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Le 15 août 1947, tel le phénix, l’Inde millénaire renaissait de ses cendres

Il y a 75 ans, l’Inde britannique s’émancipait de plusieurs siècles de domination coloniale et renaissait au monde. Le prix de la liberté avait été la partition du pays en deux ensembles : une Inde multiconfessionnelle à majorité hindoue et un État musulman baptisé Pakistan. L’Inde était certes divisée, mais maîtresse de son destin. Retour en cinq questions sur les siècles de servitude coloniale, la montée du nationalisme en Inde et les circonstances de son accession à l’indépendance.



Le 23 juin 1757, la bataille opposa, dans les mangueraies de la paisible campagne bengalie, les soldats du nawab Siraj-ud-Doulah aux mercenaires britanniques. Avant le coucher du soleil, l’affaire était pliée, avec les généraux de l’armée du nawab s’apprêtant à trahir leur maître pour pactiser avec l’ennemi. Il faudra toutefois attendre la victoire anglaise à Buxar (1764) pour que toute la région stratégique de la plaine gangétique, composée des riches provinces du Bengale, Bihar et Orissa, passe aux mains de la Compagnie anglaise des Indes orientales.
 
Débarquée en Inde à l’aube du XVIIe siècle pour faire du commerce des épices et de la soie, l’East India Company a joué un rôle déterminant dans la colonisation de l’Inde. Sa politique d’expansion musclée, basée sur une succession d’alliances princières, de batailles et d’annexions de territoires, a fini par transformer l’entreprise purement commerciale de la compagnie en une véritable aventure impérialiste, avec quasiment l’ensemble du sous-continent se retrouvant directement ou indirectement sous sa tutelle dès le milieu du XIXe siècle.
 
Or, comme on peut l’imaginer, cette expansion brutale ne fit pas que des heureux. En 1857, éclata une très grande révolte déclenchée par la convergence de divers facteurs. Le mécontentement touche d’abord les soldats indiens de l’armée anglaise du Bengale, avant de s’étendre à d’autres garnisons et à d’autres couches de la société. Les révoltés voulaient rétablir l’empereur moghol marginalisé dans son fort rouge à Delhi. Passée dans l’histoire sous le nom de « la mutinerie des cipayes », cette révolte conduisit Londres à dissoudre l’East India Company. La couronne anglaise assumera désormais directement l’administration et le gouvernement de cette colonie. La reine Victoria devint l’impératrice des Indes, succédant à l’empereur moghol qui venait d’être destitué par l’Angleterre et exilé à Rangoon.
 
2 – Quelles sont les principales étapes de la montée du nationalisme indien ?
 
Longtemps perçue comme une simple mutinerie, la révolte de 1857 est considérée par les historiographes contemporains comme la première guerre d’indépendance indienne. L’historienne Arundhati Virmani rappelle dans son Atlas historique de l’Inde (Autrement, 2012), que c’était Karl Marx en personne qui avait souligné, dans un article paru dans le New-York Daily Tribune du 15 juillet 1857, que c’était « la première fois que les régiments des cipayes assassinent leurs officiers européens, que musulmans et hindous, renonçant à leurs antipathies mutuelles, s’unissent contre leurs maîtres ».
 
Or, ce que Marx ne raconte pas, c'est que les représailles du pouvoir furent terribles, faisant des milliers de morts parmi les rebelles, victimes d’atrocités diverses. Matée dans le sang, la révolte de 1857 dissuada pendant longtemps les Indiens de s’élever ouvertement contre la puissance occupante. Mais au début du XXe siècle, la paix fragile vola en éclats. Des attaques meurtrières frappent les officiels du gouvernement britannique, en signe de protestation contre la partition en 1905 du Bengale, la plus grande province de l’Inde, par le vice-roi lord Curzon. Le gouvernement finira par revenir sur sa décision.
 
La période est surtout marquée par la montée du parti du Congrès, fondé en 1885 par des notables et des intellectuels. C’est l’entrée en scène de Gandhi, en 1919, comme dirigeant du Congrès, qui va bouleverser la donne politique indienne. Gandhi renouvela la façon de faire la politique en mobilisant pour la première fois les masses populaires dans la lutte anticoloniale. Parallèlement, il mit en œuvre un programme de « combat pour la liberté » original, fondé d’une part sur des principes éthiques de non-violence et de fraternité transcendant classes, castes et communautés, et, d’autre part, sur des symboles puisés dans l’imaginaire quotidien et religieux indien, tels le rouet et les chants dévotionnels hindous. Son mode d’action qu’illustre notamment la « Marche du sel », qu’il entreprit en 1930 pour récolter du sel en défiance de la loi, ou ses exercices de jeûne, utilisés comme arme politique, déstabilisait ses interlocuteurs anglais.
 
Les différentes actions de désobéissance civile menées tout au long des décennies 1920, 1930 et 1940 par les dirigeants du Congrès, sous l’égide de Gandhi, ont donné une visibilité internationale à la lutte pour l’indépendance de l’Inde. Face à la force montante du nationalisme indien, l’Angleterre, affaiblie par la Seconde guerre mondiale, n’avait manifestement plus les moyens de poursuivre sa domination sur le joyau de son empire.
 
3 – Aurait-on pu éviter la tragédie de la Partition ?
 
La partition d’août 1947, avec 14 millions de réfugiés et un million de morts, fut effectivement l’une des grandes tragédies des temps modernes, qui a profondément marqué la mémoire collective indo-pakistanaise. Elle a été comparée à la Shoah.
 
Qui était responsable de cette tragédie ? Les Britanniques ? Au nom du sempiternel principe « diviser pour régner », ces derniers sont accusés d’avoir semé la zizanie entre hindous et musulmans pour les empêcher de s’unir. Le problème avec cette hypothèse est que les deux peuples en question n’ont pas attendu que les Anglais débarquent dans le sous-continent pour se faire la guerre.
 
Gandhi, pour sa part, ne voulait pas de la partition, qu’il avait qualifiée de « monstrueuse vivisection ». Il avait même appelé les dirigeants du Congrès à offrir la primature de l’Inde post-britannique à Jinnah plutôt que d’accepter un pays découpé, ce qui était, pour lui, un contre-sens historique absolu. Mais Gandhi n’était plus écouté, même par ses proches du Congrès qui, réunis à la va-vite à l'été 1947 par le vice-roi lord Mountbatten, donnèrent leur feu vert au projet de partition de l’Empire britannique, de peur de voir l’Inde plonger dans la plus atroce guerre civile que l’Asie ait jamais connue. La frontière entre le Pakistan et l’Inde fut tracée en sept semaines par l’équipe de l’avocat anglais Cyril Radcliffe, qui n’avait jamais mis les pieds auparavant en Inde. Les nouvelles frontières seront annoncées le 17 août, deux jours après la proclamation de la double indépendance.
 
L’historiographie de l’Asie du Sud a attribué la catastrophe de la partition à Muhammad Ali Jinnah qui, en tant que fondateur du Pakistan, a incarné la lutte sans relâche pour la concrétisation de cet objectif. Les récents travaux sur l’histoire de la partition de l’Inde ont permis de nuancer sa position, en rappelant que Jinnah était essentiellement un réformateur moderniste. Après avoir fait partie de l’équipe dirigeante du Congrès, il avait rejoint la Ligue musulmane. Il n’était pas particulièrement religieux puisqu’il était marié à une ismaélienne, mangeait du porc et buvait du whisky. Mais il partageait les inquiétudes de l’élite musulmane sur le futur statut des minorités religieuses dans une Inde indépendante et à majorité hindoue. Pour la Ligue musulmane de Jinnah, le Pakistan qu’elle voulait faire advenir n’était pas obligatoirement un pays indépendant, comme en atteste le feu vert donné par le Conseil exécutif du parti en 1946 au projet proposant une solution fédérale au sein d’une Inde unie. Ce projet fut rejeté par les chefs du Congrès, rendant la partition inéluctable.
 
4 – Comment la date du 15 août a-t-elle été décidée ?
 
Le cahier de charge du dernier vice-roi, l’amiral lord Mountbatten, nommé en mars 1947, était de conduire l’Empire britannique des Indes vers l’indépendance avant le 30 juin 1948. Avant de quitter Londres, l’amiral avait obtenu du Premier ministre Clément Attlee les pleins pouvoirs pour mener sa tâche à bien. En débarquant à Delhi, il se rend compte que le pays était au bord du gouffre et qu’il allait devoir accélérer le processus de passation des pouvoirs. L’indépendance était peut-être le sursaut dont l’Inde avait besoin pour ne pas plonger dans une nuit de massacres et de violences que laissaient craindre les tensions grandissantes entre hindous et musulmans.
 
C’est lors d’une conférence de presse qu’il proposa la date du 15 août, qui se trouve être aussi la date anniversaire de la reddition du Japon. Le 18 juillet, le Parlement britannique adopta à son tour le projet de loi baptisé « Indian Independence Bill », entérinant la date de l’indépendance.
 
L’Inde indépendante naît dans la nuit du 14-15 août 1947, à minuit, avec le célèbre discours de Nehru devant les parlementaires de l’assemblée constituante : « Il y a de nombreuses années, nous avons donné un rendez-vous au destin, et l’heure est venue de tenir notre promesse. Sur le coup de minuit, quand dormiront les hommes, l’Inde s’éveillera à la vie et à la liberté… »   
 
Gandhi est absent des célébrations parce qu’il ne voulait pas en faire partie. Le vieil homme, marginalisé dans son parti, estimait qu’il n’y avait rien à célébrer et que la partition était une « tragédie spirituelle » pour son pays. Il avait quitté New Delhi le 9 août pour se rendre à Calcutta, qui était régulièrement secouée depuis 1946 par des émeutes anti-musulmanes. Il passa le 15 août dans une maison dilapidée, au cœur d’un bidonville musulman. Il n’envoya aucun message officiel et se contenta de jeûner, comme il le faisait tous les 15 du mois.
 
Calcutta était paisible, mais la situation dans le bidonville se dégrada à la fin du mois d’août. Des émeutiers hindous attaquèrent la maison de Gandhi et demandèrent qu’on leur livre les musulmans qui y avaient trouvé refuge. « Le 2 septembre, le Mahatma décida un jeûne à mort jusqu’à ce que Calcutta ait retrouvé son bon sens », écrit Catherine Clément dans le beau livre qu’elle a consacré à Gandhi, athlète de la liberté (Découvertes/Gallimard, 1989).
 
Six mois après l'indépendance, le 30 janvier 1948, Gandhi était assassiné par un nationaliste hindou qui lui reprochait son attitude trop conciliante envers les musulmans.

RFI

Lundi 15 Août 2022 - 10:18


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