Douze mètres d'envergure pour 650 kilos : si le drone tactique TB2, du constructeur turc Baykar, est deux fois moins gros qu'un drone Male (moyenne Altitude Longue Endurance) Reaper américain, produit par Général Atomics, il est néanmoins très endurant. Lesté de quatre missiles à guidage laser, facile d'usage, il est surtout très bon marché : son prix représente 10% environ de celui d’un Reaper. Dans le monde aéronautique, on le surnomme la « Kalachnikov » du XXIe siècle.
Mais ce n'est pas tout à fait un « game changer », nuance le général Bruno Mignot, ancien commandant du Centre national des opérations aériennes : « Je dirais plutôt, que c'est un "guerre faciliteur" ! Parce qu'il présente des fonctions très intéressantes pour des forces qui ne disposent à priori plus de forces aériennes de chasse suffisantes pour contrer une offensive. En revanche, ce drone présente une empreinte logistique relativement faible. L'observation, la reconnaissance, voire l'attaque au sol, on ne sait pas s'il est là ou pas, s'il a encore des munitions ou pas, cela déroute les forces [ennemies]. »
Dans le cas du conflit ukrainien, le TB2 permet surtout, pointe Dimitri Minic, chercheur au centre Russie-NEI de l’Institut français des relations internationales (Ifri), de contester la suprématie aérienne russe : « Il est difficile d'utiliser des missiles pour abattre des drones comme ça, ajoute l'expert. L'Ukraine utilise essentiellement le TB2 pour viser des convois d'approvisionnement. C'est une utilisation efficace et en même temps, sur le long terme, ça n'aura pas d'impact puisque l'armée russe a des réserves immenses. Son seul problème, c'est la domination de l'espace aérien, car celle-ci est compromise non seulement parce que le système de défense aérien ukrainien n'a pas été complètement neutralisé, mais surtout parce que cette défense a été "décentralisée" dans les mains des soldats ukrainiens avec les manpads Javelin. Les avions russes ont aussi l'habitude de voler un peu bas, ce qui crée une difficulté, chez les officiers russes, à utiliser massivement l'arme aérienne alors qu’ils en auraient la capacité - ils ne manquent pas de chasseurs ni de bombardiers. Je pense que les drones, c'est une utilisation spectaculaire, utile, mais à terme, je ne suis pas sûr que ça change réellement le cours du conflit. »
En face, le Lancet 3, un drone rustique et efficace
Kiev disposait d’une vingtaine de TB2 au début du conflit, mais dès le printemps 2022, Moscou assurait avoir déjà abattu près de la moitié de cette flotte. Rapidement, les forces ukrainiennes ont généralisé l’usage des drones, utilisant massivement des petits drones civils modifiés. Bien moins chers que des missiles, ces machines créent en permanence la menace, la terreur ou encore l’incertitude dans tous les compartiments du champ de bataille, pointe Léo Peria-Peigné, chercheur à l’Ifri : « Vous avez deux armées qui ont du mal à couvrir l'ensemble du front, tout simplement parce que ni l'une ni l'autre n'est vraiment assez nombreuse pour faire une ligne totalement pleine comme c'était le cas pendant la Première Guerre mondiale. Vous avez des môles [points] de résistance, des môles armés et les interstices vont être couverts par des drones qui vont permettre de repérer un mouvement adverse. Ça, c'est la version défensive. La version plus offensive va être armée, souvent légèrement, pour aller porter le feu en face et mener une sorte de harcèlement constant et permanent qui oblige l'adversaire à se tenir sur ses gardes. Ensuite, vous avez des drones plus performants, avec des portées plus importantes qui vont pouvoir se déployer notamment sur Moscou. Il y a quelques mois, d’anciens drones soviétiques à réaction ont été modifiés pour devenir des bombes volantes, afin d’être utilisés à cet effet. »
Face à la profusion de drones de tous types côté ukrainien, l’armée russe a depuis comblé son retard, en s’appuyant notamment sur le drone suicide Lancet 3. Rustique, peu coûteux, il est aussi, relève Léo Peria-Peigné, particulièrement efficace : « Aujourd'hui, le Lancet, malgré une charge utile un petit peu faible, est quand même très utile pour faire ce que l’on appelle "la contre-batterie". En gros, il va détecter les départs de feu adverses et il va aller se crasher et détruire ou essayer de détruire les canons adverses. C'est comme ça qu'au moins un des deux Caesars [canon automoteur français de 155 mmm] reconnu comme détruit, a été attaqué. »
« Le drone, c’est la star de ce conflit »
Régulièrement, Moscou envoie des salves de drones suicides iraniens Shahed 136 sur les arrières ukrainiens. Kiev fait de même en frappant le territoire russe dans la profondeur, notamment avec le drone Furia. Mais, c'est au plus près du front que l’on retrouve le plus de drones.
On est passé en Ukraine, souligne l’historien militaire Michel Goya, à une échelle jamais observée jusque-là : « L'armée ukrainienne, c'est l'armée la plus "dronisée" du monde, très largement. Les Russes s'y mettent aussi, ce qui rend d'ailleurs les choses plus compliquées. Un élément un peu nouveau de ce conflit, c'est une sorte de transparence du champ de bataille. Il est très difficile de monter des opérations de grande ampleur parce qu'elles sont rapidement visibles. Le ciel est dangereux pour les appareils pilotés (hélicoptères, avions de combat). En revanche, il est peuplé de machines qui remplissent beaucoup de missions de l'aviation. Ils font du renseignement, ils font de la reconnaissance, ils font de la frappe. Oui, le drone, c'est la star de ce conflit, incontestablement. »
L’Afrique, nouvelle zone d’emploi du TB2
Conséquence : les pertes de drones sont aussi très élevées. Chaque drone, disent les experts, ne vole pas plus de quatre à six fois avant d’être abattu. Et les Bayraktar TB2, trop vulnérables, ont presque disparu du ciel ukrainien, relève Léo Péria Peigné : « Oui, il semblerait qu'il n'y en ait plus depuis déjà un certain temps. Des TB2, en Ukraine, il n’y en a jamais eu plus d'une trentaine actifs en même temps et ils ont subi des pertes assez importantes. Au printemps, on a vu que les Ukrainiens ont perdu le contrôle au-dessus de Kiev d’un TB2 et ils ont dû l’abattre. Le drone Bayraktar est loin d'être le vecteur principal des forces ukrainiennes, parce qu'il n’est pas très adapté à une guerre de position. Les champs de bataille sont quand même très saturés en armes anti-aériennes plus ou moins lourdes… Or le TB2 est vulnérable, car il est lent, de grande taille, ce qui permet de l'apercevoir soit à l'œil nu, soit au radar de manière assez simple. »
Si le drone vedette de Bayraktar n’est plus très adapté au théâtre ukrainien, il se révèle en revanche très efficace pour contrôler de grands espaces, d’où son succès à l’export sur le continent africain. Selon les derniers décomptes effectués par des sources militaires occidentales, une dizaine de pays africains a déjà passé commande au constructeur turc.
Mais ce n'est pas tout à fait un « game changer », nuance le général Bruno Mignot, ancien commandant du Centre national des opérations aériennes : « Je dirais plutôt, que c'est un "guerre faciliteur" ! Parce qu'il présente des fonctions très intéressantes pour des forces qui ne disposent à priori plus de forces aériennes de chasse suffisantes pour contrer une offensive. En revanche, ce drone présente une empreinte logistique relativement faible. L'observation, la reconnaissance, voire l'attaque au sol, on ne sait pas s'il est là ou pas, s'il a encore des munitions ou pas, cela déroute les forces [ennemies]. »
Dans le cas du conflit ukrainien, le TB2 permet surtout, pointe Dimitri Minic, chercheur au centre Russie-NEI de l’Institut français des relations internationales (Ifri), de contester la suprématie aérienne russe : « Il est difficile d'utiliser des missiles pour abattre des drones comme ça, ajoute l'expert. L'Ukraine utilise essentiellement le TB2 pour viser des convois d'approvisionnement. C'est une utilisation efficace et en même temps, sur le long terme, ça n'aura pas d'impact puisque l'armée russe a des réserves immenses. Son seul problème, c'est la domination de l'espace aérien, car celle-ci est compromise non seulement parce que le système de défense aérien ukrainien n'a pas été complètement neutralisé, mais surtout parce que cette défense a été "décentralisée" dans les mains des soldats ukrainiens avec les manpads Javelin. Les avions russes ont aussi l'habitude de voler un peu bas, ce qui crée une difficulté, chez les officiers russes, à utiliser massivement l'arme aérienne alors qu’ils en auraient la capacité - ils ne manquent pas de chasseurs ni de bombardiers. Je pense que les drones, c'est une utilisation spectaculaire, utile, mais à terme, je ne suis pas sûr que ça change réellement le cours du conflit. »
En face, le Lancet 3, un drone rustique et efficace
Kiev disposait d’une vingtaine de TB2 au début du conflit, mais dès le printemps 2022, Moscou assurait avoir déjà abattu près de la moitié de cette flotte. Rapidement, les forces ukrainiennes ont généralisé l’usage des drones, utilisant massivement des petits drones civils modifiés. Bien moins chers que des missiles, ces machines créent en permanence la menace, la terreur ou encore l’incertitude dans tous les compartiments du champ de bataille, pointe Léo Peria-Peigné, chercheur à l’Ifri : « Vous avez deux armées qui ont du mal à couvrir l'ensemble du front, tout simplement parce que ni l'une ni l'autre n'est vraiment assez nombreuse pour faire une ligne totalement pleine comme c'était le cas pendant la Première Guerre mondiale. Vous avez des môles [points] de résistance, des môles armés et les interstices vont être couverts par des drones qui vont permettre de repérer un mouvement adverse. Ça, c'est la version défensive. La version plus offensive va être armée, souvent légèrement, pour aller porter le feu en face et mener une sorte de harcèlement constant et permanent qui oblige l'adversaire à se tenir sur ses gardes. Ensuite, vous avez des drones plus performants, avec des portées plus importantes qui vont pouvoir se déployer notamment sur Moscou. Il y a quelques mois, d’anciens drones soviétiques à réaction ont été modifiés pour devenir des bombes volantes, afin d’être utilisés à cet effet. »
Face à la profusion de drones de tous types côté ukrainien, l’armée russe a depuis comblé son retard, en s’appuyant notamment sur le drone suicide Lancet 3. Rustique, peu coûteux, il est aussi, relève Léo Peria-Peigné, particulièrement efficace : « Aujourd'hui, le Lancet, malgré une charge utile un petit peu faible, est quand même très utile pour faire ce que l’on appelle "la contre-batterie". En gros, il va détecter les départs de feu adverses et il va aller se crasher et détruire ou essayer de détruire les canons adverses. C'est comme ça qu'au moins un des deux Caesars [canon automoteur français de 155 mmm] reconnu comme détruit, a été attaqué. »
« Le drone, c’est la star de ce conflit »
Régulièrement, Moscou envoie des salves de drones suicides iraniens Shahed 136 sur les arrières ukrainiens. Kiev fait de même en frappant le territoire russe dans la profondeur, notamment avec le drone Furia. Mais, c'est au plus près du front que l’on retrouve le plus de drones.
On est passé en Ukraine, souligne l’historien militaire Michel Goya, à une échelle jamais observée jusque-là : « L'armée ukrainienne, c'est l'armée la plus "dronisée" du monde, très largement. Les Russes s'y mettent aussi, ce qui rend d'ailleurs les choses plus compliquées. Un élément un peu nouveau de ce conflit, c'est une sorte de transparence du champ de bataille. Il est très difficile de monter des opérations de grande ampleur parce qu'elles sont rapidement visibles. Le ciel est dangereux pour les appareils pilotés (hélicoptères, avions de combat). En revanche, il est peuplé de machines qui remplissent beaucoup de missions de l'aviation. Ils font du renseignement, ils font de la reconnaissance, ils font de la frappe. Oui, le drone, c'est la star de ce conflit, incontestablement. »
L’Afrique, nouvelle zone d’emploi du TB2
Conséquence : les pertes de drones sont aussi très élevées. Chaque drone, disent les experts, ne vole pas plus de quatre à six fois avant d’être abattu. Et les Bayraktar TB2, trop vulnérables, ont presque disparu du ciel ukrainien, relève Léo Péria Peigné : « Oui, il semblerait qu'il n'y en ait plus depuis déjà un certain temps. Des TB2, en Ukraine, il n’y en a jamais eu plus d'une trentaine actifs en même temps et ils ont subi des pertes assez importantes. Au printemps, on a vu que les Ukrainiens ont perdu le contrôle au-dessus de Kiev d’un TB2 et ils ont dû l’abattre. Le drone Bayraktar est loin d'être le vecteur principal des forces ukrainiennes, parce qu'il n’est pas très adapté à une guerre de position. Les champs de bataille sont quand même très saturés en armes anti-aériennes plus ou moins lourdes… Or le TB2 est vulnérable, car il est lent, de grande taille, ce qui permet de l'apercevoir soit à l'œil nu, soit au radar de manière assez simple. »
Si le drone vedette de Bayraktar n’est plus très adapté au théâtre ukrainien, il se révèle en revanche très efficace pour contrôler de grands espaces, d’où son succès à l’export sur le continent africain. Selon les derniers décomptes effectués par des sources militaires occidentales, une dizaine de pays africains a déjà passé commande au constructeur turc.
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