Connectez-vous S'inscrire
PRESSAFRIK.COM , L'info dans toute sa diversité (Liberté - Professionnalisme - Crédibilité)

Comment l’Etat centrafricain maltraite ses serviteurs

D’André Kolingba à Catherine Samba-Panza, depuis 1981 l’Etat centrafricain a du mal à payer ses fonctionnaires en temps et en heure. Résultat, un dépérissement de la fonction publique qui est l’une des causes de l’effondrement du pays.



Les salaires des policiers et gendarmes centrafricains seront pris en charge par le Pnud et ceux des fonctionnaires par la Banque mondiale.
Les salaires des policiers et gendarmes centrafricains seront pris en charge par le Pnud et ceux des fonctionnaires par la Banque mondiale.

Cela participe du mythe nostalgique du paradis perdu. « Du temps de Bokassa les salaires des fonctionnaires étaient payés en temps et en heure », rappelle Pierre Siovène Lebrun, le secrétaire général adjoint de l’USTC, l’Union syndicale des travailleurs de Centrafrique. En vieux militaire qu’il était, l’Empereur imposait une discipline stricte à l’administration. « A l’époque, la RCA possédait encore des fleurons industriels, notamment des usines d’assemblage de motos et de véhicules utilitaires », se souvient l’ancien ministre Karim Meckassoua. Des entreprises qui assuraient à l’Etat des recettes fiscales conséquentes. A cela s’ajoutait un contrôle strict des ressources générées par les filières aurifères et diamantifères.

Des décennies de laxisme salarial

Lors de la prise de pouvoir du général André Kolingba, en 1991, « les choses ont continué quelques années sur le même mode », explique Pierre Siovène Lebrun. « Mais avec l’arrivée des premiers gouvernements civils, la situation s’est rapidement dégradée ». Résultat : lorsqu’André Kolingba quitte le pouvoir, il laisse onze mois d’arriérés de salaires. Son successeur, Ange Félix Patassé fera pire, avec 24 mois de salaires en attente. Enfin, entre 2003 et 2013, François Bozizé parviendra péniblement à éponger neuf mois de salaires non versés au début de son mandat. « A l’époque, nous avions compris qu’il fallait réagir vite et se battre pour obtenir nos salaires », résume Pierre Siovène Lebrun.

Le résultat de ces décennies de laxisme salarial est catastrophique. L’administration est inefficace, corrompue, les fonctionnaires pratiquent l’absentéisme à forte dose et les grèves se multiplient. Que s’est-il donc passé entre 1981 et 2013 pour l’Etat centrafricain soit à ce point incapable de protéger ses serviteurs ?

Le secrétaire général de l’Organisation des syndicats libres des secteurs public, parapublic et privé, Michel Loudégué voit une première raison à cette lente décrépitude : «Un tissu économique trop faible et qui ne permet pas à l’Etat de trouver des recettes ». Karim Meckassoua qui fut ministre de l’Economie et du plan se souvient qu’à la chute de Jean Bedel Bokassa, « les bases productives de l’Etat ont été détruites. A l’époque, la RCA accueillait des entreprises du secteur textile, une usine d’assemblage de télévision, une autre d’assemblage de vélomoteurs et de véhicules utilitaires. Ces grandes unités généraient des recettes qui permettaient à l’Etat de vivre et de payer ses recettes ».

Les régimes d’André Kolingba et celui d’Ange Félix Patassé ne parviennent pas à sauvegarder cette base industrielle. A cela s’ajoute une situation sécuritaire qui se dégrade dès 1996 avec une vague de mutineries et de troubles au sein de l’armée. « Les militaires en ont profité pour commencer à exiger toujours plus d’argent, affirme Karim Meckassoua, prétextant la nécessité de protéger l’Etat ». Parallèlement, Ange Félix Patassé a laissé se développer une gabegie à peine croyable. « Des chefs militaires inventaient de fausses missions, afin d’obtenir des bons d’essence qui se comptaient parfois en centaine de millions. Des hauts fonctionnaires restaient parfois trois mois en mission, doublant ou triplant ainsi leur salaire. Enfin, le président dépensait des sommes incroyables pour ses voyages à l’étranger, emmenant avec lui une véritable cour ».

Corruption généralisée

Alors que les recettes fondent, l’Etat continue de dépenser, voire de dilapider, et ce sont les fonctionnaires de base, les instituteurs, les magistrats, les agents territoriaux qui en font les frais. A cette gabegie généralisée s’ajoute la corruption. Un mal qui n’est pas propre à la RCA mais qui, dans un pays incapable de développer une base économique suffisante, prend rapidement des allures de catastrophe. « Dans les filières diamantifère et aurifère, les agents de l’Etat chargés de contrôler l’exploitation font souvent preuve d’indélicatesse », résume avec tact Michel Loudégué. De plus, les exploitants de diamant obtiennent régulièrement des exemptions fiscales, des passe-droits, échappant ainsi à l’impôt, ce qui, là aussi, amoindrit les recettes de l’Etat.

Pour sa part, Karim Meckassoua dénonce « un système de corruption généralisée au sein des régies financières de l’Etat ». Lorsqu’il était directeur de cabinet du ministre des Finances, il a mis à jour un vaste système de fraude généralisée, « opaque et efficace ». Au lieu d’avoir une caisse unique, logée à la Banque centrale et au Trésor afin d’y verser les recettes fiscales et douanières, « les ministères s’arrangeaient pour multiplier les comptes sur des banques privées. On ne pouvait plus savoir où partait l’argent ». Et lorsque certains gestionnaires rigoureux proposent d’informatiser le système de comptabilité nationale, « les départements sensibles comme les douanes s’ingénient à multiplier les logiciels, rendant ainsi le système inefficace », explique Karim Meckassoua.

Effondrement total de l'Etat

Le mal est d’autant difficile à combattre que l’exemple vient souvent de très haut. « Lorsqu’un ministre des Finances prend ses fonctions, il nomme des parents ou des proches à la tête des régies financières de l’Etat comme les douanes et les impôts. A partir de ce moment, il n’y a aucune volonté de rationaliser le système. Il nous est arrivé de découvrir des systèmes de double comptabilité gérés par de hauts fonctionnaires, sans pouvoir ni les punir ni les en empêcher », explique Karim Meckassoua.

Cette corruption a contribué à achever la fonction publique centrafricaine. Aujourd’hui, à Bangui, les écoles publiques n’ont plus de ressources, les hôpitaux ne survivent que grâce à l’aide internationale et les fonctionnaires sont contraints d’exiger des pots de vin. La crise actuelle que traverse le pays s’est traduite par un effondrement total de l’Etat. Le pouvoir de transition, chargé de remettre en route une administration démotivée et devenue inefficace va devoir poser les bases d’un système rénové. Paradoxalement, la crise offre l’opportunité d’un nouveau redémarrage. Il reste à savoir si Catherine Samba-Panza, la présidente de transition, pourra changer les règles du jeu afin d’éviter que le pays ne retombe dans ses vieux travers.

Source : Rfi.fr
 



Jeudi 15 Mai 2014 - 02:42


div id="taboola-below-article-thumbnails">

Nouveau commentaire :
Facebook Twitter