Connectez-vous S'inscrire
PRESSAFRIK.COM , L'info dans toute sa diversité (Liberté - Professionnalisme - Crédibilité)

Session extraordinaire de l'A.N : Voici le rapport de l'intercommission sur le projet de loi portant création de l'Ofnac

La première session extraordinaire de l'Assemblée nationale a été marquée par l'examen du projet de loi portant la création de l'Office national de lutte contre la Corruption (OFNAC). Ce projet, présenté par le ministre de la Justice, Ousmane Diagne, vise à renforcer le dispositif sénégalais de lutte contre ce fléau, conformément aux engagements internationaux du pays. PressAfrik vous livre in extenso le document.



Mes chers collègues

L’intercommission constituée par la Commission des Lois, de la Décentralisation, du Travail et des Droits humains et la Commission des Finances et du Contrôle budgétaire s’est réunie le jeudi 21 août2025, sous la présidence de Monsieur Abdoulaye TALL, Président de la Commission des Lois, de la Décentralisation, du Travail et des Droits humains, à l’effet d’examiner le projet de loi n°12/2025 portant création de l’Office national de lutte contre la Corruption.
 
Le Gouvernement était représenté par Monsieur Ousmane DIAGNE, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, assisté de ses principaux collaborateurs.
 
Ouvrant la séance, Monsieur le Président a d’abord, au nom de l’intercommission, souhaité la bienvenue à Monsieur le Ministre ainsi qu’à ses collaborateurs. Il lui a, ensuite, adressé ses félicitations et vœux de succès dans l’accomplissement de ses missions, avant de lui donner la parole pour la présentation de l’exposé des motifs sous-tendant ledit projet de loi.
 
Relativement à l’exposé des motifs, Monsieur le Ministre a indiqué que la corruption constitue un frein à la croissance économique et décourage l’investissement national et étranger. Elle réduit les ressources nécessaires au développement et menace les fondements mêmes de l’État de droit.
 
Au demeurant, dira-t-il, le Sénégal s’est résolument engagé dans la lutte contre la corruption en ratifiant la Convention des Nations Unies contre la corruption, adoptée à Mérida (Mexique) le 31 octobre 2003 ainsi que la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, adoptée à Maputo (Mozambique) le 11 juillet 2003.

Monsieur le Ministre a, en outre, rappelé que le Sénégal est également signataire du Protocole additionnel de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur la démocratie et la bonne gouvernance, adopté à Dakar le 21 décembre 2001, ainsi que d’autres instruments internationaux en lien avec la lutte contre la criminalité économique et financière.
 
Pour transposer dans son droit interne les normes internationales de prévention et de lutte contre la corruption, Monsieur le Ministre a informé que l’État a érigé la bonne gouvernance et la transparence en principes à valeur constitutionnelle et en a tiré les conséquences sur le plan de la réorganisation institutionnelle.
 
À la faveur, soulignera-t-il, de la rationalisation des institutions, des innovations structurelles dans la lutte contre la corruption ont été apportées. Parmi celles-ci, figurent :
  • la dissolution de l’Office national de Lutte contre la Fraude et la Corruption et son remplacement par un autre organe doté du même acronyme (OFNAC) ;
  • l’exclusion des missions d’audit et de lutte contre la fraude dans les attributions de l’OFNAC. La fraude, en tant qu’infraction autonome, n’est pas consacrée dans le dispositif répressif. Au surplus, la fraude fiscale, douanière ou bancaire relève respectivement des administrations fiscale, douanière et bancaire. Les missions d’audit sont dévolues principalement aux organes de contrôle notamment la Cour des Comptes et l’Inspection générale d’Etat (IGE). Toutefois, l’OFNAC peut, dans le cadre de ses investigations, requérir le concours des experts agréés ;
  • la systématisation de la procédure d’appel à candidature pour la nomination de tous les membres de l’OFNAC ;
  • la suppression de certaines dispositions de la loi n° 2024-06 du 09 février 2024 qui remettent en cause des principes juridiques fondamentaux de la procédure pénale et de la séparation des pouvoirs, la garde à vue notamment. Ainsi, l’OFNAC ne pourra plus empiéter sur les compétences des organes habilités à ordonner une garde à vue ;
  • la libre publication des rapports des corps et institutions de contrôle, de vérification et d’inspection ;
  • la révision des conditions d’assujettissement à la déclaration de patrimoine ;
  • la limitation à trois (3) ans de la durée du mandat de la moitié des premiers membres nommés en vue d’assurer la bonne continuité du service par la préservation de la mémoire de l’OFNAC au titre des dispositions transitoires.
Monsieur le Ministre a clos sa lecture de l’exposé des motifs en annonçant que toutes ces innovations nécessitent la mise en place d’un Office national de lutte contre la Corruption, en abrégé « OFNAC », qui entend traduire en actes, la nouvelle politique de redevabilité et de lutte contre la corruption.
 
Intervenant à leur tour, vos Commissaires ont adressé leurs félicitations et encouragements à Monsieur le Ministre, avant de faire part de leurs préoccupations et suggestions qui, pour l’essentiel, se résument aux points ci-après :

D’emblée, ils ont salué la pertinence des innovations introduites par le projet de loi, notamment en matière de gouvernance, de transparence et de renforcement de l’efficacité institutionnelle, lesquels constituent sans aucun doute une avancée notable dans la consolidation du dispositif national de prévention et de répression de la corruption.
 
Relativement à l’indépendance fonctionnelle de l’OFNAC, l’attention de Monsieur le Ministre a été attirée sur le fait que le point 1 de l’article 12 du texte prévoit que les membres de cet organe ne reçoivent d’instructions d’aucune autorité dans l’exercice de leurs fonctions. Or, cette disposition semble entrer  en contradiction avec le rattachement de l’OFNAC à la Présidence de la République.
 
Monsieur le Ministre a été également interpellé sur les dispositions de l’article 36, point 2, du projet de loi qui permettent à l’OFNAC la possibilité de prendre, dans le cadre de ses investigations, des mesures de gel administratif ou de saisie de biens, de fonds ou d’autres ressources. Une telle compétence, traditionnellement attribuée au pouvoir judiciaire, a suscité des réserves au regard du principe de séparation des pouvoirs.
 
Les débats ont également porté sur la nécessité de procéder à des ajustements d’ordre légistique pour renforcer la clarté du texte. À ce sujet, il a été suggéré d’intégrer explicitement la lutte contre la concussion dans le champ de compétences de l’OFNAC. Par ailleurs, vos Commissaires ont recommandé de revoir le libellé de l’alinéa 2 de l’article 38, en raison de la mention du « complément d’enquête », qui pourrait constituer un obstacle à l’obligation pour le Procureur de la République de saisir immédiatement le juge compétent après réception d’un rapport de l’OFNAC.
 
De même, il a été préconisé, relativement à l’abrogation des deux lois mentionnées à l’article 45, de viser la loi initiale du 28 décembre 2012 portant création de l’OFNAC, et non la loi modificative de 2024, conformément aux règles de légistique.
 
Sur les moyens de fonctionnement de l’OFNAC, vos Commissaires ont souligné que, pour remplir efficacement ses missions, l’Office devait bénéficier d’un renforcement substantiel de ses capacités opérationnelles, notamment par l’accroissement de ses ressources humaines et financières. Une institution chargée de la lutte contre la corruption ne peut prétendre à l’efficacité sans des moyens proportionnés à l’ampleur de ses responsabilités.
 
Toutefois, des réserves ont été exprimées sur les dons et legs dont l’OFNAC peut bénéficier, alors qu’en matière d’enrichissement illicite, les personnes poursuivies ne peuvent se prévaloir de tels apports pour justifier la licéité de leur patrimoine. Pour prévenir tout risque de conflit d’intérêts, il a été recommandé d’encadrer strictement cette faculté dans le décret d’application, à défaut de la supprimer.
 
Poursuivant leurs propos, ils ont abordé les modalités de gouvernance et de nomination des membres de l’OFNAC. En effet, si le projet de loi retient le principe d’un appel à candidatures suivi d’une nomination par décret, certains Commissaires ont estimé qu’il convenait de concilier cette exigence de transparence avec la nécessité de laisser au Chef de l’Etat une marge de manœuvre dans le choix des membres de l’Office. Dans cette perspective, il a été recommandé qu’au terme du processus de sélection, une liste restreinte de trois candidats pour la présidence de l’OFNAC soit transmise au Président de la République.
 
Ils ont, en outre, exprimé des réserves quant à la limitation à trois ans du mandat de la moitié des premiers membres de l’Office, mentionnée dans l’exposé des motifs, dans la mesure où ces derniers seront désignés en même temps.
 
D’autres préoccupations d’ordre technique ont également été soulevées ayant trait au suivi judiciaire des dossiers classés sans suite par l’OFNAC. À ce propos, il a été suggéré que, même en cas de classement par l’Office, ces dossiers soient systématiquement transmis au Procureur de la République, qui pourrait ainsi apprécier l’opportunité de poursuites. De plus, un risque de chevauchement a été relevé entre les dispositions des articles 37 et 38, notamment s’agissant du complément d’enquête et de la décision de classement.
 
Par ailleurs, des interrogations ont été formulées sur le sort des agents de l’OFNAC en cas de dissolution de l’organe, ainsi que sur celui de son Président actuel après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Vos Commissaires ont également souhaité l’élargissement des modes de saisine de l’Office, afin de permettre à toute personne ayant un intérêt à agir de porter à sa connaissance des faits susceptibles de constituer des actes de corruption ou des infractions connexes.
 
Parallèlement, ils ont souligné la nécessité de renforcer les mécanismes juridiques permettant au Sénégal de saisir les biens illicites dissimulés à l’étranger, notamment dans les pays avec lesquels il n’existe pas encore de conventions de coopération. De même, la question du contrôle des coffres bancaires et de l’identification des véritables propriétaires des avoirs a été jugée essentielle pour l’efficacité des investigations.
 
Relativement à l’exclusion des missions d’audit dans les attributions de l’OFNAC, Monsieur le Ministre a été invité à préciser les motifs de cette exclusion et à indiquer les structures désormais compétentes pour les exercer. D’autres interrogations ont porté sur la compatibilité entre le mandat des membres de l’Office et l’exercice d’autres fonctions, ainsi que sur les conditions d’audition des personnalités disposant d’un statut particulier, telles que les ministres, les députés ou les magistrats.
 
Enfin, vos Commissaires ont réaffirmé la pertinence de la réforme proposée qui constitue une avancée majeure par rapport au dispositif en vigueur. En corrigeant les empiètements sur les prérogatives du pouvoir judiciaire, en harmonisant les dispositions avec celles relatives au Pool judiciaire financier (PJF) et en consacrant le principe de transparence dans les procédures de nomination, ce texte renforce la crédibilité de l’organe de lutte contre la corruption et améliore l’image du Sénégal en matière de gouvernance, conformément aux standards communautaires et internationaux.
 
Reprenant la parole, Monsieur le Ministre s’est réjoui de la qualité et de la pertinence des interventions, qui témoignent de la vive préoccupation des Commissaires pour garantir l’accomplissement efficace des missions confiées à l’OFNAC, dans le strict respect de l’intérêt général. Il a, par la suite, apporté les éléments de réponse ci-après : 

Tout d’abord, concernant le rattachement de l’OFNAC à la Présidence de la République, il a rappelé que cet organe demeure indépendant, condition essentielle pour assurer l’efficacité de ses missions. Toutefois, il a précisé qu’il ne saurait constituer un « électron libre », ce qui justifie son rattachement institutionnel à la Présidence, afin de bénéficier d’une autorité suffisamment forte pour asseoir son action.
En ce qui concerne les pouvoirs de saisie attribués à l’OFNAC, Monsieur le Ministre a souligné qu’il s’agit exclusivement de mesures conservatoires. Celles-ci s’exercent dans le cadre des enquêtes menées par l’Office afin de prévenir les risques de dissimulation des biens d’origine suspecte. Il a précisé, à cet égard, que la confiscation définitive ne peut être prononcée que par une juridiction compétente.
 
Sur l’abrogation des deux lois mentionnées à l’article 45, il a soutenu que cette disposition procède d’un souci de clarté et de sécurité juridique, en évitant toute ambiguïté d’interprétation. C’est pourquoi, il a été jugé nécessaire d’abroger explicitement la loi portant création de l’OFNAC ainsi que celle qui l’a modifiée, a souligné Monsieur le Ministre.
 
Répondant à la question relative à l’audition des députés, ministres et magistrats, il a indiqué que toutes ces autorités peuvent être entendues, sous réserve du respect des textes spéciaux régissant leur statut. Il a rappelé, à ce propos, que toute personne assujettie à l’obligation de déclaration de patrimoine peut, dans le cadre des investigations de l’OFNAC, être convoquée à une audition.
 
Concernant la faculté offerte à l’OFNAC de classer un dossier sans suite à l’issue des investigations, Monsieur le Ministre a affirmé que cette décision constitue une mesure administrative et il est bien possible d’y revenir. D’ailleurs, dira-t-il, le Procureur de la République, lorsqu’il procède à un classement sans suite, conserve la possibilité de revenir sur sa décision. À cet égard, il a rappelé qu’en vertu de l’article 32 du Code de Procédure pénale, la réouverture d’une enquête reste toujours possible en cas de survenance de charges nouvelles.
 
Ainsi, Monsieur le Ministre a précisé que, si l’OFNAC estime, à l’issue de ses investigations, que les éléments recueillis ne suffisent pas à justifier la saisine du Procureur de la République, il lui revient, conformément à ses prérogatives, de classer le dossier sans suite. Ce mécanisme répond à l’exigence de respecter la présomption d’innocence.

Poursuivant son propos, Monsieur le Ministre a souligné que subordonner toutes les décisions de classement sans suite à l’appréciation du Procureur créerait non seulement une lourdeur ingérable mais conférerait, en outre, à ce dernier une autorité hiérarchique sur l’OFNAC, ce qui serait contraire à l’esprit de la réforme.
 
Réagissant à la mention « complément d’enquête » figurant à l’alinéa 2 de l’article 38, il a justifié son maintien en rappelant qu’une enquête, œuvre humaine par essence, peut comporter des insuffisances. Ainsi, si le Procureur de la République, saisi par l’OFNAC, constate que certains aspects du dossier nécessitent des approfondissements, il lui appartient, pour garantir la solidité des poursuites, d’ordonner un complément d’enquête.
 
Il a ajouté que ce pouvoir s’inscrit dans les prérogatives normales du Procureur, dont le rôle consiste notamment à apprécier l’opportunité des poursuites, sous réserve du principe de légalité de l’action publique. En toute hypothèse, a-t-il précisé, le Procureur demeure tenu de poursuivre même en cas de complément d’enquête.
 
S’agissant de la nomination des membres de l’OFNAC, Monsieur le Ministre a rappelé que, si la procédure d’appel à candidatures illustre une démarche de transparence, le pouvoir de nomination demeure discrétionnaire et appartient au Président de la République, conformément à ses prérogatives constitutionnelles. Par conséquent, il ne saurait être tenu par des choix qui lui paraîtraient douteux.
 
Evoquant la question de la concussion, il a précisé qu’elle se définit comme la perception d’une taxe indue et, à ce titre, relève bien des pratiques assimilées à la corruption, entrant ainsi dans le domaine de compétences de l’OFNAC.
 
Concernant les dons et legs pouvant être consentis à l’OFNAC, il a reconnu la légitimité des préoccupations exprimées. Il a, dans ce sens, estimé que les membres de l’Office, en raison de la haute responsabilité qui leur incombe, doivent faire preuve d’une éthique irréprochable et refuser toute proposition susceptible d’entacher leur indépendance. Toutefois, il a indiqué que certains organismes engagés dans la lutte contre la corruption peuvent, dans le strict respect de la loi et des principes éthiques, effectuer des dons destinés à renforcer les moyens d’action de l’OFNAC.
 
Sur la situation du personnel en cas de dissolution de l’OFNAC, il a fait savoir que les textes ont prévu des dispositions garantissant la préservation de leurs droits et intérêts, étant entendu qu’ils ne sont pas responsables des mutations institutionnelles qu’ils subissent.
 
Pour ce qui est de la possibilité pour les membres de l’OFNAC d’exercer d’autres fonctions, il a rappelé que la loi est explicite sur ce point et impose une stricte incompatibilité, à laquelle ils sont tenus de se conformer.
 
Enfin, réagissant à l’exclusion des audits dans les attributions de l’OFNAC, il a soutenu que cette exclusion est pertinente dans la mesure où l’Office dispose déjà d’importantes missions à accomplir. Il dira, en outre, que cette compétence est pleinement assumée par d’autres organes spécialisés tels que l’Inspection générale d’Etat, la Cour des Comptes et diverses structures compétentes.
 
Au moment du vote du projet de loi, et conformément aux dispositions du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, vos Commissaires ont examiné des projets et propositions d’amendements.
 
Les propositions d’amendements présentés par une de nos collègues ont été rejetées, tandis que les projets d’amendements présentés par le Gouvernement ont été adoptés et annexés au présent rapport. 
 
Satisfaits des réponses apportées par Monsieur le Ministre, vos Commissaires ont adopté, à la majorité, le projet de loi n°12/2025 portant création de l’Office national de lutte contre la Corruption. Ils vous demandent d’en faire autant, s’il ne soulève, de votre part, aucune objection majeure.
 


Lundi 25 Août 2025 - 15:16


div id="taboola-below-article-thumbnails">

Nouveau commentaire :
Facebook Twitter