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A la poursuite de l’autosuffisance en riz. (Par Abdoul Aly Kane)



A la poursuite de l’autosuffisance en riz. (Par Abdoul Aly Kane)
Le président de la République, en visite dans les zones de culture du riz, annonce l’atteinte de l’autosuffisance en cette céréale dans notre pays dans un futur proche. C’est le lieu de nous interroger sur la notion d’autosuffisance et sur l’état de la culture de cette spéculation qui est la base de la consommation des populations. 506 millions de tonnes de riz devraient être produites dans le monde en 2020-2021 pour une consommation estimée dans la même période à 494 millions de tonnes.

L’Inde, la Thaïlande et le Viêt-Nam sont les principaux pays exportateurs de riz. La Chine, premier producteur mondial, est le 2ème pays importateur derrière les Philippines. Pour en revenir au propos présidentiel, on pourrait s’interroger sur cette notion assez volatile d’autosuffisance dans la mesure où elle ne renvoie pas à une réponse, voire à une mesure quantitative précise. Si on la considère du point de vue de la couverture totale des importations par la production locale, on peut affirmer que ni la Chine, ni les Philippines ne seraient autosuffisants en riz.

Le marché international du riz est un marché résiduel (c’est le surplus après consommation qui est vendu), où seulement 8 % de la production mondiale sont échangés (soient 92 % consommés dans les pays producteurs), ce qui montre l’importance de cette denrée dans l’alimentation mondiale des populations. Dans la sous-région ouest-africaine, le Mali est le deuxième producteur de riz d’Afrique de l’Ouest avec 2 080 000 tonnes, derrière le Nigéria.

Le Mali possède de vastes étendues de terres encore non exploitées et des ressources hydriques faiblement utilisées (fleuves Niger et Sénégal). Les riziculteurs maliens sont capables de couvrir 93 % des besoins du pays en riz. Malgré cette situation, le marché malien reste paradoxalement tributaire du riz importé car celui produit localement n’est pas compétitif par rapport au riz importé, vendu moins cher.

Le Sénégal, avec 1,4 million de tonnes de riz annoncés, est en retrait par rapport à la Guinée qui affiche une production de 1,62 million de tonnes, et la Guinée 1,955 million de tonnes en 2020/2021 (source USDA). Il faut rappeler que la Guinée a une population de 12 millions d’habitants, contre 16 millions pour le Sénégal, et enfin 19 millions pour le Mali et 20 millions pour le Burkina, ce qui confirme la forte consommation de riz par habitant dans notre pays qui se situerait aux alentours de 90kg par personne et par an.

Le classement selon le critère de la production de riz par tête d’habitant s’établirait ainsi qu’il suit. La Guinée occuperait la première place avec une production par tête de 120 kg, suivie du Mali avec 90 kg, du Sénégal avec 50 kg et du Burkina avec 14 kg. L’autosuffisance en riz a été inscrite dans le Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture sénégalais (PRACAS) qui vise, comme objectif prioritaire, une production rizicole de 1.600.000 tonnes de paddy.

Le Sénégal est le plus grand importateur de riz hors Nigéria ; ses importations annuelles sont de 1,25 million de tonnes, contre 475 000 tonnes pour le Mali, 690 000 tonnes pour la Guinée, et 570 000 tonnes pour le Burkina. Nous serions donc les plus dépendants des importations dans la sousrégion. Notre pays devrait consommer 2 millions de tonnes de riz en 2021/2022 d’après l’USDA.

Cette céréale occupe environ 85 % des terres cultivables ; elle est essentiellement cultivée par irrigation dans la Vallée du Fleuve Sénégal et dans le Bassin de l’Anambé, mais aussi sous pluie ou par basfonds ou de plateau, dans les régions méridionales de Fatick, Ziguinchor, Sédhiou, Kolda, Tambacounda et Kédougou.

Souveraineté alimentaire et riz
Le Gouvernement a libéralisé le secteur du riz en 1996 et s’est retiré de toutes les interventions dans la filière, notamment au niveau de la production et de la commercialisation. Il a, par la même occasion, libéralisé les importations. La stratégie de production et de commercialisation du riz est basée sur le concept de souveraineté alimentaire.

En effet, ce qu’on a appelé en son temps « les émeutes de la faim » en 2008 suscitées par l’arrêt momentané des exportations asiatiques et la hausse consécutive des cours mondiaux du riz ont poussé les gouvernants à mettre en œuvre une stratégie sécurisante de production de denrées de base de l’alimentation des populations.

Depuis cette crise alimentaire, des efforts soutenus d’investissements ont été mis en œuvre pour arriver à satisfaire les besoins du Sénégal en céréales, en particulier en riz, base de l’alimentation dans notre pays. Les efforts ont été dirigés en particulier vers la Vallée du Fleuve dont les ressources en eau superficielles, et l’expérience de la SAED (Société d’aménagement et d’exploitation des terres du Delta) sont de gros atouts pour l’accroissement de la production de cette céréale.

Selon la SAED, près de 105.000 hectares ont été emblavés dans la Vallée du Fleuve en 2020-2021. Il est prévu pour l’année 2021/2022 d’emblaver 125.000 hectares durant les trois saisons (hivernage, saison sèche chaude, saison sèche froide), afin de produire 500.000 tonnes de riz paddy. Le ministre de l’Agriculture et de l’Equipement rural, Pr Moussa Baldé, a annoncé, lors de la dernière conférence de presse du gouvernement, une production de près de 1.349.723 tonnes de riz sur l’ensemble du territoire lors de la campagne 2020-2021, ce qui tendrait à minorer la production de la Vallée par rapport aux autres zones rizicoles.

Les statistiques devraient être revues à ce niveau pour une meilleure compréhension des résultats de la filière, et une clarification des objectifs.

Les contraintes de l’agriculture irriguée
L’accroissement de la production nécessaire à l’atteinte des objectifs d’autosuffisance annoncés se heurte à de nombreuses contraintes. Les ressources en eau de notre pays sont caractérisées par leur vulnérabilité en quantité et en qualité, liée à la position géographique (proximité de la mer) et à d’autres facteurs dont la variabilité de la pluviométrie, la pollution due aux eaux usées domestiques, industrielles et agricoles.

Dans la Vallée du Fleuve, la salinisation des terres est la principale cause de la dégradation des sols ; l’irrigation par inondation des périmètres rizicoles provoque une remontée substantielle de la nappe qui s’accompagne d’une remontée de sels en surface et sur les parcelles. Les rejets d’eaux usées s’opèrent de façon désorganisée et sans retraitement préalable (eaux de drainage, rejets chargés de pesticides) au niveau des petites unités rizicoles, ce qui altère également la qualité des sols.

Les activités rizicoles impliquent l’utilisation d’intrants chimiques pour la fertilisation des sols et la défense des cultures contre les insectes. Les sols ainsi affectés par la salinisation et les rejets d’eaux usées deviennent totalement impropres à l’agriculture. La salinisation des sols est sources d’instabilité dans l’utilisation des périmètres aménagés. Après plusieurs années, les rendements sont généralement en baisse du fait de la salinisation, entraînant un phénomène connu dans la Vallée sous le nom d’ « irrigation itinérante », consistant pour les petits agriculteurs à abandonner les périmètres anciennement aménagés pour s’installer sur les plus récents.

Au plan foncier, les zones de culture sont souvent le lieu de conflits réels ou latents (entre agriculteurs et éleveurs), avec des systèmes fonciers complexes ne leur donnant pas des gages de stabilité de leur environnement d’affaires. Les investisseurs de l’agrobusiness, considérant l’accès à la propriété comme un instrument de levée de fonds, n’y trouvent pas souvent leur compte faute de garanties réelles à offrir aux institutions financières.

Concernant les parcelles rizicoles, elles sont le fait de l’agriculture familiale et sont caractérisées par leur exiguïté, ce qui induit une faiblesse des rendements, et, par conséquent, l’incapacité des producteurs à rembourser les dettes bancaires. Les parcelles vont d’un demi-hectare à 10 hectares pour la majorité des riziculteurs de la Vallée, la moyenne étant de 2 hectares par producteur.

Conclusion
Le Sénégal, à l’instar du de la Côte d’Ivoire et du Mali, s’est engagé à atteindre l’autosuffisance en riz. L’importation de cette denrée grève, en effet, la balance commerciale de nos pays par le niveau d’importation, et la balance des paiements en ce qu’elle vide nos réserves de change en dollars qui est la monnaie de fixation de son prix.

Tenant compte de la nécessité de mettre en avant la sécurité alimentaire éprouvée par la crise de 2008, et du poids des importations de riz dans la balance commerciale (10 %) et enfin de son impact social sur la population (emplois etc.), la production de riz doit être légitimement soutenue. Toutefois, la course à l’autosuffisance en riz est, en fin de compte, une course-poursuite entre les variables que sont : la croissance de la population, la tendance à la dégradation de la qualité des terres et des ressources en eau superficielles (eaux de surface).

Aussi, avec les objectifs fixés, la production marginale sera d’autant plus coûteuse qu’elle se traduira forcément par l’augmentation de surfaces à emblaver, donc d’aménagements hydroagricoles réputés onéreux, et de matériels de production.

La mobilisation des ressources financières correspondantes, tant pour les infrastructures structurantes — à savoir les aménagements et la réhabilitation de périmètres hydroagricoles ainsi que la mécanisation agricole relative aux groupes motopompes, tracteurs et moissonneuses batteuses etc., — que pour les besoins en investissement et fonds de roulement du petit producteur, cette mobilisation des ressources financières est essentielle.

Par Abdoul Aly Kane, chroniqueur économique


Jeudi 17 Juin 2021 - 14:28


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