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Loi criminalisant le viol: Pourquoi les agressions sexuelles ne baissent pas un an après

Malgré la criminalisation de la loi sur le viol au Sénégal, le nombre de cas ne semble pas baissé. « 26 cas de viol et de pédophilie ont été pris en charge au tribunal de Grande instance de Mbour, 47 au tribunal de Grande instance de Diourbel et 52 au tribunal de Grande instance de Thiès ». Tels sont les statistiques de certaines juridictions révélées par la cellule genre du ministère de la Justice, lors d’un atelier organisé à la mairie de Dieuppeul (Dakar), le 24 Avril, dédié à la sensibilisation sur la loi criminalisant le viol et la pédophilie. Ces chiffres montrent à suffisance que les agressions sexuelles sont toujours monnaie courante. Qu’est-ce qui explique que la criminalisation du viol n’a toujours pas fait son effet sur les agressions sexuelles au Sénégal ? PressAfrik fait le point avec les sources autorisées.



Loi criminalisant le viol: Pourquoi les agressions sexuelles ne baissent pas un an après
Jadis, considéré comme un simple délit passible de cinq à dix ans de prison, le viol est devenu un crime au Sénégal. Votée le 30 décembre 2019 par l’Assemblée nationale à l’issue d’un vote à l’unanimité, et promulguée le 10 janvier 2020, cette nouvelle loi a pour objectif d’augmenter la sévérité des peines encourues par les auteurs de viol et de pédophilie. Plus d’un an après son entrée en vigueur, les cas de viol semblent prendre une courbe ascendante.

L’avocat à la cour, Me Aboubacry Barro, Interrogé par PressAfrik, donne les raisons de cette hausse des cas tout en pointant un doigt accusateur sur la loi portant criminalisation du viol qui, à l’en croire, « n’est soit opportune ou bonne ». 

« Je ne pense pas que la loi portant sur la criminalisation du viol soit la bonne. Parce qu’au départ, l’idée c’était d’endiguer le phénomène, mais à la longue, c’est une multitude de problèmes qui en résultent », a déploré la robe noire, d’entrée. 

Qui a poursuivi : « Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, on n’a pas tous les moyens nécessaires. Nous ne sommes pas en Europe, dans lesquels pays où les policiers, les gendarmes font les investigations nécessaires. Ici, ce n’est pas le cas. On n’a pas les moyens humains, il n’y pas assez d’officiers de police judiciaire enquêteurs qui puissent instruire avec tous les moyens qu’il faut à charge et à décharge. Ce qui fait qu’aujourd’hui, cette criminalisation du viol crée beaucoup plus de problèmes », a-t-il indiqué. 

Lesquels sont entre autres, « le manque criard de preuves, le problème d’investigation auquel sont confrontés les officiers de police judiciaire enquêteurs. Il s’y ajoute également le manque de moyens, le problème de contexte, de réalités socio-culturelles au Sénégal », a-t-il listé. Avant de regretter : « c’est ce qui fait que les prisons sont engorgés de présumés violeurs alors que la plupart sont des innocents». 

Autre problème lié aux nombreux cas de viol, a ajouté Me Barro, « Le temps de l’instruction criminelle n’est pas encadré. Il n’y a pas de délai limité c’est-à-dire le juge a largement le temps de pourvoir instruire contrairement en matière délictuelle où il a un délai de 6 mois », a-t-il déploré. 

« Après l’évènement de la loi portant criminalisation du viol, a-t-il indiqué, d’aucuns avaient espéré une chute considérable des cas de viols, ce qui n’est pas le cas ».

Et, a-t-il précisé, « le seul point qu’on pourrait soulevé, c’est qu’il y a une absence de communication, car les présumés violeurs sont dans les prisons, leurs dossiers sont en instruction, ce qui fait qu’il n’y a pas de chambre criminelle qui se soit tenue pour juger des cas de viols, parce que la loi est très récente ».

Pour étayer ses propos, l’avocat dit ne pas connaître de cas pour lequel aujourd’hui, la Chambre criminelle a statué pour une affaire de viol. D’où, la question de savoir s’il y a « une effectivité de l’application de la loi incriminant le viol ?

 « Il fallait aller vers un consensus, impliquer l’ensemble des couches de la société »
Si le législateur voulait réellement endiguer ce phénomène, il serait allé vers « un consensus ». C’est-à-dire, a-t-il expliqué, « Dès que la loi sur le viol a été incriminée, il fallait faire recours à l’expertise des magistrats, des gendarmes, l’administration pénitentiaire, des journalistes et pourquoi pas prendre en considération les revendications légitimes des associations féminines des victimes de viols ».

Tout ceci pour dire qu’il devait aller vers « l’ensemble des couches de la société avant le vote de la loi», a avancé la robe noire.  

« Si on veut lutter contre le phénomène du viol, il faut que ça soit dans le cadre d’une prise en charge communautaire ».

« Si on veut lutter contre ce phénomène, il faut que ça soit dans le cadre d’une prise en charge communautaire ». Tel est l’avis d’un autre avocat, contacté par PressAfrik, et qui a requis l’anonymat. 

Notre interlocuteur n’est pas du même avis que Me Barro. Selon lui, il faut chercher les causes de ces cas viols ailleurs que dans la criminalisation du viol. « Le fait de renforcer la répression fait partie de la prise en charge. La réponse à ces multiples cas de viol, ce n’est pas la répression du viol », a-t-il déclaré. 

L’avocat au barreau de Dakar donne quelques idées pour mettre fin à ce phénomène : « Si on veut lutter contre ce phénomène, il faut que ça soit dans le cadre d’une prise en charge communautaire. C’est-à-dire, il faut instituer une culture de la non-violence et du bannissement de toutes formes de violences à l’égard des femmes. Que la répression sociale soit un peu dans le milieu éducatif, dans la façon d’éduquer, dans la façon de concevoir la communauté d’une façon globale ». 
« La loi incriminant le viol est appliquée dans son effectivité »

A en croire l’avocat, la loi incriminant le viol est appliqué dans « son effectivité ». Car, les coupables de viol sont jugés comme des « criminels ». Mais le seul problème avec cette loi, « c’est le manque de communication ». 

« Cette loi déjà, elle n’est pas connue. En plus, un an c’est trop court pour avoir un effet dissuasif. Pour que l’effet dissuasif soit beaucoup plus fort, il faut d’abord que les gens soient au courant que le viol est criminalisée », a-t-il soutenu. 

Loi criminalisant le viol: Pourquoi les agressions sexuelles ne baissent pas un an après
 
« On a suivi des cas de viol mais certains parents des victimes nous menacent »

Fatouma Ndiaye, présidente « Badiène Gox » de la commune de Rufisque-nord, a fait des témoignages sur des cas de viol dont elle s’est occupée en personne. La vieille dame qui surveille de près les familles qui ont connu ce phénomène, accuse les parents des victimes de « négligence ». Ecoutez !

« Ce phénomène s’explique par plusieurs  facteurs »
 
 
Interrogé sur la question, le psycho-sociologue, Aly Khoudia Diaw, a d’abord jugé nécessaire de définir ce qui est le viol. Selon lui : « le viol est un acte marginal, c’est-à-dire, réprouvé par la société, par les coutumes et les traditions, par les normes et les valeurs dans toutes les sociétés. Il y a viol lorsque l’individu n’est pas d’accord et que vous portez atteinte à son intégrité physique. Le viol est réprouvé par la conscience collective et par la morale. C’est un acte déviant, une perversion (…)».

Ce phénomène, selon M. Diaw, peut être expliqué par plusieurs facteurs. « Il faut convoquer le contexte sociaux-économiques. On vit dans une société où de plus en plus, il y a un recul de l’éducation  dans la cellule familiale,  éducation à l’école, dans les institutions éducatives. Il y a une réquisition des compétences de vie. C’est-à-dire dans les familles, on enseigne plus de compétence de vie. Il y a la promiscuité dans la famille. Hommes et femmes sont à longueur de journée mélangés les uns aux autres dans l’étroitesse des chambres. Donc, il y a une barrière très petite qui fait que hommes et femmes, surtout les femmes, sont exposés à ces tentatives de viols ». 

Autres facteurs, poursuit le psycho-sociologue, « c’est le fait que les jeunes, aujourd’hui sont trop enclins à la pornographie qui est devenue accessible à tous. Hors, tout le  monde n’est pas marié, tout  le monde n’a pas la retenue qu’il faut et tout le monde n’a pas l’éducation familiale qu’il faut ».

« Nous vivons dans un monde où l’éducation fait défaut, où l’autorité parentale fait défaut. Ce qui fait que généralement les cas de viols dans les familles ou à l’extérieur des familles sont devenus beaucoup plus fréquents », a-t-il conclu. 
 
 


Aminata Diouf

Samedi 8 Mai 2021 - 13:18


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