles Yabi.

Il n'en demeure pas moins que des connexions semblent avoir été établies au cours des dernières années entre Boko Haram et des groupes liés à Al-Qaida et coutumiers de ces méthodes, à l'instar d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). "L'évolution tactique de Boko Haram dans les moyens utilisés depuis 2010-2011 et le renforcement de leurs capacités peuvent venir d'AQMI. Il y a une continuité idéologique entre les deux groupes, même si leurs priorités ne sont pas les mêmes", reconnaît Gilles Yabi. Les services de renseignement étrangers, notamment américains, sont convaincus des liens existants entre les deux groupes. Les chefs de Boko Haram ont en conséquence été placés sur la liste des personnalités recherchés pour terrorisme aux Etats-Unis. Selon des diplomates, des membres de Boko Haram se seraient entraînés auprès de combattants d'AQMI à Kidal dans le nord du Mali.

UNE SOURCE D'INSTABILITÉ

Si Boko Haram ne contrôle pas à proprement parler de région au Nigeria, le groupe a une capacité de déstabilisation. "Il entretient un climat d'insécurité dans le nord depuis des années et complique le développement économique de la région. Mais il ne déstabilise pas totalement l'Etat, qui est fédéral et dont les activités économiques se concentrent au sud", estime Gilles Yabi.

Toutefois, le pouvoir central est de plus en plus critiqué pour sa gestion de l'insurrection. Les nouveaux affrontements autour de Baga, très meurtriers, ont provoqué un tollé international. "Le problème est que les forces de sécurité nigérianes ne font pas la distinction entre population civile et membres de Boko Haram. Cela ne favorise pas la collaboration des populations locales avec les forces fédérales pour lutter contre le groupe. Pour elles, la source d'insécurité vient autant de Boko Haram que des forces fédérales", analyse Gilles Yabi.

Face à la pression grandissante concernant le bain de sang de Baga, le président nigérian Goodluck Jonathan a dit étudier la possibilité d'un accord d'amnistie avec Boko Haram, pour mettre fin à l'insurrection. "Aux élections de 2015, il y a des chances que Boko Haram ait un impact politique. Le président est très critiqué sur son incapacité à résoudre le problème sécuritaire au Nord. C'est un argument que peuvent utiliser ses adversaires du Nord, qui l'accusent d'utiliser Boko Haram pour diaboliser les élites politiques de cette région", conclut Gilles Yabi.

Le Monde

Vendredi 26 Avril 2013 - 10:04


div id="taboola-below-article-thumbnails">

Nouveau commentaire :
Facebook Twitter