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Max du Preez, journaliste: «Mandela a éloigné la menace de la plus sanglante des guerres civiles d’Afrique»

À l’occasion du dixième anniversaire de la disparition de Nelson Mandela le 5 décembre 2013, RFI a interrogé le journaliste sud-africain Max Du Preez. Il est l’un de meilleurs connaisseurs de l’histoire contemporaine de l’Afrique du Sud et de son évolution sous les gouvernements post-apartheid. Entretien.



RFI : Quel souvenir gardez-vous de Mandela ?
 
Max du Preez : En cette journée anniversaire de sa disparition, je me suis remémoré le tête-à-tête que j’ai eu avec Madiba à peine quelques jours après sa sortie de prison en février 1990. Il m’avait invité à venir prendre le thé chez lui, à Soweto. En sirotant le thé qu’il m’a lui-même servi, on s’est longuement parlé. Chose remarquable, il m’a parlé en afrikaans, la langue des colons boers qui est ma langue maternelle et que Mandela s’était donné la peine d’apprendre pendant son emprisonnement. Il a partagé avec moi sa vision d’un pays renouvelé après des siècles de racisme et de domination coloniale. Encore aujourd’hui, sa voix résonne dans ma tête, en train d’évoquer son rêve d’une Afrique du Sud lumineuse, brillant tel un diamant dans le firmament d’un continent africain qui a connu tant d’obscurantismes et d’oppression. C’est ce souvenir qui me vient à l’esprit quand je pense à Mandela.
 
 

Cette vision de l’Afrique du Sud renouvelée, Mandela l’avait déjà énoncée lors de sa plaidoirie à son propre procès en 1964 au tribunal de Rivonia, dans le Transvaal. Il avait déclaré alors qu’il chérissait « l’idéal d’une société démocratique et libre dans laquelle tous vivraient ensemble, dans l’harmonie, avec d’égales opportunités ». Trente ans après la fin de l’apartheid, l’idéal d’égales opportunités reste encore très hypothétique…
 
Mandela n’était pas Dieu, mais un homme fait de chair et d’os, avec ses rêves et ses limites. En tant qu’homme politique, il devait avancer en se tâtonnant à l’intérieur des limites que les circonstances lui imposaient. C’était une chance pour l’Afrique du Sud d’avoir eu aux manettes un homme de sa stature morale et intellectuelle pour la guider pendant sa transition vers la liberté, la démocratie et l’État de droit. Nous avons oublié aujourd’hui combien ce passage était semé d’embûches et Mandela obligé de faire preuve d’imagination et de diplomatie à chaque pas pour conduire le peuple sud-africain vers un avenir réaliste, calmant les craintes des uns et tenant en laisse les espoirs et les ressentiments des autres. Plongé dans nos difficultés économiques et sociales, nous avons tendance à ignorer l’énormité de la tâche accomplie. En consacrant dans la nouvelle Constitution, le principe démocratique d’« un homme une voix », qui a conduit blancs et noirs à faire la queue ensemble pour voter, il a jeté les fondements d’une nation sud-africaine. Ce faisant, il a aussi éloigné la menace de la plus sanglante des guerres civiles d’Afrique. C’était ça, la plus grande œuvre de Madiba. Il aurait peut-être pu faire plus, comme le croit la jeunesse des townships confrontée au chômage, aux inégalités de salaires et à la pauvreté. En tant que président, Mandela, lui, estimait qu’une redistribution plus radicale aurait fait fuir les hommes d’affaires et les investisseurs.
 
Certains parmi cette jeunesse que vous évoquez traitent Mandela de « vendu » à la minorité qui détient toujours les leviers de l’économie. Comment réagissez-vous à ces accusations ?
 
C’est choquant, car Mandela n’a jamais été un vendu à quiconque. Il me semble que la tâche de transformer l’économie incombait à ses successeurs et à l’ANC. Or, après avoir gouverné le pays avec un sens des responsabilités, l’ANC est aujourd’hui plongé jusqu’au cou dans des affaires de corruption et de népotisme. Cette descente aux enfers a commencé avec Jacob Zuma. Mandela aurait sans doute été horrifié par ce que son parti est devenu depuis. Je crois même qu’il aurait quitté l’ANC.
 
Aujourd’hui, le désenchantement populaire a atteint un tel niveau, si on en croit les sondages, qu’à l’issue de trois décennies de pouvoir sans partage, le parti de Nelson Mandela, de Walter Sisulu et d’Olivier Tambo semble condamné à perdre les législatives prévues l’année prochaine. Le sentiment qui prévaut aujourd’hui en Afrique du Sud, c’est que si le rêve des pères fondateurs, réduit aujourd’hui en lambeaux, traîne dans la poussière, c’est parce que la classe politique sud-africaine n’a pas été à la hauteur de sa mission historique.
 
Le leader anti-apartheid Nelson Mandela et son épouse Winnie marchent main dans la main, en levant le poing, à sa sortie de la prison Victor Verster, le 11 février 1990 près du Cap, en Afrique du Sud.
En 1990, pour la romancière Nadine Gordimer, le septuagénaire Nelson Mandela marchant vers la liberté, main dans la main avec son épouse Winnie, était la « personnification de l’avenir » de son pays. Que représente Mandela aujourd’hui pour les Sud-Africains ?
 
Lorsque Mandela est sorti de prison le 11 février 1991, les Sud-Africains ne le connaissaient pas vraiment. En censurant ses photos et ses écrits, le régime raciste de Pretoria l’avait réduit en légendes nimbées de mystères. Pour les militants anti-apartheid, il était alors une sorte de figure messianique, qui incarnait le combat courageux contre l’oppression raciale et l’espoir de la liberté à venir. À sa libération, les années de travaux forcés n’ayant pas réussi à réprimer sa combativité, Mandela s’est présenté à nous, revêtu des couleurs de l’espoir. Dans l’Afrique du Sud, installée aujourd’hui résolument dans la démocratie, nous n’avons plus besoin d’une figure messianique comme Mandela. Mais il continue d’habiter notre conscience historique comme la mémoire des temps heureux quand la politique rimait encore avec l’obstination de la volonté et le triomphe du Bien face à l’adversité.
 


RFI

Mardi 5 Décembre 2023 - 08:47


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