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Sékou Traoré au Fespaco: «À qui profitent les crimes en Afrique?»

Pas moins que 15 courts et longs métrages burkinabè sont programmés dans les différentes catégories du Festival panafricain de cinéma. Et c’est un film du Burkina Faso qui a fait l’ouverture professionnelle du 24e Fespaco à Ouagadougou le 1er mars. L’Œil du cyclone, du réalisateur burkinabè Sékou Traoré, raconte l’histoire croisée entre un rebelle et une belle. Un enfant soldat devenu chef de rebelles est accusé de crimes de guerre. C’est une avocate qui assure sa défense, souhaitant faire triompher la justice dans son pays corrompu. Le film le plus prometteur du premier jour a fait salle comble.



«L’œil du cyclone», de Sékou Traoré. Fespaco 2015
«L’œil du cyclone», de Sékou Traoré. Fespaco 2015

À l’écran défilent des rues et des villes de plusieurs pays africains comme le Cameroun et le Burkina Faso, mais on n'en saura pas plus sur le lieu où se déroule l’action du film. L’œil du cyclone de Sékou Traoré se trouve quelque part en Afrique et met en rotation les contradictions du continent qui ravagent jusqu’à aujourd’hui des régions entières à travers la corruption et la guerre.

Les enfants soldats restent des guerriers

Après la projection du film, chaque spectateur avait sa petite idée où se trouve l’œil du cyclone : « En Afrique, tout simplement, avance Abdul, parce que cela parle des enfants soldats, c’est en Afrique que cela se trouve plus particulièrement. Les enfants soldats restent toujours des guerriers si on ne les aide pas. » Pour Monique, « cela concerne beaucoup de pays sur le continent africain. Après, si on prend le film au deuxième ou troisième degré, on peut même l’étendre à l’Occident avec sa manière de voir les choses. Tout tourne autour du pouvoir et la domination ».

« Dans les conflits armés, on a toujours le regard porté sur ceux qui sont en première ligne, remarque Maurice, et ce sont souvent les plus influents qu’on oublie. » « Franchement, j’ai aimé le film, entonne Fatao du haut de ses 11 ans. L’œil du cyclone, c’est la vengeance du rebelle qui a été maltraité dans son enfance », analyse-t-il. Et de poursuivre : « Ce que j’ai aimé le plus dans le film, c’est quand maitre Emma Tou fait tout son possible pour défendre le rebelle. »

La Belle et le Rebelle

Les protagonistes sont incarnés avec aplomb et finesse. Fargass Assandé campe la force et la folie du guerrier traumatisé Blackshouam. Cet enfant soldat devenu capitaine rebelle vient d’être capturé par un commando de forces spéciales en vue d'être condamné à mort pour crimes de guerre avec un procès joué d’avance. C’est sans compter avec Emma Tou, interprétée avec fougue par Maïmouna N’Diaye. Cette jeune et belle avocate accepte d’assurer la défense du « monstre » pour faire triompher une certaine idée de la justice. Ce choc entre la belle et le rebelle nous rappelle aussi l’histoire éternelle de de La Belle et la Bête. « Il y a un peu de cela, admet Sékou Traoré, mais, en fait, ils ne sont pas si opposés que ça. Ils sont tous un peu humain, malgré tout, même la Bête. »

Heureusement, il s’agit beaucoup plus que d’un simple remake africain. L’intrigue est bien menée, le scénario intelligemment ficelé, l’histoire s’avère poignante et pertinente, dotée d’images fortes sur le plan émotionnel et esthétique. La question principale du film ? Sékou Traoré répond sans hésitation : « La justice et le problème des enfants soldats en Afrique et dans le monde. »

Entre bruit de bottes de soldats et salsa

Sékou Traoré nous expose en permanence à une tension entre deux mondes, entre deux visages de l’Afrique : entre bruits de bottes de soldats et salsa, entre d'un côté l’avocate élevée dans le luxe et qui se découvre une vocation pour la justice et la défense de victimes, et de l’autre côté le destin du rebelle qui pourrit dans sa cellule de haute sécurité, filmé dans une vraie prison burkinabè. Et presque naturellement vient s’imposer le thème de la collusion entre la politique et la corruption, entre l'Etat et la rebellion. Au-delà de tout trône la question gênante posée par l’avocate : « A qui profite les crimes en Afrique ? »

Dans le récit, l’œil du cyclone se retrouve à plusieurs endroits et à plusieurs époques : dans l’enfance du rebelle lorsqu’on avait tué son père et violé sa mère et qu'il s’est cherché un destin comme chef du Front national de libération. Il y a aussi le passé douloureux de l’avocate qui resurgit. Car le cyclone cinématographique de Sékou Traoré engloutit tout le monde et déclenche une tempête politique et sociétale : « Ils continuent la lutte, explique Sékou Traoré. Une seule personne ne peut pas faire aboutir cette justice. C’est pour cela qu’on transmet le flambeau pour que cela continue. C’est cela notre espoir. »

Une bombe à retardement

En attendant, le film nous rappelle qu’il existe 150 000 enfants soldats dans le monde. Une véritable bombe à retardement, selon le réalisateur qui prône le reconditionnement de ces victimes devenues bourreaux. Et le rôle du cinéma dans tout cela ? Il sert à reconditionner «les spectateurs, le public, les gouvernants et tous les décideurs politiques et sociaux. »

De l’espoir, Sékou Traoré en garde aussi pour le cinéma burkinabè et le cinéma africain en général : « Je pense que nous sommes dans une phase de renaissance, avec des nouveaux outils de production et avec une prise de conscience des gouvernements qui recommencent à remettre de l’argent dans le cinéma, remarque Traoré qui était aussi régisseur chez Abderrahmane Sissako pour Timbuktuet directeur de production chez Mahamet Salé Haroun pour Grigris etUn Homme qui crie. Après avoir compté sur tous les fonds européens, aujourd’hui tous ces fonds sont à sec et les gouvernements ont pris conscience que le cinéma est vraiment une industrie et un vrai produit culturel. Ensuite, comme il y a de plus en plus ce système de Nollywood, un peu partout en Afrique de l’Ouest, on va aboutir à une coexistence entre un cinéma à gros budget et des cinémas à petit budget. C’est pour cela que je parle d’une renaissance du cinéma africain. »

Quant à L’œil du cyclone, il a été financé par l’Union européenne, le Burkina Faso, l’ambassade de France au Burkina Faso et d’autres partenaires en France, au Cameroun et au Burkina. L’institution de crowdfunding KissKissBankBank se retrouve dans le générique, mais sans avoir changé la donne : « Cela a participé à la finition du film, mais pas beaucoup. »


Rfi.fr

Lundi 2 Mars 2015 - 13:32


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