Dans les salles de classe du Sénégal, une crise silencieuse se prépare, menaçant d'anéantir l'avenir de milliers de filles. Les grossesses précoces, qui résultent souvent de pratiques culturelles profondément enracinées et d'un manque d'accès à l'éducation en matière de santé génésique, obligent de nombreuses filles à quitter l'école prématurément.
Selon un rapport de l'UNICEF publié en 2023, près de 14 % des filles âgées de 15 à 19 ans au Sénégal sont soit mères, soit enceintes. Ce chiffre met en évidence un problème qui non seulement compromet la vie des filles concernées, mais perpétue également les cycles de pauvreté et d'inégalité.
Les grossesses d'adolescentes ont des répercussions immédiates et à long terme. Lorsqu'une adolescente tombe enceinte, elle est souvent contrainte d'abandonner l'école. Privée d'éducation, elle est confrontée à des perspectives d'emploi limitées et à une dépendance économique et sociale. Selon l'UNESCO, 42 % des filles d'Afrique subsaharienne ne terminent pas leurs études primaires. Ce manque d'éducation limite leur accès au marché du travail, exacerbant les inégalités.
Dans de nombreux cas, les grossesses d'adolescentes sont le résultat de mariages d'enfants, en particulier dans certaines zones rurales où cette pratique est courante.
À Dakar, Aïcha, 23 ans, raconte comment le mariage d'enfants et l'abandon de l'école qui s'en est suivi ont eu un impact négatif sur sa vie.
Comme Aïcha, Fatou, 27 ans, subit elle aussi les conséquences d'une éducation incomplète due au mariage des enfants.
« Sans diplôme, je n'ai pas pu trouver un emploi stable. Je suis restée dans un mariage où je n'étais ni respectée ni écoutée. Partir n'était pas envisageable car je n'avais nulle part où aller », confie la jeune femme, aujourd'hui mère de deux enfants.
Aïssatou, mariée à 17 ans à Kolda, a quitté l'école après sa première grossesse.
Des histoires comme celle d'Aïssatou mettent en lumière la persistance des traditions qui entravent l'autonomisation des filles. Brillante élève, elle fait désormais des ménages pour sa belle-famille.
« Aujourd'hui, je fais la cuisine, le ménage et toutes les tâches ménagères. Quand j'ai quitté l'école, j'étais en cinquième au collège, mais à cause de ma grossesse, j'ai dû abandonner. Il était de plus en plus difficile de combiner les soins à la belle-famille, les études et la grossesse. Mais j'étais bonne à l'école, j'étais toujours dans les dix premiers de ma classe », ajoute-t-elle avec nostalgie.
Les chiffres de la grossesse chez les adolescentes sont inquiétants : l'enquête démographique et de santé du Sénégal de 2023 révèle que 10,1 % des filles âgées de 15 à 19 ans ont commencé à avoir des enfants. Parmi les filles âgées de 15 à 17 ans, 7 % ont commencé à procréer, ce qui inclut celles qui sont mères (5 %) et celles qui sont enceintes de leur premier enfant (2 %). Ce pourcentage passe à 22,4 % chez les jeunes de 19 ans.
En 2020, sur les 1 977 naissances enregistrées dans un hôpital sénégalais, 243 ont concerné des enfants, dont certains avaient moins de 14 ans.
Dans un contexte où l'éducation sexuelle est encore un sujet tabou, de nombreuses jeunes filles ne disposent pas des informations essentielles pour prendre des décisions éclairées sur leur santé reproductive. En outre, le manque d'accès aux services de santé sexuelle et reproductive joue un rôle dans l'augmentation du nombre de grossesses non planifiées. L'EDS 2023 indique que parmi les filles et les jeunes femmes âgées de 15 à 19 ans, les besoins non satisfaits en matière de contraception sont de 19,7 %, dont 19,1 % pour l'espacement des grossesses et 0,6 % pour la limitation des grossesses. Ces chiffres reflètent le pourcentage de jeunes femmes qui souhaitent retarder ou éviter les grossesses mais qui n'utilisent aucune méthode de contraception.
« Je n'ai su que j'étais enceinte qu'au troisième mois. J'avais peur de le dire à ma mère », raconte Mariama, 16 ans. Comme Mariama, de nombreuses jeunes filles tombent enceintes par manque d'information.
En conséquence, la scolarité est souvent perturbée. Selon le ministère de l'éducation, plus de 3 000 abandons scolaires liés à la grossesse ont été enregistrés en 2022.
« C'est un double fardeau : elles perdent leur éducation et deviennent économiquement dépendantes », explique Marième Diop, coordinatrice d'une ONG de défense des droits des femmes.
Au-delà de l'école, les filles sont confrontées à de graves conséquences médicales. Les complications liées à la grossesse sont l'une des principales causes de décès chez les adolescentes, car leur corps n'est pas équipé pour faire face aux exigences physiologiques de la grossesse. Le taux de mortalité maternelle chez les filles âgées de 15 à 19 ans est de 0,03 décès pour 1 000, soit 5,6 % des décès maternels au Sénégal, selon l'EDS 2023.
Les adolescentes sont également exposées à des risques de traumatismes psychologiques suite à une grossesse non planifiée ou à un accouchement dans des conditions précaires. De plus, l'accès à des soins de santé adéquats reste limité dans de nombreuses zones rurales, ce qui aggrave la situation de ces jeunes filles.
Les pratiques culturelles jouent un rôle central dans la perpétuation de ce problème. Le mariage des enfants, par exemple, est encore une pratique courante au Sénégal, malgré les lois qui l'interdisent. Un quart des filles se marient avant l'âge de 20 ans, souvent sous la pression sociale ou familiale. Le mariage d'enfants est souvent suivi d'une grossesse, ce qui entraîne des risques considérables pour la santé des mères adolescentes, notamment une mortalité maternelle élevée, des complications obstétriques, des problèmes de santé sexuelle et le risque d'avortements non médicalisés.
Malgré les efforts des autorités et des organisations internationales, les grossesses précoces restent un défi important dans les écoles sénégalaises, menaçant les perspectives éducatives et professionnelles de milliers de jeunes filles. Cependant, des initiatives émergent pour lutter contre ce problème. L'association Filles Debout, par exemple, mène des campagnes de sensibilisation à la santé sexuelle et reproductive dans les écoles.
Le ministère de l'éducation, en partenariat avec des ONG, a également lancé un programme de réinsertion scolaire.
« Nous offrons un soutien psychologique et des cours de rattrapage pour aider ces filles à reprendre leurs études », explique Abdoulaye Sarr, inspecteur académique.
Les grossesses précoces dans les écoles sénégalaises ne sont pas seulement un problème individuel ; elles reflètent les inégalités structurelles qui affectent les filles dans de nombreuses sociétés. Pour lutter contre ce problème, il est essentiel d'adopter une approche multidimensionnelle combinant l'éducation, les campagnes de sensibilisation et l'amélioration de l'accès aux services de santé.
Il est essentiel de fournir aux jeunes filles les connaissances dont elles ont besoin pour se protéger et faire des choix éclairés grâce à une éducation sexuelle complète et adaptée à leur âge. L'introduction de cours d'éducation sexuelle dans les écoles pourrait contribuer à briser les tabous et à sensibiliser les garçons et les filles aux questions de santé génésique.
En outre, il est essentiel d'élargir l'accès aux services de santé sexuelle et génésique. Il s'agit notamment de fournir des services de contraception et de conseil, en particulier aux adolescentes des zones rurales où ces services ne sont souvent pas disponibles.
En outre, les campagnes visant à modifier les normes sociales et culturelles qui encouragent le mariage des enfants doivent être prioritaires. Il est tout aussi important de soutenir les jeunes mères afin qu'elles puissent retourner à l'école. Enfin, des programmes de réinsertion scolaire et de formation professionnelle devraient être mis en place pour aider les jeunes mères à poursuivre leurs études et à devenir indépendantes.
En adoptant une approche globale pour lutter contre le mariage des enfants et les grossesses précoces, le Sénégal peut réduire le nombre de grossesses précoces, libérer le potentiel de sa jeune population et donner à ces filles l'avenir qu'elles méritent.
Cet article a été réalisé par Ndeye Fatou Touré dans le cadre de l’Africa Women’s Journalism Project (AWJP) avec le soutien du Centre International des Journalistes (ICFJ) dans le cadre de la Bourse Reportage pour les Journalistes Femmes en Afrique Francophon.
Selon un rapport de l'UNICEF publié en 2023, près de 14 % des filles âgées de 15 à 19 ans au Sénégal sont soit mères, soit enceintes. Ce chiffre met en évidence un problème qui non seulement compromet la vie des filles concernées, mais perpétue également les cycles de pauvreté et d'inégalité.
Les grossesses d'adolescentes ont des répercussions immédiates et à long terme. Lorsqu'une adolescente tombe enceinte, elle est souvent contrainte d'abandonner l'école. Privée d'éducation, elle est confrontée à des perspectives d'emploi limitées et à une dépendance économique et sociale. Selon l'UNESCO, 42 % des filles d'Afrique subsaharienne ne terminent pas leurs études primaires. Ce manque d'éducation limite leur accès au marché du travail, exacerbant les inégalités.
Dans de nombreux cas, les grossesses d'adolescentes sont le résultat de mariages d'enfants, en particulier dans certaines zones rurales où cette pratique est courante.
À Dakar, Aïcha, 23 ans, raconte comment le mariage d'enfants et l'abandon de l'école qui s'en est suivi ont eu un impact négatif sur sa vie.
« Je voulais devenir enseignante. Mais à l'âge de 14 ans, mes parents ont décidé que je devais me marier. J'ai dû abandonner l'école et aujourd'hui, je n'ai aucune qualification. Je suis totalement dépendante de mon mari pour survivre », déplore la jeune femme.
Comme Aïcha, Fatou, 27 ans, subit elle aussi les conséquences d'une éducation incomplète due au mariage des enfants.
« Sans diplôme, je n'ai pas pu trouver un emploi stable. Je suis restée dans un mariage où je n'étais ni respectée ni écoutée. Partir n'était pas envisageable car je n'avais nulle part où aller », confie la jeune femme, aujourd'hui mère de deux enfants.
Aïssatou, mariée à 17 ans à Kolda, a quitté l'école après sa première grossesse.
« Mon mari m'a interdit de poursuivre mes études », dit-elle.
Des histoires comme celle d'Aïssatou mettent en lumière la persistance des traditions qui entravent l'autonomisation des filles. Brillante élève, elle fait désormais des ménages pour sa belle-famille.
« Aujourd'hui, je fais la cuisine, le ménage et toutes les tâches ménagères. Quand j'ai quitté l'école, j'étais en cinquième au collège, mais à cause de ma grossesse, j'ai dû abandonner. Il était de plus en plus difficile de combiner les soins à la belle-famille, les études et la grossesse. Mais j'étais bonne à l'école, j'étais toujours dans les dix premiers de ma classe », ajoute-t-elle avec nostalgie.
Les chiffres de la grossesse chez les adolescentes sont inquiétants : l'enquête démographique et de santé du Sénégal de 2023 révèle que 10,1 % des filles âgées de 15 à 19 ans ont commencé à avoir des enfants. Parmi les filles âgées de 15 à 17 ans, 7 % ont commencé à procréer, ce qui inclut celles qui sont mères (5 %) et celles qui sont enceintes de leur premier enfant (2 %). Ce pourcentage passe à 22,4 % chez les jeunes de 19 ans.
En 2020, sur les 1 977 naissances enregistrées dans un hôpital sénégalais, 243 ont concerné des enfants, dont certains avaient moins de 14 ans.
Dans un contexte où l'éducation sexuelle est encore un sujet tabou, de nombreuses jeunes filles ne disposent pas des informations essentielles pour prendre des décisions éclairées sur leur santé reproductive. En outre, le manque d'accès aux services de santé sexuelle et reproductive joue un rôle dans l'augmentation du nombre de grossesses non planifiées. L'EDS 2023 indique que parmi les filles et les jeunes femmes âgées de 15 à 19 ans, les besoins non satisfaits en matière de contraception sont de 19,7 %, dont 19,1 % pour l'espacement des grossesses et 0,6 % pour la limitation des grossesses. Ces chiffres reflètent le pourcentage de jeunes femmes qui souhaitent retarder ou éviter les grossesses mais qui n'utilisent aucune méthode de contraception.
« Je n'ai su que j'étais enceinte qu'au troisième mois. J'avais peur de le dire à ma mère », raconte Mariama, 16 ans. Comme Mariama, de nombreuses jeunes filles tombent enceintes par manque d'information.
« Le manque d'éducation sexuelle et la pression sociale jouent un rôle majeur dans ces situations. Beaucoup de filles ne connaissent pas leurs droits et ne savent pas comment se protéger », explique Fatou Bâ, assistante sociale au centre de santé de Pikine.
En conséquence, la scolarité est souvent perturbée. Selon le ministère de l'éducation, plus de 3 000 abandons scolaires liés à la grossesse ont été enregistrés en 2022.
« C'est un double fardeau : elles perdent leur éducation et deviennent économiquement dépendantes », explique Marième Diop, coordinatrice d'une ONG de défense des droits des femmes.
Au-delà de l'école, les filles sont confrontées à de graves conséquences médicales. Les complications liées à la grossesse sont l'une des principales causes de décès chez les adolescentes, car leur corps n'est pas équipé pour faire face aux exigences physiologiques de la grossesse. Le taux de mortalité maternelle chez les filles âgées de 15 à 19 ans est de 0,03 décès pour 1 000, soit 5,6 % des décès maternels au Sénégal, selon l'EDS 2023.
Les adolescentes sont également exposées à des risques de traumatismes psychologiques suite à une grossesse non planifiée ou à un accouchement dans des conditions précaires. De plus, l'accès à des soins de santé adéquats reste limité dans de nombreuses zones rurales, ce qui aggrave la situation de ces jeunes filles.
Les pratiques culturelles jouent un rôle central dans la perpétuation de ce problème. Le mariage des enfants, par exemple, est encore une pratique courante au Sénégal, malgré les lois qui l'interdisent. Un quart des filles se marient avant l'âge de 20 ans, souvent sous la pression sociale ou familiale. Le mariage d'enfants est souvent suivi d'une grossesse, ce qui entraîne des risques considérables pour la santé des mères adolescentes, notamment une mortalité maternelle élevée, des complications obstétriques, des problèmes de santé sexuelle et le risque d'avortements non médicalisés.
Malgré les efforts des autorités et des organisations internationales, les grossesses précoces restent un défi important dans les écoles sénégalaises, menaçant les perspectives éducatives et professionnelles de milliers de jeunes filles. Cependant, des initiatives émergent pour lutter contre ce problème. L'association Filles Debout, par exemple, mène des campagnes de sensibilisation à la santé sexuelle et reproductive dans les écoles.
« Nous nous adressons directement aux filles, mais aussi aux garçons, pour les responsabiliser », explique Aminata Sow, présidente de l'association.
Le ministère de l'éducation, en partenariat avec des ONG, a également lancé un programme de réinsertion scolaire.
« Nous offrons un soutien psychologique et des cours de rattrapage pour aider ces filles à reprendre leurs études », explique Abdoulaye Sarr, inspecteur académique.
Les grossesses précoces dans les écoles sénégalaises ne sont pas seulement un problème individuel ; elles reflètent les inégalités structurelles qui affectent les filles dans de nombreuses sociétés. Pour lutter contre ce problème, il est essentiel d'adopter une approche multidimensionnelle combinant l'éducation, les campagnes de sensibilisation et l'amélioration de l'accès aux services de santé.
Il est essentiel de fournir aux jeunes filles les connaissances dont elles ont besoin pour se protéger et faire des choix éclairés grâce à une éducation sexuelle complète et adaptée à leur âge. L'introduction de cours d'éducation sexuelle dans les écoles pourrait contribuer à briser les tabous et à sensibiliser les garçons et les filles aux questions de santé génésique.
En outre, il est essentiel d'élargir l'accès aux services de santé sexuelle et génésique. Il s'agit notamment de fournir des services de contraception et de conseil, en particulier aux adolescentes des zones rurales où ces services ne sont souvent pas disponibles.
En outre, les campagnes visant à modifier les normes sociales et culturelles qui encouragent le mariage des enfants doivent être prioritaires. Il est tout aussi important de soutenir les jeunes mères afin qu'elles puissent retourner à l'école. Enfin, des programmes de réinsertion scolaire et de formation professionnelle devraient être mis en place pour aider les jeunes mères à poursuivre leurs études et à devenir indépendantes.
En adoptant une approche globale pour lutter contre le mariage des enfants et les grossesses précoces, le Sénégal peut réduire le nombre de grossesses précoces, libérer le potentiel de sa jeune population et donner à ces filles l'avenir qu'elles méritent.
Cet article a été réalisé par Ndeye Fatou Touré dans le cadre de l’Africa Women’s Journalism Project (AWJP) avec le soutien du Centre International des Journalistes (ICFJ) dans le cadre de la Bourse Reportage pour les Journalistes Femmes en Afrique Francophon.
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