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Archives Foccart: la France et le coup d’Etat de Bokassa

Il y a cinquante ans, un nouveau pouvoir s’installait en Centrafrique : celui de Jean-Bedel Bokassa, le colonel putschiste qui venait de renverser David Dacko lors du coup d’Etat de la Saint-Sylvestre. Cinquante ans plus tard, de nombreux points d’interrogation persistent sur l’attitude de la France avant, pendant et après ce coup d’Etat. Les archives de Jacques Foccart, conseiller du général De Gaulle pour les Affaires africaines, fournissent quelques réponses. RFI a pu consulter aux archives nationales des documents devenus disponibles depuis le 1er janvier dernier. Certains sont des inédits.



1er janvier 1966. Bangui émerge à peine de la soirée de réveillon. Une voix s’échappe de postes de radio grésillant. « Centrafricains, Centrafricaines, depuis ce matin à 3h20, votre armée a pris le pouvoir de l’Etat. » Cette voix, c’est celle de Jean-Bedel Bokassa, le chef d’état-major de l’armée centrafricaine. Devenu le nouvel homme fort de Bangui. « Le gouvernement Dacko est démissionnaire. L’heure de la justice a sonné. La bourgeoisie de la classe privilégiée est abolie. Une ère nouvelle d’égalité entre tous est instaurée. Tous les accords avec les pays étrangers seront respectés. »

Les événements se sont précipités dans la soirée du 31 et dans la nuit. Bokassa, à la tête d’une colonne motorisée de quelque 300 hommes et trois auto-mitrailleuses Ferret s’est emparé du bâtiment des postes et télécommunications et de la radio-diffusion. Puis il a bloqué les accès à la présidence. D’autres militaires sont entrés dans les villas où résident les principaux responsables du régime et ont procédé à des arrestations. Le chef de la gendarmerie, le commandant Izamo a été brutalement arrêté par les putschistes. David Dacko, le président, a été capturé et a dû signer, sous la dictée du capitaine Alexandre Banza, une lettre par laquelle il a remis ses pouvoirs à Bokassa. Des camions et des fûts ont été dressés sur la piste de l’aéroport pour empêcher toute intervention française depuis Fort-Lamy, au Tchad. La piste a été occupée par des soldats.

Un barrage a également été dressé en ville, un Français a été tué en essayant de le forcer. En se rendant à l’hôpital en pleine nuit, pour obtenir des informations à son sujet, le colonel Mehay, l’attaché militaire de l’ambassade de France à Bangui, croise Bokassa qui lui raconte le coup. Les informations qu’il collecte sont transmises à Paris. Elles figurent dans un télégramme diplomatique dont Jacques Foccart, conseiller Afrique du général de Gaulle obtient copie. « Le colonel Bokassa s’est jeté avec effusion dans les bras du colonel Mehay, dit le document, et lui a confirmé qu’il venait de prendre le pouvoir, seule solution, selon lui, pour remettre de l’ordre dans l’Etat. Interrogé sur le sort réservé au président Dacko, il a déclaré que celui-ci s’était rendu à lui, sans résistance, au palais et lui avait signé un document lui remettant tous ses pouvoirs. » Bokassa assure qu’il ne sera fait aucun mal au président Dacko. Que celui-ci a été conduit au camp de Roux -à son domicile personnel- et qu’il le prend sous sa protection. Pour bien marquer ses bonnes intentions vis-à-vis de la France, l’officier putschiste se propose « de donner 48 heures à l’ambassade de la Chine populaire pour quitter le RCA ».

Pourquoi Bokassa s’est-il emparé du pouvoir en cette nuit de la Saint-Sylvestre ? Le colonel donne très vite sa version des faits. « Etant donné la cherté de vie, déclare-t-il au micro d’un journaliste, étant donné la faible situation financière du budget centrafricain, les peuples (sic) à l’unanimité ont manifesté leur mécontentement. Et le chef d’état-major, le colonel Jean-Bedel Bokassa, a été sollicité par plusieurs centaines de milliers de ces peuples afin de prendre la direction des affaires du pays. » Cette version d’un renversement du pouvoir voulu par le peuple, face à un Etat corrompu, n’est qu’une mise en scène politique. Elle comporte pourtant une part de vérité. Le pouvoir centrafricain a été conduit à sa propre implosion.


Un rapprochement secret avec Pékin

En 1964, les finances de l’Etat centrafricain sont au plus mal. Le président Dacko annonce à chaque ministre un plafond de dépenses indépassable.

Pour tenter de renflouer les caisses, les autorités de Bangui ont négocié, dans le plus grand secret, un rapprochement avec Pékin. Le 29 septembre 1964, à l’occasion de la signature d’accords de coopération sino-centrafricains, le vice-ministre chinois du Commerce extérieur Lu Nsu Chang annonce l’établissement prochain de relations diplomatiques. Un communiqué commun sur l’établissement de relations diplomatiques entre les deux pays sera publié incessamment. Les autorités françaises tombent des nues. Le télégramme diplomatique qui est envoyé par l’ambassade de Bangui dès le 29 rend compte de cette surprise. « Cette évolution dans l’attitude de la RCA avait été soigneusement tenue secrète, dit le texte, et rien n’avait filtré dans l’entourage des conseillers du président. Celui-ci paraissait n’avoir pas fait son siège dans cette affaire ces tout derniers jours encore, et semble ne s’être décidé que très tardivement sous la pression de ses habiles partenaires qui ont dû faire miroiter à ses yeux les avantages d’une importante assistance financière. » C’est en tout cas un Dacko lyrique qui s’exprime lors de la cérémonie. Selon lui, les accords sino-centrafricains sont la preuve que les deux pays sont sortis de l’époque des dominations étrangères, pour affirmer leur souveraineté nationale et internationale.

Le 12 octobre 1964, le journal Le Monde note qu’en République centrafricaine, les diplomates chinois « ont obtenu des résultats dont la portée psychologique sera considérable dans toute l’Afrique noire d’expression française. En promettant une aide économique à long terme, dont certains estiment un peu hâtivement sans doute qu’elle pourrait relayer celle de la France, ils ont obtenu une reconnaissance que rien ne leur permettait jusque-là d’espérer ». Dacko, en effet, était considéré comme « l’un des leaders francophones les plus engagés dans le groupe dit "réformiste", fondamentalement hostile au communisme ».

Le président centrafricain a agi en toute discrétion. Il tiendra pourtant à expliquer son geste aux autorités françaises, lors d’un entretien avec un officier français qui a lieu ce même 12 octobre. RFI a pu consulter le compte-rendu de cette discussion. David Dacko explique qu’« en reconnaissant le gouvernement de Pékin, il avait donné satisfaction aux aspirations des éléments jeunes de son entourage (Jenca) [Jeunesse Nationale Centrafricaine, le mouvement de jeunes du MESAN, Ndlr], et permis à son pays d’apparaître moins "dépendant". » L’officier qui rencontre Dacko « a retiré de son entretien le sentiment que les nouveaux développements de la politique centrafricaine ne semblaient pas réduire l’attachement de ce pays à la France ni laisser présager quelque désaffection. »

Source: Rfi.fr

Archives Foccart: la France et le coup d’Etat de Bokassa


Dimanche 28 Février 2016 - 00:12


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