Du Chili à Hong Kong, de l’Algérie au Liban, en passant par l’Équateur ou l’Irak, de nombreux mouvements de contestation ont embrasé le monde en 2019. © Getty Images
Du Chili à Hong Kong, de l’Algérie au Liban, en passant par la France, l’Équateur ou l’Irak, des foules en colère et sans véritable leader ont envahi les rues en 2019 pour réclamer l’équité, la liberté et la dignité à des élites gouvernantes vieillissantes. Les slogans scandés à Paris, Beyrouth ou Santiago traduisent la nette défiance des manifestants face à un système économique « néo-libéral » qui n'est plus perçu comme vecteur d'ascension sociale. Surtout, les contestataires de tous pays dénoncent une démocratie inexistante ou bien parfaitement sourde aux doléances des citoyens. S’il est un point commun à toutes ces manifestations populaires, c’est bien la source de leur déclenchement. Le plus souvent, c’est une mesure antisociale qui met le feu aux poudres. Hausse du prix du ticket de métro au Chili, taxe sur les appels WhatsApp au Liban, taxe sur le carburant en France, explosion du prix du pain au Soudan… Autre similarité notable de ces mouvements qui embrasent le monde, la colère ne faiblit pas malgré le retrait du point d’achoppement, comme par exemple à Hong Kong avec le retrait de la loi d’extradition vers la Chine.
2019, un grand cru de la mobilisation
« 2019 apparaît comme un grand cru en matière de mobilisations », juge Olivier Fillieule, professeur de sociologie politique à l’université de Lausanne et spécialiste des mouvements sociaux. « Mais cela n'est ni inédit ni exceptionnel, on se souviendra que fin 2011, le magazine Time élisait ‘’le manifestant’’ comme personnalité de l'année. Les mobilisations de 2019 s'inscrivent dans la même séquence historique », tempère le sociologue. Si ces révoltes trouvent leurs racines dans les mouvements du début de la décennie - le Printemps arabe, lancé fin 2010 en Tunisie, ou encore Occupy Wall Street, en septembre 2011, contre l'austérité et les abus du capitalisme financier - internet a indéniablement amplifié les mouvements, bien plus encore qu'en 2011. En moins de dix ans, le nombre d'internautes dans le monde a plus que doublé, passant à 4,5 milliards de personnes. « Au vu du développement des moyens de communication, des réseaux sociaux, etc., il est évident que les Iraniens ont médité ce qu’il se passait en Algérie, les Algériens méditent ce qu’il se passe en Irak, les Irakiens méditent ce qu’il se passe au Chili, etc. », confirme à RFI Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques).
Ces rébellions ont en commun de se bâtir dans « l'horizontalité », « sans leader, sans organisation ni structuration dans un premier temps », observe Olivier Fillieule. Des émeutes de la mobilité qui en l’espace d’un temps très court peuvent rassembler des foules impressionnantes sans véritable chef de file. En Algérie, les réseaux sociaux ont joué « un rôle très important », selon Okba Bellabas, l'un des 25 membres fondateurs du Collectif des jeunes engagés cité par l’AFP : « La parole est relayée plus rapidement qu'avant, ça peut aller très vite ». À Hong Kong comme à Barcelone, les manifestants se passent des mots d'ordre via des messageries sécurisées ou des applis spécialement créées et téléchargeables avec un code QR. En Iran, en Irak ou en encore en Égypte, les gouvernants confrontés aux soulèvements ont tenté de les endiguer en coupant internet, sans grand succès dans la durée.
La volonté de se faire entendre
Certes, le contexte national est propre à chaque révolte et les contingences ne sont pas partout identiques. Mais de nombreux spécialistes esquissent des tendances de fond, à commencer par un violent ressentiment vis-à-vis des élites qui se traduit par une chute de leur légitimité. « Les dysfonctionnements économiques révélés par la crise de 2008 ont été transférés des élites vers les moins puissants par l'intermédiaire de l'austérité, du chômage, de l'insécurité », explique Jake Werner, professeur à l'Université de Chicago. Plusieurs dénominateurs communs « mais il ne faut pas être mécanique », prévient Didier Billion. Au-delà de l’aspect incontestable de la spontanéité de ces mouvements, le géopolitologue esquisse deux grands groupes de revendications, sociales et économiques d’un côté, et politiques de l’autre. Sachant que ces deux types de revendications peuvent se combiner. « En Algérie, au départ, c’est clairement politique avec le refus que Bouteflika se présente pour un cinquième mandat. Dans d’autres endroits, c’est d’abord lié à des raisons économiques, comme au Liban », explique-t-il. Et comme à Hong Kong ou à Khartoum, les revendications économiques peuvent succéder ou s’associer aux revendications politiques. À chaque fois, les mêmes mots d’ordre reviennent contre les inégalités sociales ou contre la corruption. Sur le plan politique, « au-delà des spécificités locales c’est la volonté de se faire entendre, le fait que ceux et celles qui descendent dans la rue considèrent qu’on ne les écoute pas, qu’ils sont écartés des sphères du pouvoir, pour des raisons multiples encore une fois » analyse Didier Billion.
« Du Liban à l'Irak, notre douleur est une », pouvait-on lire sur une pancarte à Beyrouth, devant le siège d'Électricité du Liban (EDL), symbole de la déliquescence des services publics libanais, un mal que les Irakiens partagent douloureusement, eux qui chaque été manifestent contre les pénuries d'électricité. « S’il y a une injustice sociale qui n’est plus supportable dans un pays où il y a des mouvements de contestation, c’est qu’il y a partout l’application de plans d’austérité, qui sont soit voulus par des instances internationales, par exemple le FMI, ou bien peuvent avoir des racines plus locales », estime Didier Billion. « La société ne supporte plus de payer, payer. Ils ont pressé le citron et cela devait finir par s'effondrer », lançait une manifestante chilienne interrogée par une TV locale fin octobre.
2019, un grand cru de la mobilisation
« 2019 apparaît comme un grand cru en matière de mobilisations », juge Olivier Fillieule, professeur de sociologie politique à l’université de Lausanne et spécialiste des mouvements sociaux. « Mais cela n'est ni inédit ni exceptionnel, on se souviendra que fin 2011, le magazine Time élisait ‘’le manifestant’’ comme personnalité de l'année. Les mobilisations de 2019 s'inscrivent dans la même séquence historique », tempère le sociologue. Si ces révoltes trouvent leurs racines dans les mouvements du début de la décennie - le Printemps arabe, lancé fin 2010 en Tunisie, ou encore Occupy Wall Street, en septembre 2011, contre l'austérité et les abus du capitalisme financier - internet a indéniablement amplifié les mouvements, bien plus encore qu'en 2011. En moins de dix ans, le nombre d'internautes dans le monde a plus que doublé, passant à 4,5 milliards de personnes. « Au vu du développement des moyens de communication, des réseaux sociaux, etc., il est évident que les Iraniens ont médité ce qu’il se passait en Algérie, les Algériens méditent ce qu’il se passe en Irak, les Irakiens méditent ce qu’il se passe au Chili, etc. », confirme à RFI Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques).
Ces rébellions ont en commun de se bâtir dans « l'horizontalité », « sans leader, sans organisation ni structuration dans un premier temps », observe Olivier Fillieule. Des émeutes de la mobilité qui en l’espace d’un temps très court peuvent rassembler des foules impressionnantes sans véritable chef de file. En Algérie, les réseaux sociaux ont joué « un rôle très important », selon Okba Bellabas, l'un des 25 membres fondateurs du Collectif des jeunes engagés cité par l’AFP : « La parole est relayée plus rapidement qu'avant, ça peut aller très vite ». À Hong Kong comme à Barcelone, les manifestants se passent des mots d'ordre via des messageries sécurisées ou des applis spécialement créées et téléchargeables avec un code QR. En Iran, en Irak ou en encore en Égypte, les gouvernants confrontés aux soulèvements ont tenté de les endiguer en coupant internet, sans grand succès dans la durée.
La volonté de se faire entendre
Certes, le contexte national est propre à chaque révolte et les contingences ne sont pas partout identiques. Mais de nombreux spécialistes esquissent des tendances de fond, à commencer par un violent ressentiment vis-à-vis des élites qui se traduit par une chute de leur légitimité. « Les dysfonctionnements économiques révélés par la crise de 2008 ont été transférés des élites vers les moins puissants par l'intermédiaire de l'austérité, du chômage, de l'insécurité », explique Jake Werner, professeur à l'Université de Chicago. Plusieurs dénominateurs communs « mais il ne faut pas être mécanique », prévient Didier Billion. Au-delà de l’aspect incontestable de la spontanéité de ces mouvements, le géopolitologue esquisse deux grands groupes de revendications, sociales et économiques d’un côté, et politiques de l’autre. Sachant que ces deux types de revendications peuvent se combiner. « En Algérie, au départ, c’est clairement politique avec le refus que Bouteflika se présente pour un cinquième mandat. Dans d’autres endroits, c’est d’abord lié à des raisons économiques, comme au Liban », explique-t-il. Et comme à Hong Kong ou à Khartoum, les revendications économiques peuvent succéder ou s’associer aux revendications politiques. À chaque fois, les mêmes mots d’ordre reviennent contre les inégalités sociales ou contre la corruption. Sur le plan politique, « au-delà des spécificités locales c’est la volonté de se faire entendre, le fait que ceux et celles qui descendent dans la rue considèrent qu’on ne les écoute pas, qu’ils sont écartés des sphères du pouvoir, pour des raisons multiples encore une fois » analyse Didier Billion.
« Du Liban à l'Irak, notre douleur est une », pouvait-on lire sur une pancarte à Beyrouth, devant le siège d'Électricité du Liban (EDL), symbole de la déliquescence des services publics libanais, un mal que les Irakiens partagent douloureusement, eux qui chaque été manifestent contre les pénuries d'électricité. « S’il y a une injustice sociale qui n’est plus supportable dans un pays où il y a des mouvements de contestation, c’est qu’il y a partout l’application de plans d’austérité, qui sont soit voulus par des instances internationales, par exemple le FMI, ou bien peuvent avoir des racines plus locales », estime Didier Billion. « La société ne supporte plus de payer, payer. Ils ont pressé le citron et cela devait finir par s'effondrer », lançait une manifestante chilienne interrogée par une TV locale fin octobre.
Des manifestants dans les rues de Tripoli la deuxième plus grande ville du Liban le 22 octobre 2019. © REUTERS/Omar Ibrahim
Contre le « désordre néo-libéral »
« Ce n’est pas pareil partout, mais cet ordre néolibéral qui s’est imposé quasiment au monde entier fait des dégâts sociaux. Les manifestants considèrent donc leurs gouvernements comme des relais de l’ordre mondial néolibéral, ou plutôt ce que j’appelle ‘’le désordre mondial libéral’’ », estime Didier Billion. Quid de Hong Kong ou de l’Algérie ? « L’État FLN algérien est inséré dans le système mondialisé, capitaliste et néolibéral, comme la Chine. Ils ne sont pas des États néolibéraux, ce sont des États parties à l’ordre néolibéral. Cela prend des formes singulières », nuance le directeur adjoint de l’IRIS.
Le ralentissement global de l’économie, l’accroissement permanent des inégalités, le tout sur fond de crise de la démocratie représentative, sont autant de facteurs de convergence pour les mouvements de contestation de par le monde. L’utilisation régulière du drapeau national dans les mouvements de contestation est un autre point de concordance entre les contestataires. Autant les manifestants se mobilisent contre les régimes en place, autant ils affichent leur attachement à leur patrie, considérant d’une certaine manière que leurs gouvernants trahissent les intérêts nationaux. « Cette dialectique a déjà pu être vérifiée lors des Printemps arabes de 2011/2012. C’est très intéressant pour ce que cela signifie du rapport des nations à l’ordre mondialisé. Il ne faut pas passer par pertes et profits les nations », note Didier Billion.
Le contrepoint du Soudan
La répression, infiniment brutale comme ce qui s’est passé en Iran et en Irak, et comme ce qui semble se dessiner au Liban, ou avant au Chili, et aussi à Hong Kong, est un autre élément commun à ces rebellions. C’est souvent parce que les gouvernements en place réagissent toujours avec un train de retard, explique Didier Billion. « Les gouvernements réagissent à la revendication à un point T alors que les manifestants sont déjà au temps T+1. Donc les revendications s’élargissent à d’autres questions », juge-t-il. Il n'est évidemment pas question de comparer la force utilisée par l'appareil policier iranien avec par exemple celle employée en France contre les « gilets jaunes ». Néanmoins, force est de constater que jamais pareille répression n'avait été employée dans l'Hexagone envers un mouvement social.
Si les mouvements de contestation actuels partagent avec les mobilisations de ces dix dernières années l’absence de porte-parole et le refus de toute récupération partisane, c’est à la fois leur force et leur limite. « Tant qu’il n’y a pas d’organisation démocratique pour se saisir de ces mouvements, non pas pour les dévoyer, mais pour les structurer, c’est une faiblesse », poursuit le géopolitologue. Et de citer le cas du Soudan qui a connu une forte mobilisation et beaucoup de violences avec l’usage de milices du fait de la division de l’armée. C’est un contrepoint juge Didier Billion, car au Soudan il y avait des structures très organisées avec notamment la puissante Association des professionnels soudanais : « C’est la présence de leaders bien connus et bien organisés qui a permis de parvenir au compromis. C’est la différence avec tous les autres mouvements, à ce stade. Ils n’ont pas encore fait apparaître cette forme d’organisation ».
Quelle que soit la prépondérance ou non de facteurs locaux dans l'émergence des mouvements de contestation qui ont secoué la planète en 2019, la volonté d’imposer des transformations à un système économique et/ou politique reste un socle commun. Très souvent interpellées de manière violente dans les cortèges, les élites gouvernantes font désormais face à une colère populaire exigeant qu'ils soient comptables de leurs actes devant le peuple. Une colère que l'on a du mal à imaginer s'effriter en 2020.
« Ce n’est pas pareil partout, mais cet ordre néolibéral qui s’est imposé quasiment au monde entier fait des dégâts sociaux. Les manifestants considèrent donc leurs gouvernements comme des relais de l’ordre mondial néolibéral, ou plutôt ce que j’appelle ‘’le désordre mondial libéral’’ », estime Didier Billion. Quid de Hong Kong ou de l’Algérie ? « L’État FLN algérien est inséré dans le système mondialisé, capitaliste et néolibéral, comme la Chine. Ils ne sont pas des États néolibéraux, ce sont des États parties à l’ordre néolibéral. Cela prend des formes singulières », nuance le directeur adjoint de l’IRIS.
Le ralentissement global de l’économie, l’accroissement permanent des inégalités, le tout sur fond de crise de la démocratie représentative, sont autant de facteurs de convergence pour les mouvements de contestation de par le monde. L’utilisation régulière du drapeau national dans les mouvements de contestation est un autre point de concordance entre les contestataires. Autant les manifestants se mobilisent contre les régimes en place, autant ils affichent leur attachement à leur patrie, considérant d’une certaine manière que leurs gouvernants trahissent les intérêts nationaux. « Cette dialectique a déjà pu être vérifiée lors des Printemps arabes de 2011/2012. C’est très intéressant pour ce que cela signifie du rapport des nations à l’ordre mondialisé. Il ne faut pas passer par pertes et profits les nations », note Didier Billion.
Le contrepoint du Soudan
La répression, infiniment brutale comme ce qui s’est passé en Iran et en Irak, et comme ce qui semble se dessiner au Liban, ou avant au Chili, et aussi à Hong Kong, est un autre élément commun à ces rebellions. C’est souvent parce que les gouvernements en place réagissent toujours avec un train de retard, explique Didier Billion. « Les gouvernements réagissent à la revendication à un point T alors que les manifestants sont déjà au temps T+1. Donc les revendications s’élargissent à d’autres questions », juge-t-il. Il n'est évidemment pas question de comparer la force utilisée par l'appareil policier iranien avec par exemple celle employée en France contre les « gilets jaunes ». Néanmoins, force est de constater que jamais pareille répression n'avait été employée dans l'Hexagone envers un mouvement social.
Si les mouvements de contestation actuels partagent avec les mobilisations de ces dix dernières années l’absence de porte-parole et le refus de toute récupération partisane, c’est à la fois leur force et leur limite. « Tant qu’il n’y a pas d’organisation démocratique pour se saisir de ces mouvements, non pas pour les dévoyer, mais pour les structurer, c’est une faiblesse », poursuit le géopolitologue. Et de citer le cas du Soudan qui a connu une forte mobilisation et beaucoup de violences avec l’usage de milices du fait de la division de l’armée. C’est un contrepoint juge Didier Billion, car au Soudan il y avait des structures très organisées avec notamment la puissante Association des professionnels soudanais : « C’est la présence de leaders bien connus et bien organisés qui a permis de parvenir au compromis. C’est la différence avec tous les autres mouvements, à ce stade. Ils n’ont pas encore fait apparaître cette forme d’organisation ».
Quelle que soit la prépondérance ou non de facteurs locaux dans l'émergence des mouvements de contestation qui ont secoué la planète en 2019, la volonté d’imposer des transformations à un système économique et/ou politique reste un socle commun. Très souvent interpellées de manière violente dans les cortèges, les élites gouvernantes font désormais face à une colère populaire exigeant qu'ils soient comptables de leurs actes devant le peuple. Une colère que l'on a du mal à imaginer s'effriter en 2020.
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