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Exclusif 10 ans alternance- Abdoulaye Wade : « Un échec ? Je ne vois pas »

Il y a dix ans, jour pour jour, la vie politique sénégalaise connaissait le séisme de l’alternance, après 40 ans de règne des socialistes. Lors du 2e tour du scrutin présidentiel, les électeurs portaient au pouvoir l’opposant de toujours, Abdoulaye Wade, qui avait fait campagne sur le slogan du « Sopi », le « changement » en wolof, principale langue du pays. Dix ans plus tard, quel bilan Abdoulaye Wade fait-il de son action à la tête de l’Etat ? Le président sénégalais a reçu le correspondant de RFI à Dakar, Laurent Correau, pour cette interview exclusive.



Exclusif 10 ans alternance- Abdoulaye Wade : « Un échec ? Je ne vois pas »
RFI : Monsieur le Président, bonjour. 19 mars 2000-19 mars 2010. Est-ce que dix ans après votre élection, vous avez le sentiment que le « Sopi », le changement que vous appeliez de vos vœux, est intervenu ?

Abdoulaye Wade : Absolument. Le « Sopi » est arrivé. Tout a changé ici au Sénégal jusque dans les mentalités. Les mentalités ont changé. A une époque où les Sénégalais étaient frileux, anxieux. On dit qu’à un moment donné quand on demandait à un Sénégalais en Europe de quel pays tu es, il disait « Mali ». C’était un autre pays. Aujourd’hui ils sont très fiers.

Qu’est-ce que vous considérez comme vos principaux succès en dix ans ?

Moi, mon principal succès, c’est vraiment d’avoir réussi à faire accepter par les Sénégalais d’investir 40% du budget dans l’éducation parce que ce n’est pas évident. Quand moi, je mets des jalons pour gagner la bataille de demain, évidemment ce n’est pas visible. Je peux être critiqué. On me dit « vous faites des routes mais les routes ça ne se mange pas ». C’est vrai, ça ne se mange pas, mais ça peut être pire si on n’a pas de routes. Mes prédécesseurs faisaient de mauvaises routes et tous les ans, on est obligés de les refaire, dès qu’il y avait la moindre pluie. Maintenant, moi je fais des routes comme en Europe. Pendant vingt ans, trente ans, quarante ans, on n’y touche pas.

Donc vous diriez que vos principaux succès, ce sont les infrastructures et l’éducation ?

C’est l’agriculture aussi. La Goana (la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance), c’est une révolution au Sénégal. Vous savez que le Sénégal a toujours importé ce qu’il mangeait. C’était le pays le plus dépendant alimentairement de l’extérieur. Nous avons produit cette année 520 000 tonnes de riz sur les 600 000 de consommation nationale, c’est-à-dire que l’année prochaine et l’année suivante, au maximum, nous aurons réalisé notre autosuffisance alimentaire.

Qu’est-ce que vous considérez comme vos principaux échecs par ailleurs ?

Moi, je n’ai pas échoué. Il n’y aura pas de jour où j’ai échoué. Franchement, j’aimerais bien que vous me citiez un domaine et, à ce moment-là, je pourrais vous répondre : « un échec, je ne vois pas ».

Tout de même, la population a le sentiment que son niveau de vie s’est dégradé en dix ans. Qu’est-ce que vous lui répondez ?

Attendez, quand vous dites « la population », il faut savoir de quelle population vous parlez. Le pays comporte 70% de paysans. Allez demander aux paysans si la situation s’est dégradée. Au contraire ! Je ne dis pas qu’ils sont particulièrement heureux, ce n’est pas vrai, parce que leur situation est difficile. Mais la situation là-bas s’améliore.

Maintenant ici à Dakar, vous avez deux types de population pour simplifier. Vous avez les populations urbaines qui ont des salaires, mais ceux-là se plaignent. J’ai augmenté les salaires moi alors que sous le régime de Diouf, on a coupé les salaires. Maintenant, il y a la banlieue. Cette périphérie-là, logiquement, ce sont des gens qui devraient être mécontents surtout qu’ils ont été inondés : des pluies abondantes ont inondé les quartiers et les gens, jusqu’aujourd’hui encore, ils ont les pieds dans l’eau. Nous comptons sur l’armée française qui est là avec notre armée, avec les gros engins pour faire le grand travail qui a à faire. Je pense que jusqu’à présent, on a bricolé. Il y a de l’eau qui stagne, on amène des pompes. J’étais avec le directeur de l’urbanisme, nous avons regardé tout ça et nous avons un plan global qui va régler le problème de l’insalubrité à Dakar, le problème des inondations.

Monsieur le Président, beaucoup des alliés politiques que vous aviez au début de l’alternance, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, Moustapha Niasse, vous ont quitté pour passer dans l’opposition. Qui a trahi qui ?

C’est facile à comprendre. Moi je suis un libéral, un démocrate. C’est vrai avec ces gens-là, nous nous sommes battus pour arriver à l’alternance. Ils m’ont soutenu. Mais ils ne peuvent pas comprendre, c’est leur idéologie, qu’une fois que je suis élu, je suis le Président de la République. Moi, je ne fais pas de la direction collégiale, ce n’est pas possible. Et c’est ce qu’ils voudraient. C’est pourquoi je me suis rapidement séparé d’eux.

Au sujet de la Casamance, Monsieur le Président, on assiste à une reprise des incidents avec des éléments présumés du MFDC. Comment selon vous on peut aller à une paix définitive avec le Mouvement des forces démocratiques de Casamance ?

Je travaille à la paix nuit et jour. On avance et aujourd’hui, il y a en Casamance deux choses. Il y a certains indépendantistes qui sont des gens qui veulent la paix. César Atoute Badiate, qui vit à la frontière avec la Guinée Bissau, c’est le chef du MFDC qui se dévoile. L’autre chef, Salif Sadio, extrémiste, reclu dans un coin. Moi je suis en train de dialoguer avec le premier. Est-ce qu’il faut mieux continuer ce dialogue qui est difficile parce qu’il y a des aspects culturels ou alors prendre l’armée et raser tout ? Moi j’ai choisi le dialogue. Alors évidemment, de temps en temps, il y a des attaques sur les routes, c’est vrai. Mais c’est quoi ça ? Ce sont des indépendantistes qui ne veulent pas de la paix. Ils sont téléguidés de l’extérieur. D’autres, je le reconnais, étaient sortis du maquis, sont venus et nous ont dit « trouvez- nous du travail et nous on ne retourne plus dans le maquis ». Le gouvernement n’a pas réussi à s’en occuper. Il y a eu négligence et ces gens-là sont retournés dans le maquis. Et pour vivre, ils font des coups sur les routes.

Je vous disais tout à l’heure qu’il y avait les aspects culturels. Ces indépendantistes avaient prêté des serments dans la forêt. Et quand ils prêtent le serment dans la forêt, il faut les délier de leur serment par les mêmes procédures initiatiques. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui, je me suis adressé aux femmes et ces femmes sont en train de les délier de leur serment pour qu’ils sortent de là. Alors ce qu’il faut, je crois que ce qu’il faut, c’est s’armer de patience et discuter avec eux directement. Certains me disent « il faut réunir différentes factions pour discuter... ». Ca, les anciens nous ont appris à diviser pour régner et non pas réunir des ennemis pour discuter avec eux. Ca n’existe pas. Moi, je discute avec les gens qui sont au front, mais je ne suis pas prêt à les rassembler pour discuter. Il faut que cela soit très clair.

Donc des discussions isolées avec chacune des factions séparément ?


Actuellement, c’est ce que je suis en train de faire. Et maintenant il y a une branche radicale qui ne veut pas discuter, on verra bien. Il y a certaines personnes qui disent « nous sommes les cadres de la Casamance. Nous demandons que le dialogue passe par nous ». Je ne dialoguerai pas par vous. Mais des bons bourgeois ici, et parmi ceux-là, il y en a qui entretiennent la rébellion jusqu’au jour où on leur dira « venez nous aider » et à ce moment-là, ils nous diront « ah, c’est nous qui avons réalisé la paix ! ». On les connait.

RFI

Vendredi 19 Mars 2010 - 09:44


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