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La situation au Kenya après la victoire du nouveau président Uhuru Kenyatta

Au Kenya, après l'annonce des résultats de la présidentielle, on craignait une explosion de violence, comme il y a cinq ans. Heureusement, elle n'a pas eu lieu. Du moins pour l'instant. Pourquoi ce changement d'attitude ? Christian Thibon est chercheur à l'IFRA, l'Institut français de recherches en Afrique, basé à Nairobi. Il répond aux questions de RFI.



Uhuru Kenyatta exhibant le certificat de la Commission électorale qui officialise sa victoire à l'élection présidentielle. REUTERS/Noor Khamis
Uhuru Kenyatta exhibant le certificat de la Commission électorale qui officialise sa victoire à l'élection présidentielle. REUTERS/Noor Khamis
Christian Thibon : La victoire n’était pas prévue, mais elle était prévisible. C’est-à-dire qu’il a mené une campagne politique assez à droite. Il a su très bien utiliser les médias, et surtout les deux débats télévisés. Et enfin, il a su particulièrement bien retourner la situation qui lui était déjà avantageuse, en se présentant comme une victime de la communauté internationale, auprès de l’opinion publique kenyane.
Voulez-vous dire qu’il a retourné en sa faveur l’inculpation de la Cour pénale internationale contre lui ?
Oui, en partie. Une partie de l’opinion – et ceci les sondages de l’opinion le signalaient bien – n’était pas favorable à son passage au tribunal de La Haye, tout simplement parce qu’il y a eu là un réflexe, d’abord communautaire de défense, et ensuite de fierté nationale.
Il y a eu une sorte de réflexe anti-colonial ?
Réflexe anti-blanc, anti-occidental, oui, en partie. Un réflexe qui était basé aussi sur le fait que durant toute sa campagne, la démarche de Uhuru Kenyatta était quasiment religieuse. C'est-à-dire qu’il a régulièrement – au sein des différentes communautés qu’il visitait – demandé un pardon. Il y a eu une démarche rédemptrice. Et donc, aux yeux d’une certaine opinion publique kenyane, le pardon était déjà acquis.
Mais lors de la crise d’après la présidentielle de 2007, il a quand même été soupçonné d’avoir loué les services d’un gang criminel ! Il y a eu plus de 1 000 morts à l’issue de cette crise !
Oui. Mais tous les acteurs politiques, présents actuellement au Kenya, ont participé à la crise de 2007. Que ce soit le président Kibaki, que ce soit le Premier ministre Odinga, que ce soit le vice-Premier ministre Uhuru Kenyatta.
La question qui se pose, elle est tout de même importante, c’est que pour sortir de la crise, la communauté internationale a trouvé une solution de compromis, et a donc requalifié la plupart des acteurs politiques qui s’étaient disqualifiés en 2007.
C’est toute la contradiction entre justice et paix ?
C’est toute la contradiction entre justice et paix. C’est toute la contradiction aussi, entre ce qui a été habilement rappelé par les candidats élus entre la justice des juges et la justice du peuple.
Uhuru Kenyatta appartient à la communauté Kikuyu. C’est la plus importante du pays. Est-ce que cela a été déterminant ?
Oui, ça été déterminant. Il a réalisé le ticket ethnique le plus performant en terme démographique. Mais il est allé au-delà de cette alliance ethnique. C'est-à-dire il a gagné des voix dans les régions, dans les îles, au sein des populations qui n’étaient pas des populations de son ethnie ou de son alliance ethnique.
Effectivement, cette victoire repose sur l’adhésion des populations kikuyu à sa candidature, mais il a su – parce qu’il n’aurait pas eu la majorité – gagner au-delà de ce ticket ethnique.
Il est le fils de Jomo Kenyatta, le père de l’Indépendance. Est-ce qu’il a hérité de la fortune de son père ?
Ah oui ! Il a hérité de la fortune de son père ! C’est l’une des principales fortunes de l’Afrique. Donc, comme l’a dit Raila Odinga lors du débat télévisé, c’est un héritier innocent. C’est-à-dire qu’il va hériter de tous les problèmes soulevés par l’accumulation de cette fortune.
Alors justement, comme beaucoup d’autres notables kikuyu, sa famille possède beaucoup de terres. Est-ce que sa victoire ne renvoie pas aux calendes grecques, la réforme foncière ?
Effectivement, la question foncière va réapparaître. Ce n’est pas une question facile, ni pour Uhuru, ni pour les autres, puisque tous les acteurs politiques kenyans ont su utiliser le pouvoir politique pour accumuler des patrimoines privés.
Donc, c’est une question vitale au Kenya, comme ailleurs en Afrique, puisqu’il faut sécuriser les biens. Et en fin de compte, les problèmes des patrimoines privés des hommes politiques sont peut-être un élément de blocage, mais ils ne sont pas les seuls.
Raila Odinga, le vaincu, choisit le recours devant les tribunaux. Pourquoi ne fait-il pas appel à la rue comme il y a cinq ans ?
D’abord parce qu’il ne veut pas, et il l’a dit clairement. Et ensuite, parce que -peut-être- il ne le peut plus. C’est-à-dire qu’une partie de l’opinion publique kenyane a tiré des leçons des événements de 2007-2008, et ne veut pas se mobiliser. Je pense qu’il y a eu une prise de conscience fortement appuyée par la société civile, par les églises, qui tout compte fait, portent le fruit à l’heure actuelle. Ses campagnes ont su utiliser considérablement les nouveaux médias, le choc des images, le poids des mots, dans la prise de conscience collective.
Est-ce qu’il y a eu des pressions de Londres ou de Washington, pour que Raila Odinga n’appelle pas ses partisans à manifester dans les bidonvilles de Nairobi, par exemple ?
Je ne sais pas. Moi, ce que je sais, c’est que les populations dans les bidonvilles de Nairobi disaient : « On n’est pas prêts à se soulever pour regagner nos votes ». Donc, il y avait là une leçon qui avait été tirée des événements de 2008.
Ça a été trop violent ? Il y a eu trop de morts en 2008 ?
Ce n’est pas qu’une histoire de violence et de total de morts. C’est qu’au Kenya, cet événement est devenu un véritable traumatisme. Les gens en ont parlé et au lieu de cacher ce qui a été dit, les gens en ont parlé. Et il y a eu un phénomène de prise de conscience, une sorte de choc traumatique, mais qui a agi plutôt dans le bon sens.
Il y a un paradoxe, là, qui est assez étonnant. C’est que d’un côté, il y a un ressentiment ethnique qui est très fort, qui fait que les votes sont bloqués, avec des pourcentages de votes ethniques dans certains districts qui sont de 90-95 %. Mais par ailleurs, les gens au niveau des élections locales, des élections de gouverneurs, ont des comportements qui sont beaucoup plus indépendants. On joue sur des réflexes ethniques, mais on joue également sur des comportements modernes.
Raila Odinga a-t-il une chance que l’élection de son adversaire soit annulée par la Cour suprême ?
Là, il faudra attendre le dossier. Ce qui est un élément positif, c’est qu’il y a des juges qui sont indépendants. Il y a eu tout de même une tradition au Kenya d'indépendance de la justice, malgré les événements de 2007-2008, et dans ce cas précis, on a affaire à une Cour suprême où on a des individus de poids qui sont respectés.
Source RFI


Mardi 12 Mars 2013 - 12:44


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