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Mamadou Lamine Sarr, enseignant-chercheur en sciences politiques à l'UNCHK, " cette situation est inédite et extraordinaire"

Mamadou Lamine Sarr, enseignant-chercheur en sciences politiques à l'université numérique Cheikh Hamidou Kane (UNCHK)et membre du collectif des universitaires pour la démocratie (CUD) n'est pas allé par le dos de la cuillère dans son analyse de la situation politique du pays. Pour l'enseignant-chercheur à l'état actuel des choses tout est dans une confusion totale. Entretien.



C’est inédit. C’est une situation que le pays n’a jamais connu. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui sont dans l’attente, dans l’expectative puisque c’est quelque chose qu’on ne connaissait pas. On est donc dans une situation très compliquée, très incertaine où on peine à voir  l’horizon qui va se dégager. Il y a des possibilités, des scénarii qu’on peut se faire mais personne ne peut dire aujourd’hui, exactement, ce qui va se passer, pourquoi et comment. C’est très complexe.
Et je pense qu’au sorti de tout cela. On peut se poser des  questions sur notre rapport avec le système politique. Notre rapport avec le  système présidentiel, notre rapport avec les institutions entre les institutions elles-mêmes,  je pense que tout cela doit être questionné après cet épisode, après que tout soit passé.  Et quand, il y aura un nouveau Président pour nous permettre de faire face aux véritables enjeux.

Vous avez parlé de scénarii. Quels scénarii faudra-t-il envisager pour mieux appréhender la suite ?

Un scénario qu’on peut imaginer, le président de la République va saisir le Conseil constitutionnel qui dira ne pas être concerné par le rapport du dialogue. Tout en disant que nous sommes l’instance suprême en matière d’organisation électorale. Il y a des choses qui sont nos prérogatives et donc que la date du 02 juin ne soit pas acceptée par le Conseil constitutionnel. Qui peut demander à nouveau au Président de prendre ses engagements et de fixer une date. C’est un scénario tout à fait possible.
Un autre scénario possible c’est le fait, comme on n’est pas dans un cas de vacance de pouvoir, on peut s’attendre qu’avant le 02 avril Macky Sall démissionne. Il ne faut pas exclure ça. Dès que survient ce scénario, on est dans le cadre de vacance du pouvoir. Donc ce qui est prévu par la Constitution est clair, il y aura un remplaçant qui va organiser l’élection selon un délai de 90 jours, au plus tard. Si je ne me trompe.
L’autre scénario qui est probable : est que le Conseil constitutionnel dise au Président de prendre une date et ça va chambouler la campagne électorale s’il y a deux tours ça va également tout chambouler.
Un dernier et quatrième scénario à mon avis, ce serait effectivement que le Conseil constitutionnel dise au Président nous avions demandé de fixer une date. Vous ne l’avez pas fait, nous sommes dans un cas particulier donc nous fixons la date. C’est quelque chose qu’il ne faut pas exclure à 200%. Ce sont des scénarii possibles et là je m’appuie sur mes collègues juristes. Les élections législatives de 2017, nous ont beaucoup appris des choses sur lesquelles le Conseil constitutionnel peu agir ou pas.

Dans le cas présent, l’on est suspendu au verdict du Conseil constitutionnel. Macky Sall va quitter le pouvoir le 02 avril
lui-même l’a encore dit. Mais l’on est, tout de même, dans une incertitude ?


Si c’était un report d’élection parce qu’il y a eu des cas de fraudes, un décès d’un candidat ou bien que le Président a démissionné. Ces cas de figures sont précisés par la Constitution. Mais cette situation que nous vivons, elle est extraordinaire et inédite. Nous ne l’avons jamais connu et ce n’est pas quelque chose de prévu. Nous ne sommes pas préparés à ça. Donc, toute décision que le Conseil constitutionnel va prendre sera sous forme de jurisprudence. C’est quelque chose qui n’est pas prévu dans la Constitution.

Donc, la jurisprudence sera dépourvue de tout argument juridique ?

Dans le règlement de la situation on peut avoir des arguments juridiques, bien évidemment, c’est la situation qui le fait. Mais la situation en elle-même, elle n’est pas juridiquement posée. Nous avons eu un seul cas dans l’histoire politique du Sénégal où un Président a démissionné ou a arrêté d’être Président : c’est Senghor. Ce cas de figure était prévu par la Constitution. C’est-à-dire, il quitte le pouvoir dans ce cas il est remplacé par son Premier ministre. Et le Premier ministre à l’époque c’était Abdou Diouf. Ce dernier l’a remplacé. Et l’Etat a continué. Mais là, c’est une chose qui n’est pas prévue dans la Constitution. Le report de l’élection présidentielle ne se décrète pas comme ça. Le Conseil et le Président détermineront la suite.

Pensez-vous que le dialogue national a tenu ses promesses ?

Je ne pense pas très sincèrement. Parce que dès le départ, il y a eu un souci avec le dialogue. Vous ne pouvez pas dialoguer de questions qui ont d’abord déjà été réglés, des questions sur lesquelles on ne vous demande pas de dialoguer, surtout vous ne pouvez pas dialoguer sans la présence des principaux acteurs. On a parlé au dialogue de quelque chose qui a déjà été fixé, à mon avis, par le Conseil constitutionnel. Qui a dit au Président le 15 février passé »vous fixer la date de l’élection dans les meilleurs délais en rappelant que le mandat du président de la République s’arrête le 02 avril ». Ça veut dire que le Conseil constitutionnel laisse la prérogative au Président pour organiser une élection d’ici le 02 avril. Le message est très clair. Maintenant les gens voulaient que le Conseil précise la date. Le Conseil n’a pas à le dire. Le Conseil a parlé au Président qui est quand même une institution qui mérite un certain respect quel que soit nos appartenances et autres. C’est le premier point.
Le deuxième point est cette fameuse loi d’amnistie sortie de ce dialogue. Là, également c’est une problématique avant de parler d’une loi d’amnistie. Il faut qu’on sache réellement les tenants et les aboutissants. Qu’est-ce qui s’est passé ? Qui ont été les principaux acteurs, le pourquoi et comment ? Et là, ensuite on peut parler d’amnistie. C’est vrai que le pays a besoin de se reconstruire et cette reconstruction passe indubitablement par une justice également. Il y a des choses qui se sont passés qu’on ne peut pas balayer d’un revers de la main.

La loi d’amnistie semble être la dérobade pour apaiser la tension politique et le président de la République l’a indiqué lors de son discours d’ouverture du dialogue national. Cette loi suscite des interrogations et se heurte à des critiques. Dès lors, on pourrait s’interroger sur sa pertinence ?

C’est une question que l’on peut poser. Parce que vue la vitesse que cette loi a été proposée, adoptée en conseil des ministres et proposée au parlement etc. Il y a des choses à mon avis extrêmement graves qui sont passées dans ce pays depuis 2021. Elles (ces choses) méritent que la lumière soit faite. Si la lumière sur ces affaires-là sont faites et que les institutions, les acteurs décident de cette amnistie. C’est parfait.
A mon avis, il y a des gens qui jusqu’à la fin de leur vie vont avoir ce traumatisme. Il y a des jeunes, des personnes âgées, des journalistes etc. qui ont été marqués. Il y a eu même probablement par les forces de défense et de sécurité qui ont subi des choses graves. On ne le dit pas mais ça peut arriver. Les agents des FDS peuvent souffrir de ces évènements. Car ils sont à la fois les éléments qui doivent rassurer les populations mais également maintenir l’ordre. Donc, certainement parmi eux, il y a des gens qui ont vécu des choses. Tout cela doit à mon avis être discuté. On ne peut pas amnistier, à mon avis des choses dont n’a pas encore tous les éléments et dont les premiers éléments sont en train de sortir.
Vous-voyez les premiers témoignages qui apparaissent sur les réseaux sociaux. C’est déchirant. Et on ne peut pas entant que juriste, politologue, sociologue et même acteurs politiques passer tout sous silence. Donc, il faut laisser le temps s’en occuper et le prochain Président se chargera de réconcilier les sénégalais.

Cette loi d’amnistie profite-t-elle à Sonko et Diomaye ?

Ce qui est sûr d’après le gouvernement la loi d’amnistie concerne les évènements de mars 2021 et de juin 2023. Donc, ça veut dire que les Sonko et Diomaye, surtout le cas n’en fait pas partie. C’est toute une incertitude avec l’ex-candidat Ousmane Sonko. Les Sénégalais attendent pas mal d’information à ce sujet. On ne peut pas tout dire mais il y a des questions sur lesquelles les gens aimeraient être édifiés. A mon avis, la sortie de Diomaye, Ousmane Sonko ou d’autres personnes ce n’est pas une chose qu’on décide du jour au lendemain. Ce serait même manquer de respect à la justice et aux Sénégalais. Donc on a emprisonné Ousmane Sonko à tort ou à raison.
Personnellement, je pense que c’est quelque chose qu’on ne devait pas faire. C’est un avis personnel. Ce qui a contribué à envenimer les relations dans le pays. Si on doit le libérer sous quelle condition ? Comment ? Pour quel avenir ? J’entends aussi parler de son possible participation à l’élection. Ce qui est impossible pour le moment. Le Conseil constitutionnel est très clair on reste avec les candidats qui ont été sélectionnés et lui, il l’a pas été. Toutes ces questions-là même nous chercheurs nous n’avons pas les réponses.
Comme je l’ai dit tout à l’heure c’est une situation inédite. Moi, je n’aurais jamais imaginé qu’on allait vivre ça. J’entends les gens dire dans les commentaires force reste à la loi. Mais, moi je dis que force reste au peuple. C’est seul le peuple qui a le dernier mot.

Babou Diallo

Mercredi 6 Mars 2024 - 13:22


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